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Music

Afrika Bambaataa est toujours aux commandes de l'Afrofuturisme

Le père de la Zulu Nation nous a parlé de science-fiction, de voyages dans l'espace et de sa passion pour Ma Sorcière Bien-Aimée.

En 1970, Gil Scott-Heron sortit l’un de ses morceaux les plus connus, « Whitey On the Moon » . Le disque renvoyait au discours de Neil Armstrong (et son fameux « grand pas pour l’Humanité » ), dans lequel l'Amérique noire, avait du mal à se reconnaître alors qu'elle voyait ses leaders assassinés et ses libertés souillées par la violence et l’aliénation économique. Il semblait clair que la Course à l’Espace était réservée à une certaine tranche de la population américaine : aux blancs les étoiles, aux noirs le ghetto.

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Au même moment, un autre courant culturel, au moins aussi puissant, se faisait entendre. Il avait démarré avec le free jazz de Sun Ra, et s’était amplifié grâce au funk cosmique de George Clinton and his Mothership. Un groupe de musiciens, écrivains et artistes Afro-américains regardaient en direction de l’espace et rêvaient de science-fiction : « Si nous ne pouvons pas être libres sur Terre, alors nous trouverons notre salut ailleurs dans la galaxie » . Ou comme l’a dit Sun Ra : « Space is the place » .

Les héros des vieux films de science-fiction avaient beau être pratiquement tous blancs, les stars de ce mouvement (connu plus tard sous le nom d’Afrofuturisme) s’en inspirèrent directement - mais en créant leur propre mythologie, en incarnant des personnages éblouissants, psychédéliques et utopiques, et en enregistrant certains des albums les plus étranges et cools du XXe siècle dans la foulée.

Alors que la musique et la technologie progressaient à vitesse grand V dans les années 80, un homme s'empara cette torche révolutionnaire et la porta plus loin que tous les autres : Afrika Bambaataa, parrain du Hip-Hop et fondateur de la Zulu Nation. Son tube de 1982, « Planet Rock », qu'il interprêtait dans un costume tenant autant du robot que du prêtre de l'Egypte ancienne, fut un tournant décisif dans l’histoire de la musique électronique et dans la culture Hip-Hop.

On a rencontré Bambaataa à Londres, il y a quelques jours, à l'occasion de sa participation aux rencontres Inside Afrofuturism organisées au BFI, pour parler du mysticisme Hip-Hop, de science-fiction noire et des films de Charlton Heston.

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Noisey : Quand les gens pensent au futurisme dans la musique, la première chose à laquelle ils pensent, c’est la technologie. Ton crew est l’un des premiers à avoir introduit des machines comme la TR808 dans la musique populaire. Qu’est-ce qui rendait cet équipement si spécial ?
Afrika Bambaataa : On a commencé à ajouter des machines pour rendre notre DJ set un peu plus intéressant. Grand Master Flash avait une beat-box qui rendait les gens dingues. On a sorti un vinyle, « Flash It To The Beat » , pour montrer à quel point il assurait. J’utilisais plusieurs boîtes à rythmes et j’ai fini par tomber sur les machines Roland. J'ai aussi récupéré un vocoder - à l’époque où je jouais dans le milieu punk, au Roxy par exemple.

Tu étais super éclectique aussi, tu piochais dans le Yellow Magic Orchestra, Kraftwerk…
[Rires] Aujourd’hui, les gens appellent ça le mash-up. À l’époque, on mélangeait tout comme ça. On allait chez des disquaires obscurs de New York pour fouiller les bacs. Dans le Village, il y en avait pas mal, mais j’avais pas forcément à bouger très loin : vers Bleaker Street, Broadway… Les prix étaient exorbitants. Ensuite, Downstairs Records a commencé à prêter attention à ce qu’on jouait et à vendre les mêmes albums à des prix encore plus élevés.

Je dois remercier ma mère pour ça - elle écoutait beaucoup de trucs différents à la maison. Un jour, c’était de la soul, genre James Brown, la Motown et STAX, le lendemain, des trucs africains comme « Mama Africa » de Miriam Makeba, ou du calypso, de la salsa, des trucs de SalSoul Records… Et le surlendemain, Barbara Streisand, Edith Piaf, Three Dog Night et Creedence Clearwater Revival. J’adorais tout ce qu'elle mettait.

