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Music

Fabio Frizzi a fait chanter les morts mieux que n'importe qui dans le cinéma italien

Le compositeur fétiche de Lucio Fulci nous parle de l'âge d'or du cinéma bis all'italiana et de ses B.O. pour « L’Au-Delà » et « L’Enfer des Zombies ».

Que vous aimiez ou pas le cinéma bis italien, il est une chose sur laquelle il est impossible d'arguer : ses bandes-originales. Certains des plus grands compositeurs de ces 50 dernières années se sont fait connaître grâce à ces films, qui leur ont permis de développer une oeuvre aussi riche que conséquente. Si Ennio Morricone est l'exemple le plus célèbre, il en existe des dizaines d'autres au parcours tout aussi passionnant, à commencer par Fabio Frizzi. Après s'être fait la main sur des comédies érotiques, sa carrière a pris une tournure nouvelle avec l'avènement du western et du film d'horreur en Italie et sa rencontre avec celui qui allait devenir à la fois sa muse et son mentor, Lucio Fulci. Une collaboration qui a donné lieu à quelques-unes des bandes-originales les plus sombres et expérimentales du genre, de L'Enfer des Zombies à L'Au-Delà, et que Frizzi célèbre depuis quelques années avec ses Nightmare Concerts, où il rejoue les oeuvres les plus marquantes de son répertoire composé pour le Maître du Gore all'italiana.

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Même si son travail tend nettement vers le côté obscur, Frizzi est un homme passionné et plein d'enthousiasme. On a pu le constater en l'appelant chez lui, à Rome, pour lui poser des questions sur son parcours.

Noisey : Tu as débuté ta carrière de compositeur de musique de film très jeune, à 23 ans. Comment t'es-tu retrouvé dans ce milieu ?
Fabio Frizzi : Je baigne dans le cinéma depuis que je suis enfant. Mon père était à la tête d'une société de distribution italienne. Quand j'ai commencé à jouer de la musique, vers 14-15 ans, je jouais dans des groupes qui reprenaient les Rolling Stones, les Beatles, ce genre de trucs. Mais ma famille a toujours écouté des musiques de film — Morricone, Rustichelli — et j'en suis tombé amoureux. Le plus important, ça a été ma rencontre avec Carlo Bixio, un très grand producteur, qui me croyait capable de percer dans le métier. Et c'est ce qu'on a essayé de faire. Je devais avoir 21 ou 22 ans quand j'ai composé ma première musique de fil pour Amour Libre (Amore Libre).

Si je ne me trompe pas, la deuxième bande-originale sur laquelle tu as travaillé était pour un film de Ferdinando Baldi, un réalisateur italien déjà bien établi en 1974. C'était comment de travailler avec lui ?
Je garde le souvenir d'avoir travaillé avec un homme vraiment gentil. En italien, un gentleman c'est « un signore », non ? C'était très différent de travailler avec lui, comparé à beaucoup d'autres réalisateurs. Ferdinando était un professeur, un homme très cultivé. Beaucoup de réalisateurs sont très sévères, mais lui était… noble. [Rires] C'était très drôle de bosser avec lui sur ce genre de western typiquement italien, le Western Spaghetti.

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L'année suivante, tu as continué à travailler sur des Western Spaghettis mais tu as aussi entamé ta collaboration de longue date avec Lucio Fulci.
Avec Baldi, je travaillais sur des westerns spaghetti alors qu'avec Lucio… [Pause] On bossait non pas sur des westerns spaghetti mais sur ce que j'appelle des « Westerns Fulci », parce que ses films étaient uniques, typiques de son style à lui, avec beaucoup de sang et des histoires très dures. À cette époque, mon label travaillait dur sur mon trio — Bixio-Frizzi-Tempera. J'étais assez jeune, je devais avoir 25 ans et on flippait un peu de bosser avec Fulci. Lucio était si sûr de lui [Rires]. Et pour ne rien arranger, ils avaient mis le morceau « Knockin On Heaven's Doors » de Bob Dylan sur le premier montage du film [Les Quatre de l'apocalypse (I quattro dell'apocalisse)]. Tu te doutes bien que quand ils nous a demandé de composer des morceaux, on était complètement flippés parce que ce n'est pas simple de faire le poids contre Dylan.

