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On est allés passer un moment avec Gary Young, le premier batteur de Pavement

C'était le type le plus cramé de toute la scène indie-rock dans les années 90. Il a aujourd'hui 62 ans et vit reclus dans la banlieue de Stockton avec tous ses secrets.

Pavement en 1992, au Reading Festival. Gary Young est au centre.

Stockton, Californie, se traîne une réputation de ville où il ne fait pas vraiment bon vivre. En effet, elle a été plusieurs fois désignée comme étant la ville la plus pourrie d’Amérique du Nord par le classement Forbes. C'est donc assez logique que Stockton soit devenue, en 2012, la plus grosse ville en faillite des Etats-Unis. Au-delà de cette triste réputation, Stockton est une ville qui vit principalement grâce à l'agriculture et qui a vu naître Chris Isaak, Dave Brubeck, Lord Buckley ainsi que les piliers incontestables de l’indie-rock, Pavement. Début août, Matador Records a sorti The Secret History Vol.1 de Pavement, un double-LP qui compile faces B, sessions inédites et raretés diverses, enregistrées au début de la carrière du groupe. Pavement a été l'objet des pas mal de rééditions ces dernières années, mais celle-ci nous ramène à la case départ, là où tout a commencé, « Straight Outta Stockton ».

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Je suis né et j’ai grandi à Stockton. Quand j'étais gamin, j’ai eu plusieurs fois l'occasion de voir Pavement répéter dans leur garage, sur Waco Way, un coin rural du nord de la ville. Leur musique était atroce, mais j’étais hyper jeune et je découvrais tout juste MC Hammer. Pavement était le seul groupe du coi à avoir fréquenté mon lycée à Lodi, la ville d’à côté - ce qui faisait d’eux les types les plus cool du coin. Chi Cheng de Deftones a aussi fréquenté mon lycée, il habitait à quelques rues de Stephen Malkmus et Scott « Spiral Stairs » Kannberg, les co-fondateurs de Pavement, dans la banlieue chic de Morada.

L'Histoire de Pavement a commencé pendant les vacances de Noël 1989, quand Malkmus et Kannberg, alors à l’université, font écouter une poignée de morceaux de leur composition à la légende locale, Gary Young aka The Plantman, un punk ultra-cramé et plus tout jeune qui les acceuillera dans son garage et les accompagnera à la batterie pendant 4 ans. Le jour où ils se décident à enregistrer les morceaux, un fou furieux ouvre le feu dans une école primaire de Stockton. Il tue 5 enfants et en blesse 32 autres. Le titre de leur premier EP, Slay Tracks (1933-1969) n’est probablement pas une coïncidence.

Chaque hiver, je quitte le froid de Montréal - où je vis aujourd'hui - pour rejoindre la grisaille de Stockton. Il m'arrive régulièrement, lors de ces visites, de croiser Gary Young et de prendre un verre ou deux avec lui. Gary a désormais 62 ans. Il se tient tout courbé car son corps a été amoché par les nombreux sauts qu'il a faits, plus jeune, depuis les toits, mais ça reste un type fascinant. J’ai passé quelques jours chez lui, dans la maison qu’il occupe depuis 1993 avec son amour de jeunesse, Geri. Gary Young est une sorte de fantôme, retranché dans la banlieue lointaine de Stockton, bordée par les vergers de cerisiers et de noyers de Spanos County. Il accumule tout un tas de trucs chez lui, mais pas franchement à la manière dont le ferait un collectionneur, si vous voyez ce que je veux dire. C’est un mec vrai, et on le sait dès le premier regard. Il a toujours des yeux brillants d’adolescent et un large sourire aux lèvres. Il ne le sait peut-être pas, mais quand on tape « meilleur album indie de tous les temps » dans Google, on tombera sur Slanted And Enchanted, le premier album de Pavement, qu'il a enregistré et sur lequel il joue de la batterie. J’ai profité d'un de mes passages au bercail pour lui poser quelques questions sur sa carrière avec Pavement, sa rencontre avec Kurt Cobain et son passé de gymnaste.

