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Music

Iceage veulent devenir impossibles à ignorer

Les Danois nous ont parlé de leurs détracteurs, des journalistes paresseux et de leur démarche indépendante-mais-pas-vraiment.

Et c'est plutôt bien parti. Que vous détestiez, que vous adoriez ou que vous vous en contrefoutiez, vous avez forcément entendu parler de Iceage. Depuis leur album de 2008 qui avait bousculé le petit monde feutré de l'indie-rock, le groupe de Copenhague a levé le voile sur toute une galaxie de jeunes énervés dont les principaux satellites s'appellent Age Coin, Communions, Croatian Amor, Damien Dubrovnik, First Hate, Forza Albino, Less Win, Lower, Lust For Youth, Marching Church, Puce Mary, Rose Alliance, Sexdrome, White Void et Zero Figure. Ils tournent pour la plupart autour du point de ralliement Posh Isolation, label et disquaire de la capitale. Après deux albums très frontaux, les quatre danois ont fini par lever le pied sur Plowing Into The Field Of Love, un nouveau disque à mi-chemin entre Noir Désir et Louise Attaque (au mieux), qui sortira sur Matador dans quelques jours. Mais bon, Iceage se tapent bien de ce que vous pouvez penser d'eux. On les a chopés à l'occasion de la première journée de promo intensive de leur vie, à « Paris, une ville impénétrable » selon eux.

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Noisey : Vous avez l’habitude de prendre l’avion pour répondre à des interviews ?
Dan : Pas vraiment de cette façon. Là, on y est pour toute la journée.
Elias : On l’a fait un peu avec le dernier album mais avec celui-là, c’est l'usine. C’est la première fois que c’est aussi intensif, qu’on prend l’avion pour se faire interviewer par des gens.

Il s’est passé quoi dans vos vies entre 2008 et 2014 ?
Elias : Ce qui a surtout changé, c’est les tournées. On est parti plusieurs mois d’affilée à l’étranger et c’est le seul été depuis un moment où l’on a pu se poser un peu à Copenhague avec nos potes, et où on a pu gamberger sur nos vies et se faire chier, ce qui nous était pas arrivé depuis longtemps. Ça a été bénéfique pour notre santé je pense. Pour le reste, rien n’a changé. On est toujours fauchés, on traîne avec les mêmes personnes, on essaie juste de s’en sortir. Vous faites rien à côté du groupe ?
Dan : Non.
Elias : Moi je bosse un peu chez un disquaire, de temps en temps.

Je me demandais s’il n’était pas un peu ironique ce nouvel album, Plowing Into The Field Of Love. Avec cette référence détournée à Tears For Fears.
Elias : Le morceau éponyme l'est en quelque sorte, oui. Ce n’est pas une chanson d’amour mais ça parle plutôt du fait de se faire piéger en fonçant tout droit vers ce que tu crois être le bon chemin, alors qu’à la fin, tout se révèle être un mensonge.

Vous aviez quoi à l’esprit quand vous avez composé ces morceaux ?
Elias : On n’en a jamais vraiment parlé, on a juste tracé notre route en essayant de rester dans cette direction. On voulait tenter des choses, j’ai essayé de rendre notre son plus grave, limite mélodramatique. C'est quelque chose qui n’existait pas dans notre musique avant.

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D’où tous ces commentaires infernaux, « ils sont passés de Ian Curtis à Nick Cave ».
Elias : Ouais, je comprends le raisonnement, mais c’est quand même chiant. Évidemment on a des centaines de références, mais bon, tu ne peux pas te contenter de Joy Division, des Bad Seeds… Il y a aussi les personnalités de chacun… Bien sûr, tout est référencé, mais ce n’est pas aussi simple que ça.

T’en avais marre de crier ?
Elias : Je crois que j’étais plus sûr de moi et je voulais qu’on sente ce climat de confiance. Je chante parce que je n’ai rien à cacher. Marre de hurler je ne sais pas, je pense juste que je suis meilleur quand je chante.

Les gens insistent pourtant sur le fait que tu ne sais toujours pas chanter.
Elias : Je ne suis pas d’accord !

Vous allez perdre des fans avec cet album, non ?
Elias : Je crois que c’est déjà fait.

Quelques commentaires YouTube en réaction à leur clip « The Lord's Favorite ».

Tu as dit dans une interview que les kids américains n'ont pas compris Iceage quand vous avez fait votre première tournée là-bas. Tout le monde se foutait sur la gueule, etc…
Elias : Mmm, c’est plus compliqué que ça. Il y a des tas de kids américains qui n’ont pas compris, mais en Europe et au Danemark aussi. Et bien sûr, c’est un sujet assez délicat. Tu ne peux pas toujours savoir si les gens captent ce que tu fais, ça nous est arrivé de lire des trucs absurdes après certains concerts… Dès qu’on a commencé, on nous a catalogué comme un groupe violent. On ne savait même pas jouer, c’était juste une excuse pour rameuter nos potes dans une salle. On se disait simplement « allez, on a qu’à jouer ici et on va tout niquer. » Mais quoi de plus normal ? Après, la presse se sent toujours obligée de faire du sensationnalisme et tu deviens : « Iceage, le groupe que tu vas voir pour coller des pains aux gens ». Alors que c’est tout sauf quelque chose d’attendu, c’est un instinct naturel réveillé par la musique, et eux en font un truc totalement à l’opposé de l’authenticité.