Même si vos deux noms sont aujourd'hui liés aux films d'horreur, tu as dédié tes premières compositions à la comédie et aux westerns — des genres assez représentatifs du cinéma italien de l'époque. Musicalement, il y avait quelque chose que tu pouvais faire dans ces genres qui n'était pas possible dans les films d'horreur ?
Ça a été très problématique au début, parce que tu sais, j'étais un jeune compositeur. Le bon côté des choses, c'est que j'aimais plein de styles de musique différents, donc j'écoutais vraiment de tout. Mais, quand je suis passé aux films d'horreur, j'ai vraiment compris ce que c'était de composer une musique de film. Ce n'est pas écrire un bon morceau ou une bonne mélodie, c'est autre chose. Il faut te laisser pénétrer dans ton âme et dans ton esprit. Il faut comprendre ce que le réalisateur et la producteur veulent faire passer avec le film. Après, tu peux travailler de la même façon sur une comédie, un western ou un film d'horreur. Tout dépend de toi. Tout dépend si tu arrives à entrer dans le film. C'est magnifique de pouvoir aider à raconter une histoire grâce à la musique. Lucio n'était pas un type facile mais il a été un professeur pour moi. C'était souvent difficile de le suivre mais il m'a appris énormément de choses, dans le travail comme dans la vie en général.

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Le fait qu'il était très sévère t'a-t-il aidé à donner le meilleur de toi-même ?
Il y a quelques instants, je t'ai dit que Ferdinando était un vrai gentleman parce qu'en comparaison, la plupart des réalisateurs étaient des types assez durs. Ils doivent donner leur point de vue et Lucio était vraiment comme ça. Je peux t'assurer que si ma route n'avait pas croisé celle de Lucio, ma carrière dans le monde des musiques de film aurait été totalement différente. Il était difficile mais il m'a fait comprendre très clairement le métier de compositeur et le travail qu'il y avait derrière les bandes-originales. Je dis souvent aux jeunes musiciens avec lesquels je travaille que, même si le monde a évolué, la façon de faire reste la même : il faut entrer dans le film, comme un personnage, et jouer son rôle comme tous les autres acteurs.

Le cinéma italien nous a donné quelques grands compositeurs de musiques de films, notamment Ennio Morricone, Riz Ortolani, Stelvio Cipriani ou le groupe Goblin. À quoi ressemblait ce milieu à l'époque ? Il y avait une compétition entre vous ?
Ça a été une époque magique pour le cinéma italien. Ce n'était pas le cinéma des années 50 de De Sica et compagnie, le cinéma qui raflait des Oscars. Mis à part Morricone qui avait déjà composé pour beaucoup de films internationaux, on était jeunes et on savait que les films italiens du moment étaient des films de série B. Je n'ai pas pensé, à un seul instant, qu'on était en train de composer des chef-d'oeuvres, je ne m'en suis rendu compte qu'après, quand j'entendais toutes ces louanges sur Lucio à travers le monde. L'Italie est différente de beaucoup d'autres pays. Il y a toujours un peu de compétition. Peut-être qu'aux États-Unis, les gens se rencontrent et sont sympas les uns avec les autres. On s'occupait tous chacun de notre côté, mais parfois, tu pouvais perdre ton film au profit d'un autre compositeur. Une fois, Lucio ne m'a pas choisi pour un de ses films et certains fans s'étonnent encore que je n'en ai pas signé la bande-originale. Mais c'est comme ça, c'est la vie. Par exemple pour Le Chat Noir, Lucio m'a dit : « Fabio, tu as déjà beaucoup de travail ailleurs, le producteur m'a demandé de choisir cet autre compositeur. Pardonne-moi pour ça et j'espère que la prochaine fois, nous travaillerons ensemble. » Si on te propose du boulot tous les jours, il n'y a aucun problème, tu n'es pas très content mais ce n'est pas si grave. On a eu la chance de grandir ensemble. C'était génial, j'étais jeune mais puisque je travaillais avec eux, je devais les suivre.

