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Music

Fifou a mis tout le rap français au carré

De Booba à Gradur, en passant par Despo Rutti, Maître Gims, Aelpéacha et Mac Tyer, il a signé pas moins de 400 pochettes de disques.

Photo - Samuel Cueto

Fifou a passé sa vie à mettre le rap en image. Âgé de seulement 31 ans, ce graphiste totalise pas moins de 400 pochettes au compteur. Il a tiré le portrait de quasiment tout le rap français, de Doc Gynéco à Booba, en passant par Maître Gims, Lacrim, Passi, Rim’K, ou encore Ol Kainry. Et Fifou ne s'est pas arrêté à la scène française. On lui doit notamment les artworks d'albums de Freddie Gibbs, Fashawn ou encore le clip de Mac Lucci, qu’il a lui-même tourné dans les rues de L.A. On lui a demandé de revenir sur quelques-unes de ses meilleures pochettes.

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AELPEACHA – Pèlerinage

Fifou : Aelpeacha fait partie des artistes que j’ai contactés directement, ce n’est pas lui qui est venu vers moi. Étant un gros passionné de G-Funk et de son West Coast, j'avais pris une grosse claque avec son album Val 2 Marne Rider. Pour cette première collaboration visuelle, il m’a ramené cette séance photo qu’il avait faite devant la tombe de l'icône du gangsta rap Eazy-E, pour célébrer sa mort, d’où le nom, Pèlerinage. Ça devait être pour les 10 ou 15 ans de la mort d’Eric Wright. Il était parti aux Etats-Unis avec Thomas Ngijol & Fabrice Eboue qui partagent la même passion que lui pour le son de Californie. Il m’avait ramené cette photo, qui faisait la taille d'un timbre, super pixélisée, même si là ça ne se voit pas : j’ai dû tout nettoyer en profondeur, à coup de tampon sur Photoshop. Malgré la qualité de base, tout est bien étudié : de la pose accroupie (pas toujours évidente à faire en photo) digne d'un vrai OG de Compton jusqu'au Dickies cartonné et à la bouteille de 40oz… Tout résume parfaitement le projet du A.

BOOBA - 0.9

Noisey : C’est l’une des covers les plus sobres que tu aies faite.
Fifou : Oui on me l'a souvent dit… Surtout qu'à cette époque, c'était l'explosion des visuels « photo-montés » sur les pochettes de rap. J'étais d’ailleurs parti sur un tout autre concept pour cette pochette. Lorsque Booba m’a contacté pour faire 0.9, j’ai dû passer deux semaines à travailler sur la préparation du shooting : recherche des accessoires, repérages du décor, casting, moodboard… Je m'étais bien mis la pression [Rires]. Le livret est d’ailleurs beaucoup plus riche graphiquement que la pochette : je voulais créer des ambiances deep, en mettant en scène Booba préparant le produit, la 0.9. Pour accentuer le côté « décalé », j'avais recouvert le visage de Booba de cocaïne noire… Ca avait pas mal marqué et fait jaser à l'époque. Après avoir préparé une dizaine de visuels pour la pochette, je n'avais plus forcément le recul pour trancher. En bon rider, il est venu directement chez moi, et a choisi lui-même la photo qui a fini sur la pochette.

Donc, tout ton travail de graphiste, rien à foutre.
Booba sait exactement où il va et ce qu’il veut, rien n'est fait au hasard. La pochette s’est faite deux jours après la séance photo. Malgré tout, ma direction artistique s'est retrouvée dans le livret et les photos de presse. Ma typo de Booba composée de 09 est restée sur la pochette, mais bon j'espère qu'il n'y a pas que les « psycho-photoshopeurs » qui y ont fait gaffe [Rires]. Universal avait mis le paquet pour la sortie du disque, la pochette était imprimée sur un digipack mate, sur lequel des ornements que j'avais créés tout autour de Booba, apparaîssaient en vernis sélectif. Avec le recul aujourd’hui, grâce à sa simplicité, je trouve que c'est une pochette qui a bien vieilli.

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GRADUR – L’Homme au bob

On reste dans les mecs dénudés, avec Gradur. Je crois que cette pochette a fait pas mal de bruit à sa sortie…
Dans la lumière il y a des similitudes avec 0.9. C’est un peu ma touche perso, je suis très friand des lumières contrastées, proches de la photographie des thrillers américains. Dans mes moodboards, j'ai toujours des références d'affiches de films et des photos de tournage. Pour cette photo c’était un peu particulier car Gradur fait partie de cette jeune génération qui a émergée super vite : il a rappé, il a buzzé, il a signé dans une grosse maison de disques et il a dû vite sortir son projet. Donc quand je suis allé le voir pour lui demander combien de pages il voulait dans son livret et quel univers il voulait retranscrire, il m'a bien fait comprendre qu'il me faisait confiance et que ce n'était pas son domaine.

