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Music

On a été vérifier que l'expérience précède l'essence au fin fond du Canada

Trois jours au Festival de Musique Émergente à Rouyn-Noranda en compagnie de Deerhoof, Duchess Says, Ropoporose, Corridor, Jeanne Added et les professionnels français de la musique.

Toutes les photos sont de Christian Leduc.

Pas mal de gens m'avaient déjà parlé du festival FME, sorte de passage obligé des pros de la musique et des journalistes, bloggers et autres moucherons qui pullulent autour de la confiture offerte par les festivals musicaux. En 2015, on ne va plus à un festival pour voir des groupes, on y va pour l'expérience. Pas dans le sens du Burning Man (quoique) mais dans l'idée que vu que 90 % des évènements rassemblent les mêmes formations, le public va choisir sa destination avec en tête le site, la bouffe, le prix de la bière, le potentiel de péchoitude et la qualité de la drogue de synthèse. Comme je ne suis ni meilleur ni différent de la masse informe de l'humanité, j'ai décidé de partir au fin fond du Canada voir des groupes que je ne connaissais pas et d'autres que j'avais vu 5 fois pour tester « l' expérience du FME ». Voilà ce que j'en ai retenu.

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L'été à Montréal a un côté très irréaliste. Je n'ai jamais compris pourquoi. Peut-être parce que les ruelles désolées qui brûlent au soleil et les punks à tatouages faciaux qui envahissent la ville donnent une impression de « it's the end of the world as we know it and I feel fine ». Et ce n'est forcément pas à 5h40 du matin après un vol de 8h et une nuit de 3h qu'on va se sentir en prise avec le monde réel. Après une nuit express donc, je descends rejoindre mes collègues du music biz pour prendre un car scolaire et accessoirement la route afin de rejoindre le site du festival situé en Abitibi. Traversée des territoires autochtones incluse.

Un certain nombre d'entre nous refusent de vieillir . Les frères Bogdanov en font partie.

Un certain nombre de gens aiment également s'arracher la tête en deux avec des substances plus ou moins licites et nocives. Gérard Depardieu en tête.

Et bien cette étrange faune formée par les professionnels de la musique cumule ses deux mandats obstinément. Il y a donc forcément un gros côté régressif à se trouver dans un car avec 80 pros français invités par le festival. L'idée étant bien sûr qu'en les faisant assister à un Festival de Musique Emergente ils auront la bonne idée ensuite de programmer des artistes canadiens dans les salles et festivals que vous fréquentez en territoire gaulois. Première sortie de route pour moi, je me retrouve à cohabiter dans le bus avec un gentleman en sortie d'after qui essaie de me câliner tout le trajet et sent un peu le sous sol de la Méca à 2h01 un samedi soir. Je lui propose en toute simplicité de garder toute la place et m'installe avec Charles Crost, invité en tant que blogger mais que vous avez déjà croisé ici ou ailleurs avec son label le Turc Mécanique.

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La route est longue, longue, longue. Des lacs, des arbres, des camions. Des gens qui pètent les plombs par manque de nicotine. Des discussions sur la drogue (beaucoup). On bitche sur les collègues. Je finis par prendre la défense du photographe Robert Gil, je ne sais même plus pourquoi. Qu'est ce que je fais là ? Qui suis-je ? Est-ce qu'avec la chute d'American Apparel je vais pouvoir revendre mon hoodie sur discogs ? Voilà un peu où en est quand on arrive enfin à Rouyn-Noranda (oui on est toujours au Canada). « Je voyais ça moins déprimant, pas vous ? » lance Richard Bellia (mais si, le photographe, ostie de calice !). Silence. Les pros habitués du festival rassurent tout le monde « Ca va être super. » On pose les sacs, on récupère nos pass et on s'assoit pour boire une bière. Premier échange cocasse entre notre petite bande « presse » française et les homologues québécois. Je revis intérieurement mes voyages scolaires en Angleterre. Charles a le sens du premier contact. On a tous eu un pote comme lui, « qui brise la glace ».

Rouyn-Noranda (soit deux communes collées l'une à l'autre) est une ville neuve comme le Canada en compte des dizaines, installée autour d'un gisement de cuivre, qu'exploitent ses habitants mais qui aussi apparemment les rend malades (Rouyn était la 10ème ville la plus polluée du monde dans les années 70, m'apprend un collègue). On comprend donc vite le potentiel de redorure de blason offert par un festival de musique et la débauche de moyens qu'on lui accorde. Difficile de ne pas penser à Springfield, la ville des Simpsons en se baladant dans ce décor de cinéma. L'énorme usine et la cheminée qui crache une fumée inquiétante surplombe la ville et son lac où on nous recommande de ne pas tremper le moindre orteille.

