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Dans les coulisses du clip de « 2good4me » de Breakbot

Le réalisateur Simon Cahn nous parle du clip qu'il a réalisé pour le producteur parisien, de sa découverte du phénomène des lolitas mexicaines au tournage tendu à Tijuana.

Si la grisaille de cet hiver vous donne des envies d'évasion XXL, voici un remède simple et peu couteux pour vous dépayser entre midi et deux : le clip de « 2good4me » de Breakbot, réalisé par Simon Cahn. Cette épopée adulescente dans les rues de Tijuana au travers d'une communauté de lolitas est à la fois une évocation poétique de l’atmosphère à la fois frivole et turpide qui règne au sein de ce genre de groupe, et un hommage à la culture locale et ses influences. On est allés rencontrer Simon pour en savoir un peu plus sur son parcours et cette vidéo. Noisey : Qui es-tu, Simon Cahn ?
Simon Cahn : Je fais de la réalisation depuis un moment. Avant je bossais comme photo-éditeur pour Jalouse et je réalisais quelques films en parallèle. Tout a vraiment commencé quand j’ai co-réalisé il y a 5 ans un film d’animation Mourir Auprès de Toi, avec Spike Jonze. C’était à la base un film de publicité pour la créatrice Olympia Le Tan mais cela s’est transformé en réel court-métrage que nous avons mis presque 1 an et demi à finir. Il a été très bien accueilli - il a été présenté à la semaine de la critique à Cannes et a tourné dans pas mal de festivals. Quelques années plus tard, quand Olympia Le Tan a demandé à Spike de réaliser un film pour sa marque, il m’a proposé de le co-réaliser. Nous avons écrit tous les trois le film, Spike, Olympia et moi-même. Ce projet a clairement enclenché un tas de choses pour moi, même si ça a aussi eu un effet pervers car quand tu commences avec un film d’animation tu es très vite catalogué, alors que ce n’est pas du tout ma spécialité. Du coup il m’a fallu un peu de temps pour sortir de ce carcan. Je me suis justement concentré sur la réalisation de clip pour enrichir ma bande et me rapprocher de mon univers. Et ce clip, « 2good4me », c’était justement une belle occasion.

Dans ce clip tu suis la descente aux enfers d’une jeune étudiante Kawaï-Mexicaine. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
J’avais très envie de faire un clip sur les lolitas japonaises car j’adore cette esthétique et elle n’est pas très exploitée. En cherchant sur le net je me suis rendu compte qu’il y avait pleins de lolitas-mexicaines et qu’il y avait un très gros courant culturel japonais au Mexique. J’ai trouvé ça hyper surprenant et très stimulant à la fois. Ensuite le thème de la jeunesse est un thème que j’aime beaucoup. C’est un thème ultra commun, surtout celui d’une jeunesse perdue et désabusée, mais du coup j’aime bien l’idée d’en parler en y apportant un twist. J’ai une copine qui m’a fait remarquer il n’y a pas longtemps que je me concentrais souvent sur des filles dans mes films.
J’aime bien travailler ce thème sous l’angle de personnages féminins qui d’après-moi moi sont moins représentées et que je trouve surtout plus riches et plus complexes. Au début, ce clip devait être axé principalement sur le Mexique, avec beaucoup de portraits de locaux. Au final j’ai trouvé ces filles tellement captivantes que j’ai voulu éviter les clichés et me focaliser sur ces personnages décalés. D’ailleurs ce n’est pas une évidence pour tout le monde que le film se déroule au Mexique. Cette influence Japonaise existe donc vraiment au Mexique ? Comment l’expliques- tu ?