Ayant bien observé ses clips, je voulais absolument garder ce côté brut dans l'image, je n'ai pas cherché à trop le maquiller ou à le mettre en scène. Je voulais « choquer« » visuellement avec cette pochette. Gradur qui, dans ses morceaux, est habituellement très énergique, toujours en mouvement dans ses clips… Avoir cet homme ultra musclé, un flingue dans le pantalon, calme et serein, donnant un biberon de douilles à un nouveau-né était un bon pari. Le shooting s'est fait vraiment rapidement, car le bébé ne faisait que pleurer et Gradur n'était pas forcément à l'aise pour le tenir. Beaucoup de personnes ont été choqué avec l'histoire du bébé et des douilles… C'était le but !

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DESPO RUTTI – Convictions suicidaires

En parlant d’image forte, raconte-nous comment s'est faite Convictions Suicidaires de Despo Rutti, une de tes plus puissantes visuellement.
Despo est un artiste talentueux. Sa musique est profonde, mais aussi tortueuse : il rappe avec le ventre et les thèmes qu'il aborde dans ses textes me touchent énormément. On était dans une époque très marquée par Tandem, c’est d’ailleurs grâce à eux que j’ai rencontré Despo. C’était vraiment l’ère du rap « bitume », sombre et sans concessions.

Despo est comme Lino d'Arsenik, il a un rap très imagé. Du coup cette pochette je considère qu’on l’a faite tous les deux. On échangeait tout le temps. Un soir, alors que je planchais sur des idées pour son album, il m'a skypé et rappé accapella le morceau « Innenregistrable » pour m'inspirer. C’est vraiment l’un des rares artistes avec qui j’ai autant collaboré dans l’image. Ce n’est pas une idée qui est venue comme ça, seule son attitude sur la pochette a été improvisée. Dès le départ, on a travaillé avec un maquilleur spécialiste dans le make-up FX. Je voulais essayer d'utiliser le moins Photoshop, le moins de post-prod.

Pour la séance photo on a mis tout son album en fond : j'ai alors laissé Despo dans son élément et improviser des attitudes selon l'ambiance des morceaux joués. En 3 heures, j'ai complètement halluciné sur son talent d'acteur et sa puissance visuelle. Cette image est l'illustration parfaite de Despo Rutti et de cet album : charismatique, sombre et profond.

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MAÎTRE GIMS – Subliminal

Parlons de ton premier disque de platine, Subliminal de Maître Gims.
J'avais déjà travaillé avec Gims sur le dernier album de son groupe, Sexion d'Assaut. On a tout de suite accroché artistiquement et humainement, tout s'est fait très rapidement. Étant un grand fan de Game Of Thrones et de mangas, il voulait créer un trône surréaliste et spectaculaire. L'idée première était de mélanger des éléments de statues grecques avec des formes géométriques marbrées. Les gens sur la toile ont trouvé plein de messages subliminaux dans les détails de la pochette. J'ai même entendu l'habituel « c'est un illumininati » ! Sur cet album on s'est vraiment fait plaisir, pas de concept, juste du visuel fort.

Donc il est venu il t’a juste dit « je veux un trône » et après c’est toi qui as fait le boulot ?
Il sait ce qu’il veut… C’est un mec qui aime aller à contre-courant dans l'image. Si tu prends un peu de recul, l'image de la pochette n'est pas totalement raccord avec le son du projet. Quand tu écoutes l’album, tu prends « Bella », « J'me tire », ce sont des tubes très colorés, très pop. Travailler avec Gims tient toujours de la performance, et donc pour moi, ça passe ausis par m'entourer de bonnes personnes pour m'épauler. Pour Subliminal j'ai travaillé avec le graphiste Landry, un spécialiste de la 3D, qui m'a aidé à créer ce trône.

Sur Mon cœur avait raison, j'ai pris un chef déco, Benjamin Maillet, pour pouvoir plonger Maître Gims dans un bac à eau… On ne s'ennuie jamais avec lui, il y a toujours un défi à relever. Je travaille beaucoup au défi, en me disant qu’avec un ordinateur tu peux faire des choses incroyables. Partir d'une photographie prise sur un simple fond blanc et créer un univers graphique me stimule constamment.

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LA FOUINE – Mes repères

Il me semble que tu as pas mal de choses à dire sur celle-là.
Alors aujourd’hui je peux le dire, j’ai eu un gros problème avec cette pochette. Je l’avais dit à Laouni quelques temps après, mais après la séance photo, j’ai eu un bug de sauvegarde et j’ai perdu quasiment toutes les photos. Je n'avais pu récupérer qu'un seul fichier .jpeg de mauvaise qualité. Donc le soir qui a suivi le shooting, il m’envoie un message plein d’enthousiasme alors que moi je n’avais plus rien… l'angoisse de tout graphiste ! J'ai trafiqué comme j'ai pu la pochette, en rajoutant des pictogrammes et en désaturant un maximum sa photo. Sur la jaquette on ne s'en rend pas compte, contrairement aux grands 4x3 dans le métro que j'ai pu voir dans tout Paris, où le pixel était assez incertain… [Rires]