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Quand votre premier album est sorti, vous étiez un peu le cul entre deux chaises, ni vraiment punk, ni vraiment indie. Ça a déboussolé les journalistes et le public je crois.
Elias : Ouais, on attirait à la fois des gens des deux univers, comme on en repoussait également d’autres.
Dan : C’était plutôt pathétique, être « choqué » par de la musique punk, sérieux…
Elias : Il y a eu tellement de super groupes punks, même dans les années 2000, et bien que notre musique était considérée comme punk, on n’a jamais vraiment appartenu à cette scène.

Vous en êtes où avec Marching Church d’ailleurs ?
Elias : On est en train d’enregistrer un album. Je crois que ça sortira en février. C’est très différent du disque qu’on a déjà sorti. C’est quasiment un autre groupe avec le même nom. On est maintenant sept, il y a un violoncelliste, un saxophoniste… Le disque sortira sur Posh Isolation et Sacred Bones.

Et VÅR ?
Elias : On a splitté il y a environ un an. On est toujours potes hein, on fait toujours des trucs ensemble avec Lohke (Rahbek) ou Christian (Stadtgaard), mais Var n’était pas un groupe voué à durer.

Vous vivez toujours à Copenhague ? Vous iriez où si vous deviez bouger ailleurs ?
Elias : Ouais.
Dan : Vraiment, je ne sais pas. C’est difficile. Vu qu’on y est tous.

Elias : Tous les musiciens avec qui on joue habitent ici alors ce serait compliqué de déménager, ça voudrait dire qu’on ne pourrait plus faire de musique. Et bon ça n'aurait pas vraiment d'intérêt de déménager dans une ville et de former un groupe… parisien, ou new-yorkais. Copenhague peut ressembler à un village parfois, alors que c’est une capitale, rien n’y évolue beaucoup. On tourne tout le temps, et revenir dans sa ville où rien n’a changé, ça fait du bien.

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Au-delà de la musique, c’est important de rester au milieu de vos « frères » ?
Elias : La plupart de ces types sont mes amis depuis longtemps et le seront toujours, mais… Je ne sais pas si c’est vraiment important de rester ici, je n’ai jamais trop réfléchi à l’idée d’aller vivre ailleurs, en fait je n’ai pas le temps pour ça.

Vous ne réfléchissez jamais au futur ?

Elias :

Mmm, nan, pas vraiment… On va de l’avant mais… En général, je ne sais jamais à quoi ressemblera une chanson avant de l’avoir terminée. Que ça soit pour l’album de Iceage ou celui de Marching Church. Je pourrais éventuellement tout arrêter le mois prochain hein, mais je sens que j’ai encore plein d’idées, et tant que ce sera le cas je continuerai à faire de la musique.

Loke a dit un truc qui résume pas mal les choses, toujours dans cette interview pour Self-Titled : « L’idée que si tu es bon en quelque chose signifie que tu es forcément bon dans une autre—parce que nous faisons de la bonne musique, nous devrions avoir un avis sur la politique ou sur le dernier styliste à la mode—n’a aucun sens. »
Dan : Complètement.
Elias : Vrai.

J’imagine qu’on vous pose souvent des questions sur la politique, non ?
Elias : Il y a une certaine attente lorsque tu es étiqueté « groupe punk », tu es censé avoir une vision politique, tu dois te prononcer sur certaines choses, etc… Nous, on a toujours été dans un délire hédoniste, s’occuper du monde qui nous entoure c’est déjà trop. Évidemment, on a tous nos propres opinions politiques mais ça n’a rien à voir avec le sujet qui nous concerne.

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Aux débuts du groupe, il y avait cette étiquette « fasciste » qui vous collait au bomber.
Elias : Ouais, les amateurs de scandale… L’incompétence et la paresse des journalistes qui ne faisaient pas leur boulot mais tentaient de créer une espèce de phénomène en assemblant divers éléments les uns aux autres et en en occultant complètement d’autres… C’était tellement évident, ils cherchaient uniquement la polémique. Les choses ont empiré parce qu’on n’a jamais vraiment voulu commenter la situation. La manière dont ils essayaient de nous tirer vers le bas était tellement faible qu’on n’a pas voulu s’abaisser à ça. Ce n’est plus vraiment d’actualité mais je pense que notre tactique a marché, ça les a fait dégager.

Pour finir, dites-moi quelques mots sur ces groupes danois plus ou moins célèbres.

