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Music

Flavien Berger aimerait vous faire danser et pleurer en même temps

Le petit génie de chez Pan European nous a parlé de la musique post-Internet, de ses concerts-performances et de cette foutue « contre-culture ».

Vous voyez ces pignolos en Stan Smith qui annoncent à la terrasse du Corso qu'ils détestent Paris et que Cracovie c'est le nouveau L.A. ? Et bien sur le papier, cette catégorie de gens semblait constituer le public de base de Flavien Berger, dont le premier disque, sorti le mois dernié et intitulé Léviathan, ferait passer Petit Fantôme pour Varg Vikernes. Et pourtant, derrière cette chillwave (eh ouais, vous aviez oublié ce mot, hein, les gros malins ?) lettrée et arty, on trouve un projet en trompe l'oeil, qui cache une profondeur plutôt sincère, assez rare pour être signalée et assez touffue pour dépasser le simple zapping YouTube. Tentative d'explication avec le gentil de la bande, car il y a fort à parier que si le label Pan European était la série Happy Days, Koudlam serait Fonzie et Flavien serait Richie. Noisey : Est-ce que tu penses à la façon dont ta musique va vieillir ?
Flavien Berger : À fond. C'est même la clé d'entrée de mon rapport avec mon label Pan European. Arthur Peschaud veut des disques qui vieillissent bien, que les parents les feront écouter à leurs enfants. On n'est pas dans la hype et dans la consommation instantanée. On fait des disques qui dénotent peut-être mais qui, je l'espère, s'inscriront dans l'histoire de la musique. Je ne vois pas dans le futur mais j'aime envisager mes disques comme des choses que les gens redécouvrent ensuite. C'est sûrement un truc de génération, avec Internet tu découvres un peu les perles qui n'ont pas marché à l'époque et c'est comme ça que j'envisage ma musique.

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C'est souvent le souci d'une certaine musique synthétique dont la production ne vieillit pas très bien…

Ça dépend des cycles. On est plus dans une spirale actuellement, il n'y a plus de mauvais goût ou de cheap, ce qui compte ce sont nos choix et la façon dont on les amène et les justifie. On arrive à un moment où les cycles sont des rizomes qui éclatent à partir d'un point… La chaleur d'un synthé analo ça parle à ton corps c'est super beau et en même temps les plugins pourris c'est marrant aussi, car très lié à une époque. J'aime bien les deux, mon album a été fait sur Garageband. Je pense que c'est en faisant un truc au plus proche de ton époque, de manière sincère, vraiment, que tu parviens à faire une musique intemporelle.

J'ai l'impression que ce besoin de storytelling dans la promo des artistes reflète le côté très individualiste du monde actuel. Tu aimerais que les gens écoutent ton disque sans rien savoir sur toi ou ton « personnage » ?
Je pense qu'il y a pas mal de gens qui me découvrent seulement par la musique. Ce contexte de présentation est réservé à une certaine sphère. Ce qui me fait marrer, c'est que la plupart des gens me disent « c'est ma meuf qui m'a fait écouter ta musique » et du coup la porte d'entrée, c'est l'affect. J'ai pas de personnage, je joue sous mon nom, c'est direct. C'est ma meilleure amie qui a écrit ma bio. Elle parle de mes débuts, quand je faisais de la musique sans vraiment m'en rendre compte. C'était une époque où les autres me faisaient remarquer « tiens, tu fais de la musique, tu peux me faire un morceau pour ma vidéo … ». Moi je bricolais dans mon coin, tout seul. La musique c'était un moyen d'expression comme un autre pour moi. C'est la confiance des autres qui m'a poussé à en faire une chose publique.

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Chris Burden est mort récemment, tu dois connaître sa performance « Shoot », où l'artiste se fait tirer dans le bras. Tu penses que l'art a besoin de comportements extrêmes ou dangereux ?
La radicalité est super importante, je suis entouré d'ailleurs de plein de gens radicaux. Mais moi, je ne suis pas borderline, je ne sais pas pourquoi. Ma démarche est plutôt posée. Après, plus c'est intense, plus ça marque les esprits. Mais je pense que le sang froid et la douceur racontent aussi quelque chose, autre chose. Il y a plein de familles dans l'Art. Dans mon cas, mon approche ne se fait pas dans la violence. Après, l'essence de l'Art c'est la révolution, qui est un mouvement violent. Moi, j'ai pris un vaisseau qui voyage dans un monde parallèle, je peux ressentir la même chose en écoutant la musique du Niger que celle d'un obscur groupe pop italien des 80's.