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Noisey : Tu es un alcoolique notoire. C’est quoi ta consommation d’alcool quotidienne ? À quoi ressemble ta journée type ?
Gary Young : Aujourd’hui, je me limite à 2 bouteilles de 200ml de whisky Seagram's par jour, plus une bière. Je me sens bien, la plupart du temps. Tu sais qu’au cours de ma vie, j’ai pris de l’acide 65 fois ? Tous les matins, je prends ma bagnole pour être à l’épicerie à 6 heures, pour l’ouverture. Puis je traîne avec des fermiers du coin, aux environs de Linden - la ville des Speed Freak Killers [deux tueurs en série actifs ente 1984 et 1999]. Dans mon jardin, j’ai installé un studio d’enregistrement dernier cri - il marche avec une télécommande et le son défonce. Je possède aussi pas mal d’amplis cool et un tas de micros. Sinon, je me balade beaucoup dans des quincailleries et j’achète des trucs. C’est grâce à ça que j’ai pu mettre au point et breveter mon amortisseur pour support micro anti-chocs, le Universal Shock Mount. Je le vends 27 dollars et c’est une taille universelle, les autres amortisseurs sur le marché - ceux qui ressemblent à des araignées - sont beaucoup plus chers. Je les fais tout seul, entièrement à la main et je les envoie par colis aux distributeurs ou aux clients directement, lorsqu’ils commandent en ligne. J’en ai vendu près de 13 000. Si je me bouge vraiment, je peux en fabriquer 10 par heure. C’est dans mes gènes, mon père était inventeur et technicien en aéronautique, il a aidé à construire le Spruce Goose [l'hydravion Hughes H-4 Hercules, plus gros avion au monde, dont le premier vol a eu lieu en 1947]. Un drapeau américain a été hissé en son honneur au dessus du Capitole.

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Le magazine Stylus t’a mis dans son classement des « 50 meilleurs batteurs de rock de tous les temps » et ton album solo a figuré dans un épisode de Beavis and Butthead. C’est énorme !
Il m’ont mis en 42ème position, sur 50. Evidemment, je n’allais pas battre Keith Moon. Tous les batteurs qui me suivent dans le classement méritent d’être avant moi. Ce journaliste est un demeuré et puis cet article est assez obsolète. C’est appréciable, mais je ne pense pas que ce soit vraiment mérité. Je suis un peu has-been. J’avais entendu parler de ce truc de Beavis and Butthead, mais ça ne m’a jamais servi.

Tu as organisé beaucoup de concerts à Stockton dans les années 80. Tu te rappelles des groupes que tu as booké ?
La vérité c’est que j’étais le seul à avoir plus de 21 ans pour pouvoir louer les salles des fêtes mexicaines du coin et signer les papiers ! J’ai fait jouer les Dead Kennedys, Circle Jerks et un autre groupe connu dont le nom m’échappe là. [Longue pause] Black Flag, voilà. J’avais aussi booké ce groupe hyper cool de San Fransisco, Crime. Ils se sont pointés habillés en flics, avec l’uniforme bleu. J’ai logé les Dead Kennedys chez moi. Je t’assure, Jello Biafra est aussi dingue que tu pourrais l’imaginer. Quand je me suis réveillé le matin, il était en train de faire des exercices de gainage dans le salon, à même le sol.

Quelles ont été tes premières impressions sur Pavement et Malkmus ?
J’étais dans un groupe appelé The Fall Of Christianity avec Brian Thalken de The Authorities. Stephen et Scott se pointaient à nos concerts. Ils sont aussi venus dans mon studio/garage, où j’ai enregistré leurs premiers EPs ainsi que l'album Slanted and Enchanted. Au début, ils n’avaient pas de batteur donc je me suis invité et je suis rentré dans le groupe. En fait, la première fois que je les ai écoutés, je n’ai pas compris. J’avais dit à mes amis de New York que je venais d’enregistrer un album vraiment bizarre et franchement indescriptible. Trois ou quatre ans plus tard, je me suis rendu compte qu’on avait vraiment enregistré un truc important. J’ai mis du temps à réaliser. Pour ma défense, je te rappelle que Yes est mon groupe préféré.

