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Music

Justin Broadrick nous met la misère depuis 30 ans

Le bourreau de Birmingham revient sur les nouveaux disques de Jesu et Godflesh, le fait d'être papa, les concerts ultra-violents de 1991, et les coups de fil de Glenn Danzig.

Justin K Broadrick fait de la musique depuis trente ans. Je ne sais pas comment il a fait pour garder ce teint de jeune garçon après avoir été bombardé de kilo-tonnes de noise, d’alcool et de de drogues durant trois décennies, mais Wikipedia ne ment pas. Durant toutes ces années, Broadrick a notamment accompli deux ou trois trucs majeurs d'un point de vue artistique et professionnel. Il a joué sur la face A de l’album Scum de Napalm Death, il a inventé le metal industriel avec Godflesh, puis le hip-hop industriel avec Techno Animal, avant de sonder les profondeurs du désespoir avec son groupe doom/shoegaze Jesu. Il a également enregistré, depuis 1982, d’innombrables disques ambient sous le nom de Final, sans compter ses autres projets solos, son travail de production et ses remixes. Broadrick est un bourreau de travail, un type infatigable qui n’a jamais ralenti une seule seconde. Si tu pensais que Guided By Voices et Lil B étaient des artistes prolifiques, il serait peut être temps que tu te familiarises avec le boulot de ce mec. Après avoir grandi dans le désert industriel de Birmingham en Angleterre, Broadrick a trouvé refuge au nord du pays de Galles. Il y mène aujourd'hui une existence tranquille et rurale avec sa femme et son fils de deux ans, un truc que tu as du mal à concevoir quand tu réécoutes le punitif Streetcleaner, sorti en 1989. En 2010, il a reformé son groupe phare, Godflesh, et est actuellement en train de peaufiner leur nouvel album, le premier depuis 12 ans. Il vient également de sortir un nouvel album de Jesu, l’éblouissant Every Day I Get Closer to the Light From Which I Came. Pendant que son fils faisait la sieste, on a appelé Justin sur Skype pour qu’ils nous parle des effets de Godflesh sur un foetus de huit mois, qu’il nous dise pourquoi le nouvel album de Jesu est son préféré et qu'il nous explique pourquoi il a refusé de rejoindre Danzig. Tu as déjà fait écouter tes disques à ton fils ?
Ouais. En fait il n’a pas vraiment le choix, il y a tout le temps de la musique autour de moi. Il est très jeune mais cela fait déjà parti de son environnement. Quand Godflesh s’est reformé et qu’on a joué l’album Streetcleaner au Roadburn Festival en Hollande, ma petite amie enceinte de huit mois était présente. Elle était à côté de la scène, là où les basses sont vraiment puissantes, et c’est apparemment le premier contact qu’il a eu avec ma musique. Ma copine se tordait de douleur, il lui donnait des coups de pied et se débattait dans tous les sens. Je ne sais pas si c’était une réponse positive ou négative, mais il a réagi à ma musique, même enfermé dans l’utérus, tu vois ce que je veux dire ? Ma petite amie l’emmène souvent au studio avec elle, il adore les guitares. Dès qu’il voit ou entend des guitares à la télé il dit aussitôt « Daddy ? » en pointant la télé du doigt. Il m’associe tout le temps au son de guitare. Je teste toujours mes mixages dans un salon à côté de mon studio et il est souvent assis à côté de moi sur le canapé, il est hyper réactif, peu importe la musique qui passe. Que ce soit Jesu ou de la noise brutale, il trouve toujours un truc qui lui plaît. Quand il avait entre six et neuf mois, j’écoutais beaucoup d’ambient, des trucs barrés, pendant des séances de trois ou quatre heures que j’alternais avec du power electronics, de la harsh noise ou des trucs plus mainstream comme Brian Eno. Je pense que d’ici ses 4/5 ans il sera super calé en musique ambient. J’allais justement te demander si tu lui avais fait écouter tes trucs les plus brutaux.
Tout ça fait partie de notre environnement, je n’ai mis aucun filtre excepté sur le rap. À cause du vocabulaire. Pour sa première année « Fuck this ! » ou « Motherfuck that ! » passaient encore, mais là c’est mort. C’est sûrement le seul filtre qu’on emploiera. Mais sinon je peux écouter tout et n’importe quoi avec lui. Je lui enseigne un langage musical, j’aime à le penser en tous cas. Evidemment, on s’assoit aussi avec l’IPad et on chante « Wheels On the Bus ». On n’a pas de limites.

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Tu sais combien de projets musicaux tu gères à l’heure actuelle ?

Ceux toujours actifs… Attends que je réfléchisse… Je collabore sur pas mal de projets mais si je limite la liste à mes propres trucs, je dirais Jesu, Godlfesh, Final et ensuite des projets plus secondaires, comme JK Flesh, White Static Demon, Council Estate Electronics, et d'autres choses encore plus obscures. Les trois premiers sont vraiment ceux dans lesquels je mets du temps et de l’énergie, et les autres se partagent les miettes. Donc allez, je dirais dix en tout.