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Et puis « Planet Rock » est sorti et les gens ont pigé d’un coup que tu utilisais une tonne de technologie.
Eh ben, là encore, je dois remercier YMO et Kraftwerk. Et même Gary Numan. On avait l’habitude de rapper sur son morceau « Bombers » . Je ne suis même pas sûr que Gary soit au courant que tous ces jeunes noirs et latinos jammaient sur sa musique.

Mais ce morceau a changé la face de l’industrie musicale. Tout le monde s’est mis à faire de la musique électronique. C'était un peu : « Hein ? Je suis pas obligé d’avoir un groupe derrière moi ? »
C’était super marrant. Quand on a commencé à faire des concerts, c’est devenu dingue. Même dans des quartiers où on était bien connus avant ça, les gens se sont mis à nous poursuivre. C’était fou - une scène vraiment excitante.

Puisqu’on parle de futurisme et de science-fiction, j’ai vu une citation de George Clinton qui parlait de Buck Rogers et tout ce que cette émission représentait pour lui. Il l’appelait « le début de la télévision » . Est-ce que tout ça t’a influencé quand tu as commencé à créer ton propre personnage ?
Oh, à fond. Que ça soit Buck Rogers, Flash Gordon… Plein de vieux films. Quand mes vieux me laissaient devant les vieux Batman, j’en pouvais plus. Ceux des années 60, avec tous ces mots qui apparaissaient sur l’écran : « PAN !» , « BOUM ! » et tout ça. J’adorais les films des années 20, aussi.

Mais le truc qui a vraiment changé la donne, c’est Star Trek et Perdus dans l’Espace. Là, fini la déconne. Et Ma Sorcière Bien-Aimée aussi. C’était surpuissant, et ça l’est encore aujourd’hui. Aujourd’hui, quand je regarde ça j’ai envie de déceler les trucages. Mais c’est impossible. Tout a l’air réel. C’était pas Matrix, c’est sûr, mais c’était les années 60, et ils arrivaient quand même à péter une vitre et la réparer d’un coup de baguette magique. Ou bien les personnages se trouvaient dans la maison, et d’un claquement de doigt, ils étaient dans un avion. Après ça, il y a eu Jinny de mes rêves… Toutes ces séries ont joué un rôle énorme.

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Je ne m’attendais pas à ce que tu évoques Ma Sorcière Bien-Aimée.
Ouais, pourtant, ça tuait vraiment. Les effets spéciaux étaient dingues, pour l’époque.

Mais tous ces shows étaient essentiellement blancs, non ? Tu n’avais pas l’impression qu’ils représentaient une seule culture ?
Si, clairement. Mais tu piochais des inspirations ici et là. Dans Ma Sorcière Bien-Aimée, j’avais vu Endorra, la mère de Samantha, porter un dashiki. Je me suis dit : « Wow, la vache » .

C’est comme la première fois que tu vois La Planète des Singes, tu te dis : « Mortel, ils portent des sapes en cuir chelou et ils montent à cheval ! » . Mais quand tu grandis, ton esprit s’ouvre un peu plus, et tu commences à lire entre les lignes et à piger les messages qu’ils essayaient de faire passer.

C’était un truc vraiment fort - Charlton Heston qui s’imagine quitter la Terre pour aller sur une autre planète, mais qui ne sait pas qu’il y est toujours - il a juste voyagé dans le futur. Et d’un coup, ce sont les singes qui dirigent le monde. Et qui l’enferment dans une cage comme un cobaye - une métaphore de la manière dont on traite les animaux.

Seul l’ordre des Orang-Outans connait ce secret - mais ne l’a jamais dévoilé au reste de la population. Typiquement le genre de truc qui te retourne le cerveau.

À la fin des années 70 et au début des années 80, tu étais dans un trip « robot », avec ton costume et ton vocoder.
En entendant tous ces sons bizarres qu’on pouvait faire, on s’est dit qu’on pouvait faire notre propre version musicale de Au-delà du Réel ou de la Quatrième Dimension. On était même branchés sur les personnages de Dark Shadows : Barnabus Collins le vampire, Angelique la sorcière, les loup-garous, le Léviathan. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à l’occultisme, à la signification du nombre 666, tout ça.

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Un extrait de «

The Space is the Place

» , avec Sun Ra.

