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Music

N'allez surtout pas vous imaginer que Gum Takes Tooth est un groupe comme les autres

Le duo anglais nous parle de musique industrielle, de polyrythmies, de provocation et de politique, à quelques heures de son concert au Humanist SK Festival.

D'une certaine manière, la noise, c'est comme la techno, le punk et le porno gonzo : tout y est devenu tellement codifié que les nouvelles formations ont désormais bien du mal à tirer leur épingle du jeu et exciter les oreilles sans passer pour des vulgaires détrousseurs de cadavres. Les anglais de Gum Takes Tooth, souvent bêtement présenté comme la rencontre entre Lightning Bolt et Fuck Buttons se joue des étiquettes aussi facilement que Gucci Mane enregistre des nouveaux morceaux en prison et offre enfin un début de réponse à l'éternelle question posée par la musique dite « expérimentale » : comment cuisiner un plat mangeable et un tant soit peu original avec des restes qui datent de plus de trente ans ?

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Noisey : Tu peux nous raconter les débuts du groupe ?

Jussi :

Tom (batteur) et moi on n'est pas vraiment un groupe. Je bidouillais de mon côté avec une guitare et une boîte à rythmes. Je bricolais des sons disco un peu cheap. Et puis avec des synthés j'ai expérimenté pour trouver des sons que personne n'avait trop utilisé et Tom jouait de la batterie par dessus. On s'est mis à faire beaucoup de bruit et produire un son très massif. Et c'est devenu Gum Takes Tooth.

Quelles sont vos méthodes de production ?

Tout part d'improvisations. C'est souvent moi qui amène une idée et Tom me suit et on voit où ça nous emmène. On joue ces embryons de morceaux en live et on essaie de les structurer. On fait tout nous mêmes. On a un home studio maintenant, et j'ai fait toute la production du dernier album moi même. Mais sur le prochain j'aimerais travailler avec un producteur extérieur, confier un peu les clés à quelqu'un.

L'énergie du duo vous convient ? J'ai vu que vous aviez parfois des membres additionnels.

Oui, parfois on a eu des membres qui s'ajoutaient en live -souvent des batteurs pour amener une énergie supplémentaire- mais le noyau dur c'est vraiment nous deux. Ce que j'aime dans le duo, c'est le côté physique que cela requiert. Il y a aussi des limites, ce que je trouve plutôt bien quand tu fais de la musique.

On vous considère souvent comme un groupe indus. Ça vous plaît d'être rattachés à cette esthétique et à son héritage ? Je pense notamment à la tradition indus anglaise.

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La musique indus anglaise, Throbbing Gristle en particulier, a eu un impact énorme sur moi. Je ne pense même pas que je jouerais dans un groupe si je n'étais pas tombé sur leurs disques quand j'étais gamin. The Residents m'ont pas mal marqué aussi. Ça m'a donné envie de faire ce type de musique arty et avant-gardiste. Après c'est la musique qui m'a touché, pas forcément l'esthétique générale (les pochettes, les looks, les photos etc.) Mais le côté très brut est génial.

Je ne me sens pas du tout touché en revanche par la deuxième vague de groupes jouant cette musique, comme Ministry ou Skinny Puppy. Mais l'envie de faire de la noise avec des synthés est vraiment venue de cet héritage, c'est sûr. Dans la première vague de groupes indus il y avait cette volonté que les machines sonnent comme des machines et pas qu'elles reproduisent le son d'un instrument acoustique. Cette envie de créer des sons nouveaux, qui ne rappellent rien d'existant, est la même qui anime notre groupe aujourd'hui.

Quelle est votre éthique en tant que groupe ? Et votre vision du succès ?

Tom :

Ma seule notion du succès c'est de sortir des disques. Si je pouvais gagner de l'argent avec ma musique ce serait génial, mais je ne me fais pas d'illusions là dessus.

Jussi :

On sait qu'on ne gagnera jamais d'argent avec le groupe. Pour moi le succès c'est de pouvoir créer sans restrictions. Sortir des disques en totale indépendance, sans que personne n'intervienne dessus, c'est ça mon but. Tout ce qui est chiffres de ventes, de downloads, vues des clips ou nombre de couverture de magazines, ça ne m'intéresse pas. Il ne faut pas confondre succès et popularité.

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Il y a une grosse influence tribale dans votre approche du rythme. On pense souvent aux Boredoms mais aussi aux percussions sud américaines ou africaines traditionnelles.