Comment gères-tu ton emploi du temps ?

Eh bien, je fais beaucoup de remixes et de production en simultané. Il arrive que mes propres trucs soient relayés au second plan et que les remixes passent avant. C'est un moyen stable de faire de l’argent, et c’est aussi un truc qui me donne pas mal d’inspiration. Je fais beaucoup de choses tout seul, donc je suis tout le temps dans ma bulle, et ça fait souvent du bien de travailler sur la musique de quelqu’un d’autre, de s’en servir comme influence pour d’autres projets. Pas du point de vue de la musique en elle-même mais du processus par lequel je me la réapproprie. Ça apporte un regard et un contexte différent.

Tu as relancé Godflesh sur scène il y a quelques années, avec qui tu as sorti un nouveau single via Decibel Magazine. Tu travailles aujourd'hui sur un nouvel album, A World Lit Only By Fire.

Oui, depuis un an et demi. Le flexi-disc sorti par

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Decibel

est une reprise d’un vieux groupe, Slaughter, à ne pas confondre avec le groupe de hair metal du même nom. Revenir avec une reprise est un bon moyen de réintroduire le son de Godflesh parce que le titre original est un morceau de death metal très primitif, une des principales influences de Godflesh. Le nouvel album est basé sur dix morceaux qui sont presque entièrement terminés. Nous allons l’enregistrer et le mixer durant les semaines qui viennent en espérant qu’il sorte en mai prochain.

Comment décrirais-tu cet album ? Plutôt Streetcleaner ou plutôt Hymns ?

Il est certainement plus proche de

Streetcleaner

que de

Hymns

. C’est un retour aux fondamentaux. Initialement, Godflesh a été conçu comme un duo avec une boîte à rythme très rudimentaire, c’était le concept original. Et c’est la même chose sur le nouvel album : moi et Ben Green, à l’ancienne. C’est un bon mélange des trois ou quatre premiers albums : minimaliste, dépouillé, dissonant, brutal et très direct. C’est assez radical, mais il y a toujours des morceaux « pop » avec un rythme et des riffs récurrents. C’est de la musique physique.

Est-ce que le fait d’être papa et d’avoir maintenant un jeune enfant innocent dans ta vie a modifié ta façon d’écrire ?

Oui, sur plein de niveaux. Ce qui est encore plus beau lorsqu’on a un enfant c’est qu’on revit ce sentiment d’innocence. Chaque jour que je passe avec lui me ramène à cette innocence perdue et me fait aussi penser à celle qu’il perdra, c'est d'ailleurs un des principaux thèmes du nouvel album de Jesu. Pour ce qui est de Godflesh, eh bien je dirais que sa simple existence renforce toutes mes souffrances. Il n’y a pas un seul jour où je ne m’inquiète pas pour lui. Ce qui est super avec ma copine c’est qu’elle est beaucoup plus positive. Elle rétablit l’équilibre. Ceci étant dit, il n’a pas non plus atténué ma rage ou ma frustration, ce feu brûlant est toujours là. J’ai peur du futur, peur des autres. Tu connais, le classique « l’enfer c’est les autres ». Je suis surprotecteur, sur-possessif…

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Je dois dire que ce nouvel album de Jesu est sans doute mon préféré depuis le premier.

Wow. C’est super d’entendre ça parce que je suis vraiment fier du premier album de Jesu, c’est l’époque où je commençais à explorer d’autres univers. J’ai beaucoup expérimenté après

Conqueror

, et ça n’a pas donné grand-chose… C’était vers le milieu des années 2000, j’étais complètement saturé, il faut avouer. J’essayais des tas de choses, mais ça revenait toujours au même. Ce qui me plaît dans cet album c’est qu'il reprend un peu les choses là où je les avais laissées avec

Silver

, qui est selon moi un des meilleurs EPs de Jesu. Il allait assez loin, musicalement. Ça m’a rappelé que le meilleur de mon travail était contenu dans mes EPs, et que finalement les albums s’éternisaient sans rien amener de nouveau. C’est pour ça que ce nouvel album ne dure que 45 minutes. J’ai voulu faire un album concis, direct. Il y a un vrai parti pris. J’en suis très fier.

Passer des hurlements de Godflesh au chant plus soft de Jesu a dû être une sacrée transition pour ta voix. Comment tu t’es débrouillé pour reprendre Godlfesh ? C’est plus cathartique, j'imagine ? Et comment vont tes cordes vocales ?

