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Music

Jamie Principle se souvient de la genèse de « Your Love » et de son boulot avec Frankie Knuckles

Scoop : l'auteur du plus gros tube house de tous les temps n'était pas gay.

Haute-perchée, ondulante et sensuelle, la voix de Jamie Principle est un sommet du genre dans l’histoire de la musique électronique. Dans les années 80, en tant que chanteur et parolier de quelques-unes des meilleures chansons du producteur Frankie Knuckles, il a contribué à créer un catalogue qui pour beaucoup incarne le son parfait de la house de Chicago. Sorti en 1984, « Your Love », est sa première collaboration avec « Le Parrain de la house ». On y retrouve déjà la signature sonore du duo : un beat staccato balancé par Knuckles, qui s’intensifie au fur et à mesure des halètements de Principle, jusqu’à ce qu’un orgasme pur et simple surgisse sur le track. Autant dire l’une des chansons les plus sexe dans les annales de la musique électronique - et qui a le mérite de ne pas avoir vieilli en 30 ans.

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Principle, né à Chicago, et Knuckles, originaire de New York, faisaient partie de toute une scène chicagoane qui tournait principalement autour des clubs gays et noirs. Il y a d’abord eu la Warehouse où Knuckles était résident de 1977 à 1982, qui a donné son nom à la musique « house ». Puis le Power Plant, dont Knuckles était à la fois propriétaire et gérant. Le duo allait ensuite produire de nombreux tubes au cours des années 80 : « Waiting on My Angel », « Baby Wants to Ride » ou encore « Bad Boy ». Tous ces hits, à la manière de « Your Love », semblaient résumer l’esprit du dancefloor : la possibilité d’une rencontre, une forme d’échappatoire, le sentiment du danger, la volonté d’abandon, la diversité ethnique et sexuelle, et même une sorte de libération politique.

Principle était particulièrement intéressé par cet aspect de la musique, jusqu’à y faire référence dans des chansons comme « Baby Wants to Ride » et « Bad Boy », où les paroles abordent la politique de Reagan et les droits des queers. Dans « Baby Wants to Ride », il chantait « Ronnie wants to ride me, because he thinks he's king / But its hard to ride baby when you living in a fascist dream », faisant référence au gouvernement ultra-conservateur du 40e président des États-Unis. Tel un appel à s’échapper de la normalité du monde pour entrer dans l’espace libéré et libertin des clubs, ces chansons étaient de véritables cris de ralliement, et restent la bande-son d’une foule de jeunes qui ont fait leurs premières expériences sur le dancefloor, dans un but d’accomplissement de soi. Dans le son et l’esprit, elles sont l’essence même de la vie nocturne, et transforment l’acte de danser en une action carrément politique. Malgré le quiproquo commercial qui a précipité la collaboration du duo à la fin des années 80 - certaines des sorties vinyles, dont « Your Love » n’étaient créditées qu’au seul nom de Knuckles - Principle n’a pjamais cessé de faire de la musique en solo. En 1992, il s’est entouré de Steve « Silk » Hurley pour enregistrer son premier album solo, The Midnite Hour, puis a sorti une poignée de singles dans les années 90 et 2000. Principle s’est montré toujours très discret au cours de sa carrière, donnant peu d’interviews. En juin dernier, il a sorti un nouvel EP en duo avec le producteur Felix Da Housecat, une sorte d'hommage à Frankie Knuckles, décédé deux ans plus tôt suite à des complications liées à son diabète.

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On a passé un coup de fil à Principle, chez lui à Chicago, pour discuter de la genèse de « Your Love » et pour savoir si le club était, de nos joursn encore un espace de liberté.

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Comment expliques-tu que la version finale du morceau continue d’être l’une des plus célèbres de l’histoire de la dance ?
J’en sais rien. Les gens ressentent peut-être ma sincérité, et se reconnaissent dans ce que je dis. Pour moi, c’est une chanson d’amour, et je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse devenir ce qu’elle est devenue ! Quand je la réécoute, je repense à la raison qui m'a poussé à l'écrire, et je peux parfaitement me rappeler où j’étais quand je l’ai composée. Et quand je l’entends par hasard, je reste surpris de la réaction des gens, encore aujourd’hui. Je ne sais pas si je suis censé comprendre tout ça. Tout ce que je sais, c’est qu’il fallait que je l’écrive.

Depuis que Frankie est parti, j’ai des sentiments ambigus à propos de cette chanson. Ça me ramène à l’époque où on était ensemble en studio. Quand les gens disent qu’ils voient leur vie défiler devant leurs yeux… et bien quand je l’entends, je pense à tout ce que moi et Frankie avons enduré, je repense à tout ça. C’est le côté pénible de la chanson. Parle-moi de Chicago dans les années 80. À quel point des clubs comme la Warehouse et le Power Plant ont été importants ?
Sous Reagan, le dancefloor était l’échappatoire idéal. On pouvait y rester toute la nuit sans se soucier de quoi que ce soit. À l’époque où Frankie gérait le Power Plant, c’était comme aller à l’église et se libérer, sans penser à toute la folie du monde extérieur. La musique t’amenait loin, très loin, pendant des heures. Quand tu sortais du Power Plant, le soleil brillait déjà. C’était quelque chose de complètement spirituel. En tant que clubber vétéran, comment réagis-tu à ce qui s’est passé à Orlando ?
C’est bizarre… c’est tellement impesnable, tellement fou, qu’on a l’impression de ne plus être en sécurité nulle part. Ça aurait pu se passer n’importe où, même ici, à Chicago. C’est triste de penser qu’on ne peut plus sortir sans envisager de ne plus jamais rentrer chez soi. Rien à voir avec le milieu de la fête dans lequel j’ai grandi : ça n’aurait jamais pu arriver. Quand on allait danser en club, on échappait à la folie du monde extérieur. Désormais, cette folie rentre dans les clubs.