Cette culture Kawaï est même énorme au Mexique, pas seulement Tijuana. Il y a les Lolitas pour les filles et chez les mecs il y a deux profils : les « bolitas » qui sont des hommes habillés en lolitas, et les autres habillés de façon japonaise mais masculine. Les observer dans ce parc en plein cœur de Tijuana était assez surprenant et je me suis rendu compte très rapidement que cette culture mexicaine Japonaise était si présente que ça ne choquait personne. Pendant les repérages je suis allé dans un centre commercial et il y avait une sorte de mini-Comi Con avec tout un tas de jeunes habillés en cosplay et en costumes japonais. Tout ça en plein centre de Tijuana. C’est complètement ancré dans la culture. Pourquoi, je ne sais pas. Après, ce qui m’a marqué à Tijuana, et c’est propre à cette ville du Mexique, c’est la mixité énorme qui y existe. C’est une ville au centre d’un mouvement de population, il y a les touristes américains qui viennent mais aussi les migrants bloqués à la frontière en provenance du Honduras et d’autres pays du sud. Je pense que comme au Japon, le Mexique a une jeunesse très présente et très forte. La jeunesse japonaise s’affirme en réaction à une population active plus âgée, prisonnière d’un carcan rigoureux que nous connaissons. En réponse à cela la jeunesse est assez excentrique. Au Mexique, le même mouvement de jeunesse existe face je pense à toute la merde qui ressort de cette société qui a engendré cartels de drogue, violence et misère. Comment as-tu trouvé cette bande de jeunes ?
Le premier groupe de lolitas que j’ai trouvé venait de Monterey. On a commencé à bosser sur le projet et je me suis rendu compte assez vite que Monterey n’était pas une ville super excitante esthétiquement parlant. Ça ne convenait pas à la vision que j’avais de mon clip. C’est un peu le Hong Kong du Mexique, plus moderne et visuellement moins intéressant.
Nos collaborateurs Mexicains nous ont dit qu’on pouvait trouver les mêmes lolitas à Tijuana. À l’origine mon intention était de faire ça avec une vraie communauté locale. Plus une volonté en terme de casting que de lieu donc. Tijuana répondait bien à ces deux exigences. La coïncidence c’est que la « chef des lolitas » de Tijuana est la « chef des lolitas » de toute l’Amérique du sud. Ce n’est pas elle qui tient le rôle principal dans le clip mais on la voit tendre à l’héroïne une tasse de café dans la séquence du parc. D’ailleurs, toutes les filles sont de vraies lolitas sauf l’héroïne.
Je les ai toutes castées, sans avoir de physique particulier en tête. Le problème c’est que, dans la réalité, les vraies lolitas sont hyper timides, assez introverties, ce qui ne correspondait pas du tout à mon personnage et à ce que je voulais filmer.
Je ne voulais surtout pas prendre de comédienne professionnelle, mais quelqu’un de vrai et de local. Du coup j’ai casté cette fille, Jocelyn, qui n’est pas une « lolita » mais qui est une fan invétérée du Japon et sa culture et qui appartient à cette communauté de Tijuana. Elle correspondait donc bien au rôle, d’autant qu’elle était davantage dans l’âge de mon personnage, la plupart des lolitas là-bas ayant plutôt entre 24 et 30 ans. Être lolita est quelque chose d’assez onéreux qui n’est pas accessible à tous. Les robes coûtent très cher, et on ne peut pas se les procurer au Mexique. Elles font venir leurs robes directement du Japon. Ce film est-il représentatif de leur quotidien ?
Il y a toute une dimension réelle dans ce clip puisque tous les personnages sont véritablement amis. Les endroits où nous avons shooté sont de vrais endroits qu’ils fréquentent. J’ai tenu à coller autant que possible à leur quotidien. Après il faut aussi savoir que les lolitas se griment ainsi pour des occasions spéciales ou lors de retrouvailles. Dans leur quotidien, elles sont habillées de façon tout à fait classique. Par contre, le thème de la jeunesse déchue est purement fictionnel. Tout ce qui s’apparente à la perversion des esprits est le fruit de mon idée. C’était justement ma volonté de créer un clip à plusieurs niveaux de lecture : dans ce clip on parle de lolitas japonaises mais au Mexique. Le morceau est en anglais mais produit par un artiste français, et les lolitas ne font absolument pas des trucs de lolitas. Les vraies lolitas jouent la timidité et sont très girly, elles ne tuent pas le temps en se bourrant la gueule et en écumant les soirées. Simon Cahn sur le tournage du clip à Tijuana Ce clip me fait un peu penser aux derniers films d’Araki notamment Kaboom et Smiley Face, qui abordent le thème d’une jeunesse perdue et décadente mais malgré tout fun, à l’inverse d’un Larry Clark par exemple. Es-tu un admirateur du travail d’Araki ?