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J'adore la B.O. de L'Enfer des Zombies. Tu as vraiment réussi à composer une musique qui rappelle l'île sur laquelle se déroule le film. Sur quelles références t'es-tu basé pour cette composition ?
Eh bien, il fallait mettre l'île au centre de la musique, parce que c'ets là que se passe l'histoire et que se créé toute l'ambiance du film. J'avais donc recruté ce percussionniste, Adriano Giordanella qui s'est ramené avec des sacs bourrés d'instruments. On est tous les deux partis dans un truc qui nous évoquait l'Afrique et cette île perdue au milieu de l'océan. Un autre musicien vraiment très important sur cette B.O., c'était Maurizio Guarini. Il avait ramené une paire de claviers Yamaha, un piano CP-80 et un synthé CS-80, qui étaient tous nouveaux à l'époque. Je me rappelle, ils étaient vraiment très lourds [Rires] Il fallait au moins deux personnes pour les transporter dans le studio. Mais grâce à eux, tu pouvais vraiment jouer une musique de très grande ampleur. Les musiciens sont extrêmement importants pour le compositeur, parce qu'ils doivent donner exprimer ce que tu visualises et ce que tu composes. Pour le concert de Frizzi 2 Fulci à Toronto, Maurizio nous rejoindra et ce sera la toute première fois qu'on jouera ensemble sur scène. On est très content de pouvoir faire ça, on est de très bons amis.

Des sons vraiment perturbants sortent de ton Mellotron. Dans une interview, tu avais décrit ça comme capturer le « chant des morts ». Tu peux me parler de ce Mellotron ?
J'adore ce genre d'instruments — comme le Mellotron ou le Moog, ça me vient de ma passion pour le rock progressif anglais. Tu sais, Genesis a utilisé le Mellotron et les Beatles aussi, en toute fin de carrière, quand l'instrument est né. On aurait tous adoré jouer avec un orchestre, mais quand tu es un jeune compositeur dans les années 70, tu n'as pas franchement les moyens de demander à 20 personnes de se déplacer. Le truc génial avec le Mellotron, c'est que c'était le premier sampler. Tu pouvais recréer les sons des instruments à cordes et des flûtes — le son qui en sortait était presque vrai, peut-être même un peu plus beau qu'en réalité — et tu avais les refrains et les voix. J'ai découvert qu'avec le Mellotron, en jouant avec l'octave le plus grave, on arrivait à quelque chose de presque humain, sans être complètement réel. J'ai essayé de composer une mélodie en me basant sur ce rythme, parfois j'appelle ça « le chant des morts ». À ce moment-là, j'écoutais beaucoup la musique du film Les Griffes de la nuit — d'ailleurs, pour mon prochain concert, je pense faire un hommage à Wes Craven — et je suis arrivé à la conclusion que pour chaque bande-originale, il fallait trouver un son, une voix, peut-être pas parfaits, mais qui puissent au moins transmettre de l'émotion. Et pour ça, l'aide du Mellotron a été précieuse.

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Ta configuration changeait d'un film à un autre, j'imagine ? Il y a d'autres instruments qui ont participé à ton son ?
La technologie musicale a beaucoup aidé à notre développement. Aujourd'hui, j'ai 64 ans — comme le morceau des Beatles, « When I am sixty-four » [i_l chante_] — mais quand on parle de musique, j'ai toujours 14 ans. Alors, je peux engager des claviéristes plus jeunes, leur parler de sonorités, ou bien je peux m'enfermer tout seul dans mon studio et essayer de trouver de nouvelles choses. Si c'est quelque chose que tu as en toi, tu peux faire de la musique dans n'importe quelles conditions, avec tout ce qui te tombe sous la main.