Tom :

C'est assez spécial car ma batterie est reliée aux synthés. Le rythme n'est pas un accompagnement pour le reste de la musique mais vraiment le noyau central de nos morceaux, c'est ce qui la guide et la définit. La musique tribale m'influence beaucoup en effet, notamment celle venant d'Afrique ou d'Amérique du Sud. Par exemple, cette envie de pousser les beats au devant de la musique m'a été inspiré par la samba brésilienne.

Jussi :

Sur le dernier album, il y a beaucoup de polyrythmies inspirées directement par la musique traditionnelle africaine ou cubaine. On aimerait retourner à la source de ces musiques et en donner notre vision. Après ce n'est pas réfléchi non plus. On écoute beaucoup de choses et on se laisse imprégner. Ces rythmes viennent ensuite comme ça. On essaie de faire rentrer des sons et structures énormes dans un trou de souris.

Pas mal de groupes noise ou expérimentaux détournent les codes de la musique électronique, notamment de la dance music. Quelle relation vous entretenez avec cette musique ?

J'ai beaucoup écouté de dance music et de techno, mais des choses plus old school. J'aime beaucoup le son des vieilles boîtes à rythmes techno par exemple. J'ai grandi en allant dans les clubs, c'était la grande époque acid . En grandissant en Angleterre, la club culture a forcément une influence énorme sur toi. J'aime beaucoup ces grandes messes dans un lieu gigantesque où tout le monde perd la tête sur de la musique synthétique et hypnotique.Il n'y a même pas de groupes, il y a quelque chose d'hyper fort dans cette liberté et cet abandon. Musicalement, la vision très minimale de la musique techno m'a pas mal touché aussi, cette façon d'épurer les choses au maximum…

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Tom :

Moi, j'ai grandi en détestant la musique électronique [

Rires

]. Je trouvais ça tellement répétitif… Après je vivais en Norvège donc je n'ai pas ce background anglais dont parle Jussi. J'étais beaucoup plus dans le metal. Mais toute l'époque jungle m'a marqué en tant que batteur.

Récemment il y a un eu une levée de boucliers médiatiques contre le label anglais Berceuse Héroïque et son fondateur Kemal [tout a démarré par un tweet pervers où le boss du label affirmait avoir suivi trois heures une fille dans la rue parce qu'il aimait ses fesses . Les médias s'en sont ensuite pris aux images de mort et de violence qu'il utilise pour illustrer les sorties du label]. Vous pensez que la provocation a toujours un sens dans la musique aujourd'hui ?

Tom :

Ha oui, le label qui utilise des photos d'exécutions d'esclaves sur ses pochettes, je vois.

Jussi :

La provocation c'est pour moi chercher une réaction sans trop réfléchir. Il peut y avoir des provocations subtiles, ce que je trouve intéressant. Utiliser le choc comme tactique est sûrement cathartique pour certaines personnes mais ça révèle aussi un peu le vide de l'Art que tu produis. Je ne connais pas trop ce label mais d'un autre côté, je pense que chacun devrait être libre de s'exprimer. Et personne ne devrait subir ce genre d'ostracisme parce qu'il s'exprime.

Gum Takes Tooth est-il un groupe politique ?

Jussi :

Mes paroles ont toujours une portée politique. Mais je suis contre l'idée de dogme qui voudrait que l'artiste impose son message à l'auditeur. Notre idée c'est de sortir du slogan pour laisser ouvert le champ de l'interprétation. Donc oui, Gum Takes Tooth est un groupe politique avec un message social. Nos morceaux évoquent la désillusion, la violence, la peur mais en même temps transcendent tout ça grâce à la psyché et à nos expériences d'une manière qu'on voudrait un peu magique.. La vie en société est politique, tout est politique, mais ce n'est jamais tout noir ou tout blanc et c'est à chacun de se poser les bonnes questions et de se faire sa propre réflexion.

Est-ce que tout n'a pas été dit dans la musique expérimentale aujourd'hui ?

Non, loin de là ! Bien sûr, on arrive à un stade où l'histoire de la musique ne peut pas être oubliée. Mais les possibilités restent infinies. Je trouve qu'on vit une période très créative en musique. Les frontières entre les genres sont complètement explosées. On sera toujours surpris. Un gamin va arriver et proposer un truc dingue qu'il a en lui et mettre tout le monde sur le cul, en se fichant royalement de ce qui s'est fait avant. C'est un mouvement perpétuel. C'est ce qui s'est passé avec le grime en Angleterre Une bande de gosses ont pris des loops gratuits sur internet et créé une musique nouvelle, sortie de nulle part. Il y aura toujours des gens pour se foutre des règles et de l'histoire de la musique.

Gum Takes Tooth sera en concert ce samedi 3 octobre à Petit Bain, dans le cadre du Humanist SK Festival, aux côtés de Part Chimp, Headwar et Tarnowska.