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Music

Jello Biafra saigne pour Bordeaux

No suture : l'ex-leader des Dead Kennedys s'est fait agresser au gobelet en plastique en plein concert !

S'il n'avait pas été aveuglé par le sang qui lui coulait dans les yeux, il serait descendu dans le pit pour régler l'affaire en personne. Voilà ce que ruminait Jello Biafra ce samedi dans les loges de la Rockschool Barbey de Bordeaux, après avoir été blessé par un membre du public.

L'ex-leader de la légende punk Dead Kennedys était en concert avec son nouveau groupe, le Guantanamo School Of Medicine, un supergroupe comprenant le batteur de Halo Of Flies, deux ex-Victims Family à la guitare et à la basse, et un beau gosse venu d'Hawaï à la guitare.

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Au début du rappel, après une heure et quart d'un show intense agrémenté du préchi-précha habituel de Biafra (et de trois reprises des Dead Kennedys), l'incident éclate : cohue confuse devant la scène, et Jello tout à coup taché de sang, la partie gauche du visage apparemment amochée, son T-shirt anti-gaz de schiste maculé et ses doigts dégoulinants. Carré, le tonton du punk finit sa chanson. On se dit qu'il en a vu d'autres. Mais hyper vénère, dès la dernière note, il fait un signe en plaçant sa main en travers de sa gorge, envoie un doigt d'honneur et donne une idée de son état d'esprit : « Retrouvez celui qui m'a ouvert la tête, et ouvrez-lui la tête avant que je ne le fasse moi-même ! ». Puis il se casse, suivi de son road allemand de deux mètres. C'est con, ils allaient juste jouer « Holiday In Cambodia » (mais ils avaient déjà fait « California Über Alles », alors ça va).

Si Jello a autant saigné, c'est qu'il s'est pris un gobelet dans la tronche, vous savez ces verres en plastique rigide consignés que vous collectionnez dans les festivals d'été pour vous en faire des pots à crayon sur votre bureau au travail ? D'après Jello, habitué aux pogos et à l'excitation des fans, il ne s'agit pas d'un mauvais mouvement : il a assuré qu'il a été agressé délibérément, le gobelet ayant été l'arme par destination, et tant pis pour la consigne.

Jello a mis deux heures à se calmer, l'auteur du forfait a profité de l'agitation générale pour se carapater, et enfin, ouf, ce n'était qu'une blessure superficielle. Si vous pratiquez le rugby ou un autre sport de contact, vous savez ce que c'est : l'arcade peut pisser beaucoup, c'est impressionnant mais rarement grave. La grosse griffure qui a blessé Jello n'a pas nécessité la pose de points de suture. Pendant ce temps, la rumeur, telle un oeil tuméfié, enflait et se déformait, et au bistrot voisin on parlait déjà de Jello Biafra qui se serait pris une chaise dans la gueule. Dans deux mois, assurément, on parlera d'une balle dans l'épaule. Un portrait robot du coupable.

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Persuadé d'avoir été visé, Jello est avant sorti de cette mésaventure provinciale avec la sensation d'avoir été victime de violence gratuite, résurgence de la violence sociale qu'il dénonce dans ses textes. De John Lennon à Pantera, on sait aussi que c'est parmi les fans troublés qu'un artiste peut trouver ses pire ennemis. Pendant un concert au Canada, un mec s'était emparé du pied de micro pour salader le chanteur. Et en 1994, alors que Biafra était parmi le public de la salle autogérée de Gilman Street à Berkeley, il s'était fait péter le genou par un punk qui se serait jeté sur lui au beau milieu d'une danse violente, et une fois au sol avait été malmené à coup de boots par cinq ou six craignos le traitant de vendu. On peut donc piger qu'il soit un peu sur ses gardes, et qu'il soit nécessaire qu'il désamorce toute nouvelle embrouille en envoyant des signaux sans équivoque. Et même s'il est un chouïa parano, il faut remarquer que Biafra cherche toujours à privilégier le contact avec le public : pas de fosse, pas de barrières, pas d'agents de sécu en bord de scène. Il demande même à ce que les lumières de la salle restent allumées pendant le concert – à moins que ça ne soit pour pouvoir mieux voir s'il n'y a pas un mauvais coup en train de se tramer ?

OTH, à la fraîche, début des années 80. Malgré l'émotion que d'aucuns auront ressenti en étant témoin de cette agression au gobelet en plastique , il faut bien sûr relativiser. On n'est plus à l'époque des concerts punk des années 80 ou même du début des années 90. Avant d'être une « Rockschool », la salle bordelaise s'appelait le « Théâtre Barbey » et a accueilli la fine fleur du punk et du rock alternatif, OTH, Camera Silens et consorts, avec son cortège de fans intellos. Les directeurs actuels étaient à l'époque des fans de punks venus de la campagne voisine. Le développement durable n'était pas encore à l'ordre du jour, et le projectile standard était la canette de bière métallique de 33 centilitres. Pour le fanzine local « On n'est pas des Sauvages », si le sang n'avait pas coulé, ce n'avait pas été un bon concert. En 1983, dès le deuxième morceau, les mecs de Oberkampf sont descendus de scène pour aller cogner dans le public les jeteurs de canettes, gagnant ainsi la respectabilité générale. En première partie de Bérurier Noir en 1989, son backing band Les Scurs ayant du quitter la scène suite à l'incendie de la contrebasse (!) le chanteur Scarzello avait fini son set en interprétant a capella « Les Coups » de Johnny Haliday, sous une pluie de Kro. Toujours dans la même salle, pour pouvoir rentrer au concert des Sheriff, des punks motivés avaient arraché un arbre sur le trottoir, et s'en étaient servi pour forcer les barrières de contrôle, à la manière d'un bélier comme au temps des châteaux forts. Les agents de sécu avaient chargé à coup de batte de base ball. Tout ça pour apporter un peu de perspective, hein.

Jello Biafra va bien, aussitôt remis il a demandé un plat de poulet avec des brocolis, et il ne s'est pas fâché avec les gens de Bordeaux puisqu'il a donné dès le lendemain un DJ set dont il a le secret au Wunderbar, le rade le plus rock'n'roll de la ville. Bravo Jello.

Guillaume Gwardeath a découvert les Dead Kennedys et un sacré paquet de bons groupes en achetant la compilation Let Them Eat Jellybeans dans les années 80 à la Fnac de Bordeaux. Il est sur Twitter - @gwardeath