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La BD Hip-Hop Family Tree n'en est qu'à son deuxième volume mais elle fait déjà partie de l'Histoire

On a interviewé Ed Piskor, l'auteur d'une des séries graphiques les plus impressionnantes de ces dernières années, qui retrace l'évolution du rap de ses balbutiements à la fin des années 80.

Images publiées avec l'aimable autorisation d'Ed Piskor

Le Hip Hop Family Tree d’Ed Piskor (paru chez les impeccables Fantagraphics) est un véritable tour de force éditorial et culturel. Cette bande-dessinée retrace l’histoire du hip-hop, des tout débuts – qui ont été très peu documentés – à la fin des années 80. Raconter cette histoire dans n’importe quelle langue relève déjà du challenge ; la raconter en bande-dessinée tient carrément de la socrcellerie pure.

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Ed a déjà publié deux volumes de son arbre généalogique du hip-hop – il a signé pour 6 volumes en tout – dont les nouvelles pages sont publiés chaque semaine sur le site Boing Boing. Les premières vignettes avaient pour décor le 1520 de l’avenue Sedgwick dans le Bronx, qu’on a souvent décrit comme le lieu de naissance du rap. C'est l'adresse du centre communautaire où le DJ Kool Herc a eu pour la première fois l’idée de parler en rimes par dessus les disques qu’il jouait. De ces balbutiements a émergé une culture locale qui est aujourd'hui devenue un empire mondial.

Piskor a fait en sorte de revitaliser l’histoire en isolant certains moments-clés du développement du hip-hop – dont certains sont parfois aussi obscurs que cruciaux – et diverses anecdotes, qui ajoutent un peu de tension ou d'humour au récit. Ed aborde absolument tous les sujets, de la première apparition du rap dans l’émission Soul Train à la battle cruciale entre Kool Moe Dee et Busy Bee, en passant par la sortie du film Wild Style (1983) et la formation de Run-DMC. Et son sens du détail donne à l'ensemble une richesse et une vitalité impressionnantes. Chaque page est une bombe et, pris dans sa globalité, le livre a tout pour devenir un classique instantané.

Je suis allé à la rencontre d'Ed Piskor pour lui demander, entre autres, comment la communauté hip-hop avait réagi à ses BD et pourquoi il détestait les romans graphiques.

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Noisey : Quels sont tes plus vieux souvenirs autour du rap ?
Ed Piskor : Je suis né en 1982, donc le rap a immédiatement fait partie de mon environnement quotidien. Dans le quartier où j’ai grandi – qui était à prédominance noire – il y avait constamment des ghettoblasters qui diffusaient ce genre de trucs le long des trottoirs. Je me souviens du premier maxi de rap que j’ai chopé : c’était The Breaks de Kurtis Blow parce qu’il était sur une compilation disco que mes parents avaient. Je viens de Pittsburgh. Ce n’est pas New York City, mais à cette période, vers 85, 86, 87, le rap vivait une sorte d’âge d’or.

Comment la communauté hip-hop a réagi à ta BD ?
Vraiment bien, mec. C’est comme si le livre est officiellement entré la culture hip-hop maintenant, parce que plusieurs rappeurs m’ont contacté, ils veulent être sûrs que je raconte leur histoire quand j’arriverai à leur époque.

Du genre ?
De La Soul. Biz Markie. DMC aussi. Chuck D va retweeter mes trucs. Ça fait un paquet, mec… Certains de ces mecs vont tenter d’en dénigrer d’autres en prétendant que « Ce mec n’a pas jamais fait ça, il n’a pas fait ça non plus. » Donc je dois rester très critique quand on me raconte des trucs. C’est cool qu’ils m’appellent mais je ne suis pas certain de la pertinence ou de la véracité de certaines informations. Je crois que j’ai un bon bullshit detector. Si ça a l’air trop dingue et que je ne trouve personne pour me confirmer le truc, je l'écarte immédiatement du livre.