Quelle est ta B.O. préferée, parmi toutes celles que tu as composées ?
Je dis toujours que c'est comme parler de ses enfants, il n'y a pas vraiment de préférence. Mais si je devais choisir, ce serait sûrement celle que j'ai composée pour l'un des films les moins aimés et les moins compris de Fulci — ses films peuvent être difficilement compréhensibles — La Malédiction du Pharaon (Manhattan Baby). Peut-être parce que j'aime beaucoup l'Egypte et l'art égyptien. Ce qu'ils ont fait est incroyable. J'ai encore des frissons quand j'écoute le thème principal [il fredonne]. Mais ça me fait aussi ça quand je vois le requin dans l'Enfer des Zombies et que j'entends la musique derrière. Ce sont mes enfants et je les aime tous de la même façon.

Tu aimerais que certaines de tes bandes-originales soient un peu plus appréciées par le public et les fans ? À ton avis, quel est ta meilleure composition en dehors de ta collaboration avec Fulci ?
Lucio était comme un membre de ma famille, il m'a encouragé a être curieux et libre. Je lui en suis très reconnaissant, en tant que personne et en tant qu'ami. C'est étonnant mais beaucoup de mes plus grands fans — qui connaissent bien mon parcours professionnel — me demandent de jouer la musique de Fantozzi, une des comédies pour lesquelles je suis assez célèbre en Italie. Parfois, des anglais ou des américains me demandent de rejouer ces musiques.

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Tu penses quoi des musiques de film contemporaines ?
Le temps passe et les choses changent. Par exemple, les bandes-originales de séries s'améliorent de jour en jour. Tu peux regarder une série télévisée et avoir l'impression d'être devant un vrai film, tellement les musiques peuvent être dingues. En Italie, on essaye toujours de trouver un thème fort. Le cinéma américain, c'est comme l'opéra, du début à la fin, la musique accompagne le film. C'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui, même si de plus en plus de compositeurs laissent tomber la musique symphonique pour quelque chose qui se rapproche plus du sound design, ce qui donne des choses assez intéressantes.

Tu vas reprendre la route pour les concerts Frizzi 2 Fulci, c'est un projet que tu as l'intention de continuer ?
Nous avons commencé cette aventure il y a des années. Il m'a fallu 8 ou 9 ans pour que ça prenne forme. Le gros problème auquel on a dû faire face est que j'ai composé plein de trucs différents, des morceaux très rock progressif, des choses plus orchestrales… La difficulté a été de les agencer et de les faire jouer par un seul et même groupe. Ça m'a permis de revenir sur 30 ans de carrière et de comprendre pourquoi j'avais procédé de telle ou telle manière. Mon groupe est incroyable. J'ai des musiciens géniaux à mes côtés. Je pense et j'espère sincèrement que dans chacun de mes concerts, on retrouve l'idée de Lucio et mon âme et mon idée de la musique. Evidemment, j'ai envie de poursuivre Frizzi 2 Fulci parce que c'est une expérience fantastique. J'enregistre en studio depuis 35 ou 40 ans, je reviens pour ce projet, devant les gens, et je ressens leur chaleur. C'est vraiment fou. Mon premier concert à Londres a été l'un des moments les plus incroyables de ma vie.

Tu aimerais continuer à composer des musiques de films d'horreur ? Je suis convaincu que plein de jeunes réalisateurs adoreraient travailler avec toi.
Oui, ça a été l'une des plus belles choses qu'il m'ait été donné de faire ces dernières années. Lucio était un artiste éminent, il a su donner aux jeunes l'amour du cinéma et l'amour de la réalisation. De temps en temps, des amis me demandent de travailler avec eux, pas seulement parce que j'étais l'ami et le collaborateur de Fulci mais parce que je peux apporter avec moi l'esprit du cinéma de l'époque. Luigi Cozzi m'a demandé de composer la musique de son prochain film. Je pense qu'on s'attellera à ce projet étrange et extraordinaire en janvier ou en février prochain. Il y a aussi autre chose dont je suis très fier : une société américaine de jeux vidéos m'a demandé de composer la musique d'un gros projet. Je suis très content d'entrer dans ce milieu parce que j'aime aussi jouer aux jeux-vidéos. J'ai un petit de 10 ans, on joue souvent ensemble et ce serait dingue de pouvoir entrer dans ce milieu.

Joe Yanick est sur Twitter.