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Première étape du soir, l'Agora des Arts, soit une petite église dans le centre ville, désacralisée comme souvent au Québec et transformée en salle de spectacles. Ce soir, les organisateurs ont eu l'idée moyenne de remplir la salle de chaises (ventes de billets un peu insuffisantes apparemment). Un collègue assez mal intentionné soumet l'hypothèse que l'idée est plutôt de permettre aux pros jetlaggés de se poser tranquillement. Un peu dommage pour l'ambiance générale de la soirée et surtout les groupes qui se retrouvent catapultés sur la scène type Taratata là où il s'attendaient à capoter devant des québécois en sueur. Totoro est le premier groupe à monter sur la petite scène. Les ayant déjà vus je ne suis pas surpris. C'est carré, ça sonne mais ça reste une version un peu sucrette des ténors du genre (Envy ou Make Believe, au hasard). Certains morceaux tirent vers le shredding tropical ala Tortoise, mais je reste un peu de marbre. L'attitude scénique très poseuse n'aide pas trop non plus. Pas très communicatif, les Rennais tentent tout de même une imitation un peu foireuse de l'accent québécois. On imagine que ce n'est pas facile de jouer devant des gens assis et fatigués mais comme lancement de festival on a connu mieux.

Après une pause Jameson-ginger ale, on attend patiemment la montée sur scène de Deerhoof. Leur dernière apparition parisienne avait pas mal déçu, complètement éclipsée par le set bulldozer de Pneu en première partie. J'attendais donc de retrouver le Deerhoof des grands soirs. Et malheureusement, on a assisté à un set un peu demi-molle. Les sketchs à rallonge de Greg Saunier parlant français n'aident pas. Le set est poussif malgré les tubes qui arrivent aux 2/3 du set. La salle se scinde en deux : les déçus qui partent et les fans inconditionnels qui se lèvent. Les passages noise à la guitare sauvent heureusement les longueurs. Pas vraiment un mauvais concert en soi mais de la part d'un groupe qui a tutoyé les sommets, on est en droit d'attendre plus.

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On se rend ensuite au bien nommé Cabaret de la Dernière Chance, un gros café concert plutôt agréable avec une terrasse et des verres bien servis. Tout le monde nous a chuchoté d'aller voir Puts Marie, révélation de je ne sais plus quel autre festival. La salle est blindée et les gens ont l'air fans. Le groupe sur scène joue un rock classique (mais pas un classic rock) plutôt bien gaulé, ça manque un peu de son et ça se regarde jouer. Le chanteur, sosie d'Adam Goldberg, en fait des caisses dans le registre « fiévreux », un peu dommage. Difficile de comprendre l'emballement autour de ce genre de projet et on ne peut s'empêcher de réfléchir à l'effet d'entraînement des convois de programmateurs français envoyés sur les festivals à l'étranger qui se montent la tête sur (presque) rien. Fin de soirée écourtée par une montée de jetlag aussi désagréable qu'une descente de quoi que ce soit.

Le lendemain, on se rend au brunch organisé par Bonsound, étiquette montréalaise (comprendre label) et qui chaque année loue une maison au bord du lac et invite les pros à dîner (comprendre déjeuner) lors d'une petite pool party. Un bon moment pour faire du business, non ? Ambiance très cool, maïs chaud (un peu différent de ceux de Château Rouge cependant), punch, bière. Etrange situation de se faire autant rincer quand d'autres crèvent la dalle aux infos. Mais on ne va pas enfoncer des portes béantes, vous n'êtes pas là pour ça. Le soir, on rejoint le site principal et la surprise est bonne. Scéno plutôt bien foutue, ambiance fête populaire et surtout peu de branding. Les marques sont discrètes et ne donnent pas trop l'impression de se promener à (…mettre ici le festival que vous trouvez le plus vendu au grand capital). Des DJ's bros passent un remix EDM de « Voyage Voyage » de Desireless, quelques cougars en bottes des grands soirs twerkent en souriant.

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On se rend dans la grande salle et on assiste à la fin du set de Poni qu'un collègue regarde avec dégoût, « on dirait du rock espagnol ». Le racisme ordinaire est vraiment partout. Ponctuation, groupe garage originaire de Québec City monte sur scène. Si John Dwyer touchait un piastre (comprendre un euro) pour chaque minute où un gonze lui pique son style et son son, il serait sûrement en train de se dorer la pilule aux Bahamas. Le leader qui ressemble de loin à Kramer de Seinfeld, assure cependant plutôt bien. Set honnête qui suce un peu Blues Explosion et Thee Oh Sees donc mais efficace et divertissant. On ne va pas faire nos blasés c'est jusqu'ici le meilleur truc vu durant le festival.

Duchess Says

Duchess Says se prépare à jouer et l'excitation monte clairement d'un cran. Si vous avez déjà vu le groupe montréalais, vous connaissez le degré de guerre civile que sa frontwoman est capable de déclencher. Pour l'avoir vue successivement vandaliser une boutique Nespresso, retourner la gay pride de Montréal et frapper un convive avec une baguette de pain lors d'une soirée d'Halloween, j'étais convaincu de me prendre une fessée. Et… ça été plutôt le cas. Les nouveaux morceaux sont moins axés synth punk et plus noise rock mais le groupe continue d'être sur le podium des formations les plus excitantes à voir sur scène. Annie-Claude avec ses pupilles de furby déroule un long rouleau de tissu sur le public qui ne sait pas trop quoi en faire mais pleure de rire à la manière de Joachim Phoenix dans Inherent Vice.