Il y avait un aspect politique, aussi : « L’homme noir ne peut pas être libre sur Terre, donc il s’en va dans l’espace » .
George Clinton s’inspirait des trucs qu’il avait appris grâce à la Nation de l’Islam et à l’honorable Elijah Mohamed, notamment à propos du « Vaisseau-mère » . Il a aussi repris quelques idées des anciens Africains, comme les Kémites et les Zoulous, qui déclaraient ne pas venir de la Terre, mais du Ciel.

Et je m’en sers aussi. Sly et oncle George m’ont fait traverser plusieurs idéologies grâce à la puissance du funk. J’ai mélangé ça à tous les films que j’avais vu, pour briser les codes. J’ai réalisé ça à un très jeune âge : c’est du fantasme et du divertissement, mais ton fantasme peut devenir ta réalité, et ta réalité devient ta virtualité. Tu peux être vivant mais rêver en permanence.

Ce que tu as dit sur l’Egypte est intéressant. Ce qui me branche là-dedans, c’est que tous ces mecs ré-imaginent le passé pour changer le futur. Comme dans « Renegades Of Funk » , le premier couplet parle de l’Histoire, et le second parle du futur et du cosmos.
Ben ouais : tu dois te rappeler où tu étais dans le passé, pour savoir où te situer dans le présent, et pouvoir choisir où tu iras dans le futur.

Prends le film Les Dix Commandements, par exemple. C’est l’un des premiers films qui m’a interpellé, et qui m’a fait m’intéresser à la sorcellerie et la magie. Moïse - qui était un véritable Kémite - dit avoir parlé au Grand Créateur. Et quand je dis Grand Créateur, je parle du premier rappeur, qui rappait pour les prophètes. Mais il ne savait pas à qui il s’adressait. Ça aurait pu être un ange, un buisson ardent, ou un OVNI. L’histoire dit juste qu’il était destiné à parler à Dieu : à Lui, Elle ou Ça. Grâce à ça, il obtient des pouvoirs.

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Donc il va voir Pharaon et lui dit « Hé mec, tu branles quoi là ? Je vais jeter ce bâton, et il va se transformer en serpent et te botter le cul » . Et c’est ce qui arrive. Pharaon regarde Moïse et lui fait : « Tu dis de la merde. Moi aussi, je peux le faire » . En voyant ça, j’avais envie d’avoir les mêmes pouvoirs qu’eux.

Tu as aussi fondé la Universal Zulu Nation, qui a 41 ans cette année. C’était quoi l’idée derrière tout ça ?
Ralentir la progression des gangs et rassembler les gens grâce à toute une communauté d’artistes. Après avoir vu le film Zoulou, où des indigènes se battent pour garder leur territoire face à l’invasion des impérialistes britanniques, je me suis dit : « Je vais me faire ma propre nation zoulou » .

À l’époque où beaucoup de gangs se formaient, j’ai toujours eu cette idée de zoulous dans la tête. Mais j’ai attendu le bon moment pour la sortir. On piochait des idées dans plusieurs idéologies : la Nation de l’Islam, les Black Panthers, les Young Lords portoricains… Plus j’avançais, plus je m’ouvrais à de nouvelles influences. C’est pour ça qu’il y a autant de gens qui veulent intégrer la Zulu Nation.

Dis-m’en plus.
Par exemple, on a un truc qui s’appelle les Leçons de l’Infini. Ça dit que la vie continue quoiqu’il arrive, et qu’il y a toujours une leçon à en tirer. Que la vie est aussi infinie que le Grand Créateur. Rien est tout et tout est rien. On préfère les faits à la croyance. Un système de croyance, tu ne le saisis jamais vraiment. Alors qu’un OVNI ou ce genre de trucs, tu le vois. D’une certaine manière, il est identifié, tu ne sais juste pas ce que c’est.

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Donc c’est pareil avec nos leçons. Elles sont basées sur des faits. Ok, Christophe Colomb a découvert l’Amérique. C’est la version de l’histoire la plus populaire. Mais quand tu trouves des faits qui contredisent cette version, tu deviens dingue.

Qui a découvert l’Amérique, selon toi ?
Beaucoup de gens ont été en Amérique bien avant ça. Les Maures y ont été, ils ont traversé tout le continent. Les noirs étaient le peuple indigène de l’Amérique, bien avant les Natifs. Les Vikings sont venus aussi. La plupart des gens croient que les Vikings étaient tous blancs, mais ils étaient métis blancs, noirs, Saxons, tout ça. Tout le monde croit que nous, les noirs, étions juste en Afrique, mais on était aussi en Amérique… Tu sortais du Maroc, tu atterrissais direct à New-York.