J’aime beaucoup Araki mais je ne connais pas si bien son travail. J’ai vu Nowhere et Doom Generation que j’ai adoré mais je n’ai pas vu le reste même si je me dis souvent qu’il faudrait que je le regarde ! J’aime bien le côté un peu funky des films d’Araki. J’adore Larry Clark aussi, même s’il n’y a pas ce coté comédie qu’on peut retrouver chez Araki. Ce thème de la jeunesse est un thème que j’aime étudier et je me suis évidemment inspiré de leurs travaux pour certains cadres ou certains aspects de la mise en scène mais je n’ai eu aucune volonté de faire du Larry Clark ou du Araki mexicain. J’étais justement au Mexique la semaine dernière, et j’ai soigneusement évité de passer par Tijuana [De 1992 à 2001, Tijuana était considérée comme la ville la plus violente du Monde, avec le plus haut taux de meurtres par habitant]. C’était comment de tourner là bas ?
J’ai eu très peur avant le tournage. Surtout que j’étais à Los Angeles la semaine précédente et tous les américains avaient des discours super alarmistes sur Tijuana. Quand on a passé la frontière j’ai un peu flippé, je me suis demandé ce que j’allais foutre là pendant 10 jours. J’ai passé la frontière, à l’aller comme au retour, en voiture avec un chauffeur mexicain qui était venu me chercher à LA. Il y a vraiment ce clivage entre l’Amérique propre et tranquille et l’arrivée au Mexique où c’est vraiment la zone. À l’aller ça ressemble à un simple péage ; dés lors que tu quittes les US personne ne te demande rien. Le retour au contraire ce sont des heures de queue entre des grillages surmontés de barbelés. Tu sens que ça peut partir en vrille en un quart de seconde mais en général tout se passe bien. Mais je te jure, la tension est palpable. Après il faut dire que sur place on s’est entourés d’une équipe locale, Specola. Des jeunes entre 19 et 25 ans qui produisent les films d’un réalisateur local qui s’appelle Ricardo Silva. Ce mec, c’est un peu le Harmony Korine du coin. Il a fait un docu sacrément glauque, Navajazo, sur les crackheads de Tijuana qui a gagné un prix à Locarno. Du coup ils ont l’habitude de travailler d’une part au Mexique, d’autre part dans des contextes un peu tendus. Ils savent ce à quoi il faut faire attention. Concrètement, en tournage au Mexique, ce n’est pas vraiment des cartels dont il faut se méfier, mais des policiers. Il y a pleins de rumeurs comme quoi les flics viennent te voir pour te demander de l’argent et si tu refuses tu peux finir en taule. J’ai un pote qui a tourné là bas et il s’est fait braquer sa caméra par les flics. Tijuana c’est une sorte de zone de non-droit, où règnent différents pouvoirs, de la police aux cartels. Si tu obéis aux règles, ça va. Je pense que c’est comme ça car ça a été une ville très touristique pendant un temps. Jusqu’en 2005 les américains venaient pour la fête et le tourisme sexuel pas cher, une sorte de Cancun local. C’est comme ça que la ville s’est développée. Après, le tourisme s’est arrêté et à partir de là ça a été le bordel. Mais après 10 jours passés là bas, j'ai vraiment eu un coup de coeur pour la ville et je me suis vraiment rendu compte du potentiel de Tijuana. Il y a vraiment une super énergie, des jeunes et créatifs qui sont en train de faire évoluer la ville. L'ère des strip-clubs et des touristes américains est finie, et ils sont en train d'en faire une ville mortelle. Ma copine à un peu halluciné quand je suis rentré et que je lui ai dit que je voulais déménager à Tijuana. Cela ne m'étonnerait pas que Tijuana dans quelques années devienne une sorte de Austin, Texas.