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_Proto-Pavement: les jeunes Stephen Malkmus et Scott Kannberg. Photo _-__ Conrad Matsumoto.

Tu as participé à combien de concerts et de tournées avec Pavement ?
J’ai dû faire 500 concerts avec eux, 5 tournées aux USA et peut-être trois tournées mondiales.

Tu t’es fait virer de tes propres concerts combien de fois ?
Au moins sept fois.

Tu es un ancien gymnaste et tu étais connu pour faire le poirier en plein concert. Tu filais aussi des cadeaux à tous les fans qui faisaient la queue devant les salles de concerts. Ça faisait chier le groupe ?
Je faisais le poirier pendant que Malkmus chantait ses morceaux. Je restais sur ma tête le plus longtemps possible. La foule m’applaudissait et m’encourageait jusqu’à ce que je perde l’équilibre. Ça devait faire chier Malkmus, ouais. Le groupe ne voulait pas que je sois trop en avant - ça risquait de donner une image peu représentative du groupe. Le truc c’est que la plupart des fans et des magazines comme le NME voulaient me parler à moi et me prendre en photo moi, pas eux. J’étais le dingue du groupe et Malmus était le mec malin qui composait de belles chansons. Parfois, je m’arrêtais de jouer en plein concert et je demandais au public de me ramener un cocktail. Je me mettais à l'entrée des salles de concert et je distribuais un souvenir à chaque fan qui était dans la file. Et je reprenais ma place à la fin du concert pour remercier tout le monde d’être venu. Puis c’est devenu de plus en plus bizarre. J’ai commencé à leur distribuer des légumes. Le seul qui m’aidait à faire ça c’était Thurston Moore, et j’adorais ça. Un jour, on était en Allemagne avec Sonic Youth et plus de 5000 personnes s’étaient pointées pour le concert. J’avais trouvé des choux gros comme des ballons de basket, je les ai découpé avec un gros couteau de cuisine et j’en ai filé un morceau à chaque personne qui passait les portes de la salle. Je suis à moitié Allemand, mais les Allemands n’ont pas beaucoup d’humour et je me suis fait virer par deux grands blonds à l'allure militaire. Ils ne voulaient plus me laisser rentrer mais j’ai réussi à me faufiler par la porte de service. Je me suis rendu compte que j’étais un vrai comédien et je ne faisais qu’amuser nos fans.

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Une fois, on a joué un concert à Londres devant 250 personnes, donc j’ai acheté 250 timbres de 1 centime et j’ai collé un timbre sur le talon de chaque ticket. Ce soir là, John Peel était venu à notre concert et je lui ai aussi timbré son ticket.

Tu savais qu’on a retrouvé un single de Pavement dans la boîte contenant les disques préférés de John Peel quand il est mort ? Il y avait 143 singles dedans, dont un des Beatles. Il y a un documentaire dédié à cette collection. Ça a dû te faire hyper plaisir.
Attends, John Peel est mort ? Je ne savais pas.

Pavement avec Gary Young au Reading Festival en 1992.

Puisqu’on parle de célébrités défuntes, il me semble que tu as aussi rencontré Kurt Cobain ?
On a fait la première partie de Nirvana au Reading Festival de 1992. J’étais dans la caravane qui nous faisait office de dressing room et il y avait un kid assis sur le canapé avec Kannberg. J’ai déconné avec le kid pendant une vingtaine de minutes et Kannberg m’a demandé si je savais qui c’était. Je lui ai répondu que non et il m’a dit « Kurt Cobain ». Je ne savais pas du tout qui il était. Il m’a ensuite expliqué que c’était le chanteur de ce groupe, Nirvana, que je ne connaissais pas non plus. J’ai marché trois bungalows plus bas et une grande femme blanche, grosse et moche, a hurlé « GARY ! » et m’a embrassé sur la bouche. C’était Courtney Love et on m’a dit que c’était la femme de Kurt. J’étais très embarrassé à ce moment, je ne connaissais aucun de ces gens. Pour info, je n’ai jamais galoché Courtney, elle m’a juste embrassé sur la bouche.