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La BD historique ou biographique est en pleine expansion depuis quelques temps. T’as une opinion là-dessus ?
J’y réfléchis pas beaucoup en fait. Je déteste les biopics et pour être honnête, je ne lis pas vraiment de BD de non-fictionnelle. Les seuls comics du genre que j'ai lu étaient des autobiographies. Il y a de la place pour tous les genres dans la BD de toute façon. Vu l’ambition de ton taf, je suis étonné que tu n’aies pas d’avis sur les gens qui font des trucs similaires aux tiens.
Je vais être honnête : je pense qu’ils craignent tous. Du coup, je me suis dit : « Faisons un truc qui tue ». C’est vraiment l’esprit. « Je vais montrer aux mooks comment cette merde se fait. » Tu peux utiliser cette citation de côté, ça me va. Tu as des valeurs extrêmes dans le domaine. Tu as le boulot de Joe Sacco. Tu as Maus d’Art Spiegelman. Et tout ça est incontournable, intouchable. Mais aujourd’hui, il y a un boum du roman graphique où des types essaient de réaliser ce genre de trucs pour des gros éditeurs new-yorkais. Et il y en a un paquet. Mais en général, comme pour chaque médium, il y a beaucoup de déchet, et il n’y a que quelques pièces qui valent le coup au milieu de tout ça. Ma devise, c'est : le mieux est l’ennemi du bien. Alors quand un truc est passable, c’est déjà un échec pour moi. Je fais en sorte de produire la meilleure BD possible. Ce raisonnement est valable pour les films, pour les romans – je n’ai simplement pas de temps à perdre avec des trucs qui méritent un 12/20.

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Tu utilises des sources autres que celles indiquées dans la bibliographie, surtout pour les interviews. Pourquoi tu ne donnes pas plus de crédit à ton boulot en indiquant toutes tes sources ?
Tous mes potes me parlent de ça et j’en ai vraiment rien à foutre de créer un truc qui devienne un genre de document académique ou quoi. Je ne suis jamais allé à l’université ; je ne sais même pas comment on procède pour ce genre de choses. Beaucoup de mes infos proviennent d’interviews sur Internet et de trucs comme ça. Donc je ne sais pas comment répertorier ce genre de sources. Je suis un vrai ignorant dans cette partie du boulot, mec. Et c’est le cadet de mes soucis. Ok, c’est cool que des profs de fac utilisent mes bouquins, mais moi tout ce que je veux faire, c’est un comic cool. C’est un autre niveau de travail. J’ai l’impression que ça me prendrait un mois entier pour regrouper toutes mes sources parce que depuis le départ, je n’ai rien documenté. J’essaie juste de faire mon truc et de prendre du bon temps, et cette partie du boulot est tout sauf fun pour moi. Ce n’est pas pour ça que je prends des libertés hein, quand ça arrive, je le signale immédiatement. Il y a cette image dans le premier livre où les Furious Five reçoivent leur première avance et foncent s’acheter des motocross. J’ai dessiné quelques personnages qui font des sauts bizarres etc, et je l’ai indiqué : « licence artistique ». Parce que comme tu te doutes, je n’ai aucune preuve que les Furious Five savaient jumper en moto.

A quelle époque ton intérêt pour le rap a commencé à décliner ?
Vers 93, 94, je dirais. Il a continué de diminuer depuis. J’ai six livres de côté maintenant, voilà sur quoi je me focalise. Je ne sais pas jusqu’où tout ça va me mener.

Tu comptes l’emmener jusqu’où ce projet ?
C’est impossible de te répondre parce que je continue à écrire et à assembler des trucs, je continue à trouver des choses visuellement intéressantes qui doivent êtes insérées dans le livre. Donc tout ce que je peux dire c’est que j’ai signé pour six livres et que j’en ai terminé deux, et que j’en suis à la moitié du troisième. Et vu comment ça évolue et la quantité d’informations que je possède, la fin du sixième livre n’ira probablement pas au-delà de 1987. Qu’est ce qui te fait croire que les origines du rap méritent autant d’honneur ?
C’est l’histoire d’une communauté, de la construction d’un monde. Quand Kool Herc organisait des fêtes au 1520 Sedgwick, tout le futur du hip-hop était là. Le hip-hop tel qu’on le connaît provient d’un périmètre vraiment restreint du South Bronx. Les gens étaient tous en relation les uns avec les autres. C'était la clé. C’était comme une cocotte-minute, toute cette énergie contenue. Et si tu t’amuses au jeu des six degrés de séparation, tu peux tracer des liens entre toutes les personnes qui se retrouvaient au 1520 Sedgwick. Voilà en quoi consiste l’exercice : présenter tous ces pionniers et montrer à quel point ils étaient tous connectés les uns avec les autres.

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