Il y a tout une mystique, un côté ésotérique, dans le hip-hop, avec Rakim et le Wu-Tang qui font référence à la Nation of Gods and Earths. Aujourd'hui, Jay Electronica est dans la même lignée. La Nation of Gods and Earth reste une idée de la Nation de l’Islam. La Zulu Nation, par contre, accepte des idées de la Nation of Islam, des 5 Percenters, des Chrétiens, des Hindous, des Bouddhistes. Nos leçons peuvent être enseignées par n’importe qui ayant fait des recherches. C’est flippant, parfois. Ça peut devenir mystique mais être basé sur des faits établis. C’est ça, le hip-hop : la compréhension.

Retournons à la science-fiction et la fantasy. Des gens comme Amiri Baraka et Alondra Nelson ont toujours clamé que la science-fiction est la métaphore la plus évidente pour décrire l’expérience de la population noire aux Etats-Unis : se faire kidnapper par des aliens, être confronté à l’inconnu, et être des étrangers sur une autre planète.

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Ça me parle. J’ai commencé à y réfléchir il y a un bon moment. N’importe quel humain regarde l’espace, le Soleil, la Lune, les étoiles, la Voie Lactée… Et se dit : « Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir là-haut ? » . Avant de se tourner à nouveau vers la Terre et de voir des trucs encore plus étranges.

Tu commences à réfléchir au fait qu’on est pas tous seuls. Les gens te traitent de fou. Où est la Terre ? En train de flotter dans l’Univers. Donc on est tous des extra-terrestres.

J’ai toujours trouvé chelou que ce qu’on appelle la « naissance du hip-hop » , c’est-à-dire ce que tu faisais, un truc vraiment psychédélique, utopique, et universel, soit à ce point différent de la réputation du hip-hop aujourd’hui : un truc de gangsters violents.
C’est la réputation qu’on essaye de lui donner. Si quelqu’un veut savoir ce qu’est le hip-hop et tombe sur un mec qui passe son temps à répéter « Pute, salope, négro » , oui, il va s’imaginer que le hip-hop se résume à ça. C’est à cause des directeurs de programme. Ils programment les esprits de la masse.

Mais si tu mélanges le neuf avec le vieux, et le vieux avec le neuf, ça n’est plus du old school ou de la new school. Ça devient la true school. Je m’en tape que ça soit du hip-hop, de la house, du rock, du jazz, de la soul, du classique, de la country. Mélange le neuf avec le vieux et le vieux avec le neuf, c’est tout.

Les gens ne regardent jamais l’ensemble du mouvement culturel qu’est le hip-hop. Ils disent que le hip-hop est mort. Je leur réponds : « Pardon ? » . Le hip-hop, en tant que culture, est toujours vivant. Le problème, c’est que les évènements hip-hop, partout dans le monde, se concentrent sur l’aspect rap, l’aspect commercial. Et pas le mouvement dans son ensemble.

Ils devraient ouvrir les yeux. Il y a des B-Boys, des B-Girls, des DJs, des MCs, qui enseignent tous leurs connaissances. Mais personne ne pense que ça vaut la peine. Ils veulent juste se faire du fric. Réduire le hip-hop à l’argent, c’est débile.

Dernière question. Dans les années 60 et 70, tout le monde voulait aller dans l’espace. Aujourd’hui, on a atterri dans le cyber-espace. Tu t’intéresses à ça aussi ?
Carrément. Je veux dire, tu te connectes sur le net à 21 heures, tu oublies que tu dois dormir, et à 5 heures du matin t’es toujours là, en train d’essayer de charger une vidéo.

Le cyber-espace peut t’emmener où tu veux, quand tu veux. Tu peux rester scotché au monde réel ou te barrer dans des univers virtuels… Et te faire piéger. Mais ça te permet de voir des trucs que tu ne verrais jamais sur notre planète. Il y a tout un délire de contrôle sur les gens, comme dans Matrix. Genre, tu commences à contrôler les machines et les machines finissent par te contrôler. Plus le temps passe, plus on s’enfonce là-dedans.