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Vous travailliez comment avec Pavement ?
Kannberg s’occupait de toute la paperasse. Malkmus écrivait la plupart des morceaux. Je jouais de la batterie et je me chargeais de tout enregistrer.

Ils ont dit que tu avais quitté le groupe, mais toi tu soutiens qu’on t’a viré. Il y a eu un malentendu ?
Je ne devrais pas le dire mais, à l’époque, il y avait pas mal d’argent autour de Pavement et j'ai commencé à flipper qu'ils me la fassent à l'envers, tu saisis ? Mon frère est chef d'orchestre - il a gagné 3 Grammy Awards - et il m’a mis la pression pour que j'aie un vrai truc signé, sur papier. Eux avaient 20 ans et aucun plan sur le long terme. Moi, j’étais le plus âgé du groupe. Mais je veux pas faire mon connard pour autant, j’aimerais être pote avec ces mecs. Tu sais, j’ai encore des rentrées d’argent liées à tout ça, mais rien qui paye les factures.

Gary Young et l'auteur de l'article.

Récemment, Bob Nastanovich, avec qui tu jouais dans Pavement, a déclaré t'avoir mieux compris, en vieillissant. Ça t’a fait quelque chose ?
Ça m’a fait plaisir. Bob était témoin lors de mon mariage.

Pavement n’a jamais eu de manager, ils étaient très DIY. Ils ne voulaient pas être les prochains Nirvana ou Weezer. Ça t’embêtait toi ?
Ca veut dire quoi DIY ?

Do It Yourself. C’est tout toi, Gary.
Ouais, c’est tout moi. Je me disais juste qu’on aurait pu se faire plus d’argent si on avait été plus présents dans les magazines, mais à l’époque, le groupe s’en foutait. Au bout du compte, j’ai eu tort. Ils ont réussi.

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Tu leur parles encore ?
Pas vraiment. Scott m’avait invité à sa soirée de fiançailles et il m’avait dit qu’ils me prendraient avec eux sur leur tournée de reformation en Europe. Mais ils ne l’ont pas fait. Ils m’ont quand même invité à jouer quatre morceaux lors de leurs concerts à Stockton et Berkeley.

Tu as dit que Steve West, le batteur qu’ils avaient engagé pour te remplacer, était un type génial mais un batteur complètement nase.
C’est vrai mais je ne lui ai jamais dit en face. Si je vois un batteur et que je suis incapable de faire ce qu’il fait, c’est qu’il est meilleur que moi. C’est comme ça que je juge un batteur.

Dans un épisode récent du podcast WTF with Marc Maron, Malkmus a avoué que, de toute sa dcarrière, sa séance d’enregistrement préférée, c’était avec toi à Stockton. T’en penses quoi ?
Est-ce qu’il pourrait vraiment dire le contraire ? Dis-lui de se bouger à Stockton et on enregistrera un autre putain de bon album. Je suis sérieux. On a fait le meilleur album de toute les années 90, on peut bien en refaire un. Je suis prêt !

Quel est ton disque préféré de Pavement sans toi à la batterie ?
Crooked Rain est cool. Reprendre Dave Brubeck dans « 5 - 4 = Unity », c'était mon idée. Le titre de leur album Wowee Zowee vient aussi de moi, c’était un truc que j'avais l’habitude de dire. Et parmi ceux sur lesquels tu as joué ?
Watery, Domestic est celui que je préfère. Tu penses qu’un jour on entrera au Rock and Roll Hall of Fame ?

Ouais, mais tu seras mort d’ici là.
On y sera quand même avant Sonic Youth, non ?

Mec, je suis de Stockton, Pavement sera toujours premier.

Mikey B. Rishwain est directeur de la programmation du festival M for Montreal. Vous pouvez le suivre sur Twitter.