Tu penses, comme certains le disent, qu'Internet, en rendant tout disponible immédiatement, a tué la notion de sous-culture ?
Je ne sais pas. Moi, ça ne me manque pas la contre-culture, car je ne suis pas en opposition. Après le base même de la contre culture, c'est qu'on ne la connaît pas. Donc, au moment où je te parle il y a sûrement plein de mouvements souterrains que notre regard sociologique ne voit pas, on n'a pas le recul nécessaire.

Après, il y a des « contre-cultures » qui naissent d'Internet comme Salut C'est Cool, que tout le monde déteste chez Noisey, et que tu as remixé.
Oui, je suis pote avec eux. Tout le monde les déteste [Rires] ? Après, eux sont sous l'égide du normcore, ce truc super bizarre qui sonne la fin du style. Mais, on se rendra peut-être compte avec le temps qu'ils incarnent une contre-culture. Là, c'est sûrement pas conscient. Les gens qui disent aujourd'hui, ouvertement, qu'ils sont la contre-culture, ce sont des cons…

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Tu t'attendais à un tel consensus sur ton album ?
Non, pas du tout, moi je voulais juste faire des disques. J'ai décidé d'être dans le système de la non-attente, parce qu'attendre quelque chose c'est forcément être déçu. Mais j'ai de l'ambition, des projets, des envies. Je ne veux pas attendre quoi que ce soit. Je pense aussi que les choses m'arrivent tard, je ne suis pas si jeune… J'ai eu des attentes quand j'étais ado, mais c'était avant…

C'est pour ça que tu bosses seul ? Pour ne rien attendre de quelqu'un d'autre ?
Non non, là c'est un projet solo mais je fais plein de choses à côté, dont des collaborations avec d'autres gens. Je vais produire le prochain EP de Judah Warsky par exemple. J'ai pas de groupe parce que j'ai pas d'amis musiciens [Rires] Mais c'est pas par refus du collectif, bien au contraire…

John Maus, auquel tu me fais penser parfois, racontait qu'il s'était complètement retiré du monde pour composer son album -et fabriquer au passage de la crystal meth artisanale- mais qu'au final, il ne trouvait aucun sens à ne partager sa vie -et donc sa musique- avec personne…
Il est chaud, lui ! Mais c'est un vrai pilier, quelqu'un d'important, même si je ne connais pas trop bien.

Ton live, comme le sien, est très performatif. C'est réfléchi ou naturel ?
Disons que je suis seul sur scène, donc il faut habiter le truc et je veux que ça bastonne. Je mets les rythmiques super en avant et ça dit ce que j'attends d'un live. Tant que je sais pas jouer du piano correctement, mon live doit avoir un côté sound system, que les gens bougent, dansent. Après, je gigote beaucoup. Dans tous mes lives j'essaie de faire des tricks : la prise en considération de ce que c'est un mec tout seul sur scène et de tous ces pélos qui le regardent… Ce qu'on fait avec ça. Si je suis dans un bar, je prends un câble de 30 mètres, je sors et chante de la rue et les mecs savent plus où regarder. Si je suis au Trianon, je coupe tout et je crie et là les gens réalisent que je suis très loin. Ca demande une énergie performative qui est de l'ordre du guignol mais sans moquerie. Ce n'est pas du second degré. Je veux garder le côté imprévu. Je ne répète pas, chaque concert est une répète pour le concert d'après. Bon, ça ne durera pas éternellement…

Jusqu'où veux tu aller ? Tu as un objectif derrière tout ca ?
Je voudrais réussir à faire un morceau de musique où les gens dansent et pleurent en même temps. Donner de l'émotion au cerveau de quelqu'un dont je fais aussi bouger les jambes. Mais je me méfie des buts. Une fois qu'ils sont atteints, qu'est ce que tu fais ? C'est le truc du hit, après on ne juge plus ta musique de la même façon. Mais je veux parler aux deux pôles, à la chair et à la mémoire, les souvenirs, la mélancolie… Ca n'existe pas les morceaux comme ça, c'est pour ça que je veux faire ça. Trouver la même émotion que tu as devant un film quand tu pleures. C'est mon but, mais c'est impossible je crois. Flavien Berger fêtera la sortie officielle de son album mardi 26 mai au Point Ephémère.

Adrien Durand danse et pleure en même temps, même quand il enchaîne INXS et Type O Negative. Il est sur Twitter.