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Retour au Cabaret de la Dernière Chance pour voir Ropoporose, autre groupe « à découvrir ». On se demande souvent d'où viennent les hypes sur certains groupes. Et bien ce soir en tous cas j'ai compris d''où viennent ces violents retours de bâtons qui frappent certains artistes. C'est sûr qu'à force d'entendre 10 fois par jour « ce groupe est énorme, tu vas adorer », vous finissez selon votre degré de moutonnitude (ne tentez pas ce mot au scrabble) à effectivement l'adorer ou à le haïr du plus violemment de votre être. C'est un peu ce qui s'est passé dans mon entourage direct ce soir là. Pourtant, ce petit groupe qui a écumé les festivals cette année, formé par un frère et une sœur à peine majeurs, assure pas mal. De passages pop mignon en secousses no wavisante, on sent la discothèque de bon goût. C'est parfois un peu fragile, mais rappelez vous qu'à une époque, on a tous aimé les Moldy Peaches.

La légende voulait que le lieu des afters du FME soit un bouge craignos et incroyable où j'allais pouvoir « faire la teuf avec des vraies gueules cassées ». Le fameux bar des chums nous a donc accueilli plein d'espoir. Après quelques teq-pafs, on va se trémousser devant le couple de soixantenaires qui joue live une sorte de version ultra lo-fi de Daniel Balavoine en québecois. Sosies de Eminem, de Fanny Ardant sous crystal meth, pitbulls (le chien pas le chanteur) et recalés de l'équipe locale de hockey dansent comme si demain n'était pas radioactif. J'avoue quand même éprouver un poil de gêne à l'idée que tous ces gens si cool de la musique aillent dans ce bar pour voir ce qu'ils estiment être des beaufs comme d'autres iraient au zoo.

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Corridor

Le lendemain, c'est mon dernier jour en territoire de violence esthétique et je décide donc de m'enfiler le plus de groupes possibles (c'est une image). On commence en début de journée par Hologramme, dont le look annonce la couleur : ils ne sont ni Agnostic Front ni Tiken Jah Fakoly. Plutôt des preppys en casquettes fluos qui jouent une musique très très proche de Ratatat. Pas grand chose à se mettre sous la dent et je doute un peu de l'intérêt d'avoir une déclinaison de chaque groupe à succès (même si en France, on a longtemps procédé de la même manière).

Après une pause au stand, on décide d'aller voir Corridor, dont j'avais bien aimé les morceaux sur bandcamp. Et grand bien m'en a fait car c'est une très bonne découverte. Quelque part entre l'énergie juvénile du REM 80's, Television et Wire, les Montréalais font un excellent concert, sec et qui va droit à l'essentiel, sans (ô miracle) me donner l'impression de repomper un groupe connu. Good job ! Le temps de déguster une poutine au tofu (et oui ça existe), on se retrouve à nouveau dans la petite église pour le début du concert de Jeanne Added, encore un « booking tip, fortement conseillé. On constate avec plaisir que les chaises ont disparues de la chaire, même si pour le coup, ce n'est sûrement pas ce soir que le pogo sera le plus expansif. Je pense que les projets comme Jeanne Added (ou Christine and The Queens à son époque) n'ont pas spécialement besoin qu'on offre une critique objective puisqu'ils sont déjà partout, dans les médias, les Smacs, les festivals et vos iPods. Et clairement, cette new wave Fort Boyard chanté avec un accent anglais tout pété m'emballe aussi peu que les débuts de Woodkid.

On rejoint la grande salle pour voir Sandweiss, l'unique groupe stoner québécois de la programmation. Si la formation n'invente rien (en même temps ce n'est pas ce qu'on demande à ce genre de musique), elle nous nettoie bien les oreilles. On finit la soirée par boire des gins tonic fait avec de l'alcool québécois étonnamment jaune, au milieu de gens qui attendent les Fleshtones que je n'aurais pas l'occasion de voir sur scène mais juste faire du gringue au réceptionniste de notre hôtel. Après donc près de 15 000 km, l'expérience est assez surréaliste. Est-elle bonne ou mauvaise ? Juge-t-on un groupe objectivement quand on est invité en vacances à l'autre bout du monde ? A-t-on besoin d'aider les groupes à émerger dans un cadre professionnel ? Quid du DIY en 2015 ? Les politiques devraient-ils fourrer leurs nez dans l'undergound ? Comme disait mon prof de math au collège : « la réponse est dans l 'énoncé, taisez vous Durand ».

Adrien Durand est pro, il a Twitter.