AMDI PETERSENS ARMÉ
Elias : Ils étaient géniaux. Je suis trop jeune pour les avoir vu jouer, ils ont splitté en 2005. Quand j’étais gosse, vers l’âge de 11 ans, et quand j’ai commencé à aller aux concerts punk, le groupe s’était déjà rebaptiser Hjertestop. Mais j’étais un gros fan de leurs trucs. Leur chanteur, Peter (Bonneman) était une sorte de héros pour moi. Je séchais souvent l’école qui n’était pas loin du disquaire où il trainait, on zonait ensemble, et il me prêtait plein de disques et de bouquins. AQUA
Elias : Quand j’étais à la maternelle, tout le monde écoutait ça. Mais moi j’avais l’âge de ne rien écouter encore. GORILLA ANGREB
Elias : Peter de Amdi Petersens Armé jouait aussi dans ce groupe. Je les ai vu 2/3 fois, jamais été un grand fan.

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Il y avait une grosse scène punk à Copenhague à l’époque.
Elias : Ouais, il y avait le K-Town Hardcore Fest, tous les ans au squat Ungdomshuset. Puis il y a eu les fameuses émeutes en 2007 entre les punks et la police, ça a duré plusieurs jours. Le gouvernement a voulu évacuer les lieux, les jeunes ont tenté de riposter, ils ont fait du bon boulot, mais évidemment, c’est la police qui a gagné. C’était une période vraiment excitante. On allait là-bas quand on était ados, c’était un lieu fantastique, l’environnement parfait pour se défoncer. L’atmosphère qui y régnait était vraiment spéciale. Dan : Aujourd’hui il ne reste plus qu’un mémorial, comme à Ground Zero. Le festival existe toujours, il a lieu ailleurs mais ça n’a plus grand-chose à voir.
Elias : On y a joué une fois, avec notre premier groupe. On avait genre 13/14 ans, on jouait du punk dégueulasse sur des amplis en plastique, et les mecs du squat sont venus nous voir répéter et ont quand même gardé notre numéro. Un mois plus tard, on a reçu un coup de fil nous demandant si on voulait faire la première partie de Skarpretter, un groupe anarcho-punk d’ici. C’était énorme pour nous. Ils ont mis notre nom sur l’affiche avec la mention « punk ’77 ».

Dan : Une fois là-bas on s’est rendu compte que le public était bien plus vieux que nous !
Elias : Ouais. On a joué nos six chansons, et ils en ont redemandé, alors on a rejoué le set entier. À la fin, on a tenté de faire une reprise des Sods, un groupe punk danois très connu ici, mais on n’avait même pas appris les paroles… Le public est aussitôt monté sur scène pour chanter. Je tenais ma guitare en l’air et des types du public grattaient les cordes. Imagine ça, vu avec les yeux d’un gosse de 13 ans, c’était magnifique.

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C’était quoi le nom de votre groupe ?
Elias : On se faisait appeler les Pin Cushion Queens… Haha. Vraiment un nom horrible.

KING DIAMOND
Elias : Mmm, non.
Dan : J’étais à fond dans Mercyful Fate plus jeune, mais ça m’a passé. C'est une musique pour aller voir des rodéos ou des course de motos maintenant.

NEKROMANTIX
Elias : Ils sont danois ? Le truc de psychobilly ?

Ouais.
Elias : C’est pas notre tasse de thé.

Des gens pensent que vous avez pris un tournant rockabilly sur ce nouvel album.
Elias : On a qu’un seul morceau country sur cet album. Alors bon, rien de vraiment rockabilly.

THE RAVEONETTES
Elias : Oh, je les déteste.
Dan : Une mauvaise version danoise de The Jesus & Mary Chain.

TRENTEMØLLER
Elias : Ah non, on n’écoute pas ça.

WHOMADEWHO
Elias/Dan : Pas notre délire.

Vous vous considérez comme un groupe indépendant ?
Elias : On est un peu entre les deux, indépendants et pas vraiment. Je ne nous décrirais certainement pas comme un groupe DIY puisque nous sommes assis là, dans les bureaux d’un label, à discuter de notre dernier album. On ne sort pas notre disque nous-mêmes, donc évidemment nous ne sommes pas « indépendants ». Notre truc c’est d’expérimenter, pas forcément de devenir gros et d’exploser, plutôt que d’être célèbres, on veut juste devenir impossibles à ignorer. Même si j’ai quelques problèmes avec les médias indie mainstream, je ne crois pas qu’ils soient capables de détruire ce qu’on essaie de communiquer, et j’espère qu’il y a des gens suffisamment intelligents pour comprendre notre démarche.

Le troisième album d'Iceage, Plowing Into The Field Of Love, sort le 6 octobre sur Matador.

Ils seront en concert au Nouveau Casino le 1er décembre prochain.

Rod Glacial a compris la démarche. Mais n'a toujours pas compris Twitter - @FluoGlacial