MAC TYER – Le Général

C’est l’explosion de Mac Tyer après Tandem. Grosse signature chez Because Music, des featurings costauds (Booba, Kery James, Lino) et surtout plus de moyens pour travailler l'image de Socrate. On avait loué des décors, un grand studio photo et j’avais un super assistant lumière qui a fait un boulot incroyable. La directrice artistique, Nathalie Canglihem, a travaillé sur le stylisme de Socrate et a géré toute la production visuelle. Pour une fois, j'avais une véritable équipe autour de moi, je me suis vraiment fait plaisir sur cette pochette. Le choix final n'a pas été évident pour autant, Mac Tyer a beaucoup de présence, j'avais donc un très grand choix d'images. On a opté pour ce portrait serré en noir et blanc, car tout y était : l'attitude, l'élégance et ce côté « garde-à-vous » dans la pose collait parfaitement au Général So.

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ROHFF – La Puissance

C’était à sa grande époque. Chez EMI, les murs étaient recouverts de ses disques de platine. Il faisait partie, avec Diam's, des poids lourds du label. C'est Nadia Louiba, directrice artistique du label, qui m'avait briefé pour cette cover. La photo a été prise par Jonathan Mannion, une de mes grandes références dans la photographie. Pouvoir retoucher et « photo-monter » une de ses photographies faisait partie de mes rêves de gosse. Il avait fait toute une série mettant en scène Rohff en géant, marchant dans Paris (la cover de « La Fierté des nôtres » fait évidemment partie de mon top 10 des pochettes de rap français). L'idée était de l'incorporer dans un décor apocalyptique avec la ville complètement effondrée à ses pieds. Très bon souvenir, même si depuis, je me suis quand même amélioré en montage photo !

YOUSSOUPHA – Noir Désir

Celle qui est considérée comme une de tes meilleures, la plus artistique du moins.
Ça c’est ma pochette. Dans tout ce qu’on a montré avant, il y a beaucoup de D.A. des maisons de disque où il fallait répondre à des promesses. Avec cet album, Youssoupha signe sa renaissance, en indépendant en plus, bien qu’il soit signé chez Believe. Quand on faisait des réunions il n’y avait que lui et moi. Youss' voulait sublimer la couleur noire et s'écarter un maximum des pochettes trop urbaines. Nos références étaient David Bowie, Nirvana ou Michael Jackson. Pour la direction artistique et le travail de la lumière, je me suis inspiré de l'univers de la mode. La référence à l’Afrique, à la négritude, ce sont des thèmes qui ont toujours été présents chez Youssoupha, dans ses textes comme sur ses précédentes pochettes d’ailleurs. Youssoupha me disait que lorsqu’il imaginait les anges, il les voyait noirs…

On a organisé un casting sauvage et on est tombé sur la perle rare. Ce gosse avec ce regard si puissant, nous a littéralement subjugués lors du shooting. On lui doit clairement cette pochette ! Une fois maquillé il était encore plus incroyable. La suite arrive sur le prochain album de Youssoupha, car toute cette iconographie autour des anges fait partie d'un triptyque visuel.

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FREDDIE GIBBS - EGSN

Pour finir, un hors-sujet avec un Américain, Freddie Gibbs.
Freddie Gibbs, pour moi, est l'essence même d'un rappeur de Chicago, un fervent représentant du hood. Pour son album précédent, Baby Face Killah, on était parti sur quelque chose de plus arty. J'avais recréé une peinture de son visage, avec un traitement inspiré d'une œuvre de Raphael. Quelques mois plus tard, son manager, Maxime Robin, m'a envoyé cette série de photos réalisée dans son quartier à Chicago. Pas vraiment de brief spécifique, juste de ne pas trop dénaturer la photographie.

Autour de lui, on retrouve tous les mecs de son crew. Freddie voulait absolument se mettre en retrait sur la cover et mettre en avant tout le groupe. Ayant pas mal shooté dans des quartiers difficiles aux États Unis, j'ai toujours été agréablement surpris par le charisme naturel des gars de la rue. Que ça soit dans leurs attitudes, leurs regards ou même dans l'accessoirisation, il se passe toujours quelque chose d'intéressant. Et puis Freddie Gibbs est un sacré bonhomme, donc ça facilite la tâche.

C’est lui qui t’a demandé de pixéliser les visages ?
Oui, car il n'y avait que des vrais O.G.'s sur la photo. Pour moi, c’était un kiff de le faire, je trouve que ça donne un coté énigmatique. J’avais choisi cette photo car pour une fois, ne pas avoir l’artiste en premier plan, je trouvais ça super. J'espère un jour pouvoir organiser un shooting avec Gibbs dans un quartier français…

Merci Fifou !
Merci à toi mec. Fifou : Twitter // Facebook // Site officiel Vous pouvez suivre Salim sur Twitter.