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Mais il ne faut pas avoir peur. On ne peut pas laisser ce genre de choses nous empêcher d’être qui l'on veut, d’aimer qui l'on veut, d’aller où l'on veut. Sinon, on laisse gagner la haine.

J’ai interviewé Frankie quelques années avant sa mort, et il m’a confié que même s’il n’était pas particulièrement politisé, il comprenait bien que ta musique contenait un message. En quoi était-ce important pour toi d’injecter de la politique sur le dancefloor ?
Pour moi, « Baby Wants to Ride » aborde la spiritualité, la sexualité, et propose une vision politique sur certains sujets comme le service militaire, ou le sentiment que le gouvernement ne défendait pas les droits de tous les citoyens. Si t'étais pauvre et que tu faisais partie d’une minorité, alors t'avais l’impression que tout le monde était contre toi. Je sentais qu’il fallait que j’exprime cette idée, et que je la martèle. J’étais tout simplement frustré, parce qu’il était difficile pour moi d’être l’individu que je voulais vraiment être. Comment ça ?
Et bien j’ai grandi dans une famille très chrétienne. La dance était considérée comme une musique profane, et je ne pouvais donc pas du tout en écouter à la maison, sauf quand j’étais seul. Je voulais être libre dans ma façon de m’habiller, ne surtout pas être étiqueté, mais simplement être moi-même. Ca a été mon objectif, toute ma vie. Sur la face B de « Baby Wants to Ride », je parlais du sexe avant le mariage. J’abordais beaucoup de mes problèmes personnels dans une seule chanson.

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Qu’est-ce que tu cherchais à résoudre dans ta vie à cette époque ?
Il y avait les difficultés raciales, déjà. Le simple fait d’être un homme noir, ce n’était pas facile à vivre. D’autres problèmes venaient de ma famille. « Baby Wants to Ride » aborde aussi ma relation amoureuse de l’époque. J’ai écrit toutes ces chansons à la même époque : « Your Love », « Waiting on My Angel » et « Baby Wants to Ride ». J’essayais simplement d’accepter l’idée même de sexualité, alors qu’à l’église on m’avait enseigné l’abstinence. Quand j’ai rencontré la jeune fille dont parle la chanson, j’étais en train de révolutionner mon point de vue sur tout. Je tentais de faire coïncider les cultures chrétienne et profane, et d’être heureux sans avoir à renier ce qu’on m’avait conditionné à croire. Et puis, en tant que Noir vivant dans les années 80, j’essayais en permanence de trouver mon équilibre, et d’accepter ce qu’était ma sexualité. Un dilemme personnel, en quelque sorte.

Je vais t’avouer quelque chose, et j’espère que ça ne va pas te sembler trop maladroit, mais je suis surpris d’apprendre que la personne qui a écrit et chanté ces chansons est hétéro.
Mais tu sais ce qui est le plus drôle ? C’est que Frankie n’arrêtait pas de dire à tout le monde, « Jamie n’est pas gay, Jamie n’est pas gay ! ». Et les gens répondaient, « Bien sûr que si, Frankie. Il est gay. » Et il insistait, « non, je connais Jamie, et je peux vous dire qu’il n’est pas gay ! » [rires] Je n’ai jamais aimé les étiquettes. J’ai seulement envie qu’on écoute ma musique, et que tout le monde puisse s’y reconnaitre.

Les gens essayaient de percer ma sexualité, mais je suis le genre de type qui garde ça pour lui. Acceptez-moi tel que je suis, un point c’est tout. Quand Frankie a commencé à produire ma musique, je ne connaissais rien à la culture gay. On me dit parfois que j’étais bien naïf. Mais non, pas du tout. Je suis juste quelqu’un qui veut être avec des bonnes personnes. Je voulais être entendu et accepté. Et c’était trop compliqué d’être accepté par les hétéros.

J’embrassais mon ami gay et je lui donnais la main. Et je crois que je n’ai jamais considéré qu’il était différent des autres. Pour moi, l’amour, c’est l’amour. J’ai toujours été quelqu’un de très affectueux, que ce soit avec les hommes ou les femmes. Donc le fait d’être dans un milieu qui me laissait agir de cette manière, et me permettait de ne pas avoir peur d’être qui j’étais, c’était magnifique. Et je crois que ça m’a fait grandir, ça m’a permis de me connaitre. Sur la chanson « Bad Boy », tu chantes « You might call me a queer / You might call me a freak », ce qui m’a toujours laissé penser que c’était un hymne queer.
C’est vrai, et les gens me disaient « mais tu es gay ? » Et je ne répondais jamais. Parce que j’étais qui je voulais être, rien d’autre. J’ai commencé à me débarrasser de ce système d’étiquettes. Et je crois que si j’ai écrit cette phrase, c’était pour balancer ma frustration au visage des gens. Ensuite, les gens s’y sont identifiés comme ils l’ont voulu. Tu as sorti un nouveau titre, « Touch Your Body » avec Felix Da Housecat, qui est une sorte d’hommage à Frankie et à la house de Chicago. Pourquoi ?
J’avais déjà essayé de travailler avec Felix il y a 15 ans environ. Quand Frankie est mort, Felix était justement à Chicago. Je suis allé le trouver pour lui dire qu'on devait faire quelque chose. Il m’a rejoint au studio et m’a apporté ce morceau. C’était l’histoire de « Your Love » qui se répétait. C’était donc une sorte d’hommage, oui, mais on voulait simplement reproduire l’esprit de ce qu’était la house à l’époque. On l’a fait à l’ancienne, naturellement. Et ça fait vraiment du bien.