Oui c’est très cathartique. C’était plus dur pour moi de passer de Godflesh à Jesu que l’inverse. Avoir crié pendant des années et ensuite vouloir migrer vers un univers plus sombre et mesuré dans Jesu a été assez difficile. Hurler est quelque chose de naturel pour moi. C’est ce que j’ai fait pendant des années. Jesu était un vrai challenge. Et après des années à

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chanter

dans Jesu, j’étais impatient de reprendre Godflesh, ça m’a en quelque sorte régénéré et fait prendre du recul sur Jesu. Et puis c’est aussi plus facile de hurler dans Godflesh parce que ma voix est devenue plus puissante. J’avais besoin de ça. En fait, je trouve ça plus facile de hurler maintenant que quand j’avais vingt ans. Il y a un lien avec mon addiction à l’alcool et à la cigarette, j’imagine. Grace à mon fils, ces deux choses ont été en partie éradiquées de ma vie. Je suis en meilleure santé maintenant mais je regrette ces années où je buvais et où je prenais de la drogue. Il y a des notes que je ne peux plus tenir aujourd’hui. Même des gens de mon âge qui sont là depuis des années viennent me voir et me disent « Comment ta voix est devenue si puissante ? Je t’ai vu dans Godlfesh il y a vingt ans et tu galérais trop au micro. » Et je leur réponds simplement que tout ça est dû à l’alcool, et à tous ces spliffs que je fumais avant de monter sur scène, tout simplement.

J’ai lu un truc dingue à propos d’un concert en 1991 à L.A. où ce photographe s’était fait taillader au rasoir par un gamin défoncé à l’Angel Dust, qui a ensuite été passé à tabac. Tu te souviens de cette histoire ?

Ouais, j’ai lu des trucs à propos de ces concerts. Certains relèvent de la légende, mais beaucoup de concerts que j’ai donné ont été particulièrement violents. Le concert dont tu parles était le premier qu’on faisait à L.A. si je me souviens bien, et une personne est morte ce soir là. On a fait d’autres concerts où des gens se sont fait tuer. C’était une situation atroce pour nous. Tu ne peux pas voir quelque chose de plus atroce à un concert, c’est impossible. Quand on a fait nos premiers concerts en Europe ou en Angleterre, ça pouvait dégénérer, mais c’est jamais devenu

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aussi

violent qu’aux USA. Ce concert à L.A., c’était vraiment le carnage, c’est pour ça qu’il est devenu légendaire. Trois jours plus tard, le L.A. Times publiait une page entière là-dessus avec une photo de moi torse nu en train de gueuler comme une bête qu’on égorge. Et en titre ils avaient mis cette vieille description de Throbbing Gristle, « Wreckers of Civilization » ou un truc du genre. Comme si notre musique encourageait la guerre des gangs, ce qui nous paraissait étrange parce que Godflehs était bien plus surréaliste que la plupart de ces groupes hardcore qui encourageaient ce type de violence. On ne glorifiait pas la violence, tout était ironique. On a été éduqué avec Crass, le peace punk, le mouvement hippie.

Vous étiez directement confrontés ou menacés par cette violence ?

Ouais, surtout sur scène. Je me rappelle très bien de cette tournée et de ce concert à Miami, au premier plan, devant la scène, tu avais ce public modèle et plus loin derrière des tas de pseudo-skinheads, tatoués et torses nus qui ont commencé à défoncer tout le monde. Ils gueulaient après nous et on a terminé le concert par une déflagration de 15 minutes. Ils continuaient à gueuler, on leur répondait, et le public de fans au premier rang se protégeait l’arrière de la tête pour ne pas recevoir de coups de poings. Au moment de filer en backstage, l’organisateur nous a crié « sortez par l’arrière de la salle ! » Ca ne déconnait pas. Ce pauvre type nous a guidé vers la sortie et jusqu’à notre bus. Tout ce qui lui importait était notre sécurité. On avait vraiment énervé ces types, qui étaient plutôt dans le punk, le metal ou le rock, mais pas dans Godflesh visiblement. On pensait leur apporter un truc qu’ils n’avaient jamais entendu avant. On n’a vraiment rendu fous un paquet de gens à l’époque.

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J’imagine que tout a bien changé aujourd'hui.

Ouais, les gens disent toujours que c’est une expérience unique, que nous sommes uniques. Mais notre son n’a pas mis longtemps à être digéré, après nos premières tournées entre 1988 et 1991 en gros. Tous ces gens qui nous huaient quand on ouvrait pour des groupes de metal nous faisaient bien marrer. Des années après on les retrouvait au premier rang à nos concerts. Et on plaisantait sur le fait que les gens avaient mis vachement de temps à comprendre notre son, qui était encore trop « frais » pour eux à l’époque.

Tiens, tu vas pouvoir me confirmer un truc : c’est vrai que Danzig t’a proposé de les rejoindre ?

Ouais, absolument, c’est vrai. J’ai eu quelques conversations téléphoniques avec lui et son manager à un moment. C’était en 1994 quand Godflesh ouvrait pour la tournée Danzig/Type-O-Negative aux Etats-Unis, pour la sortie de

Danzig 4

. Glenn Danzig était un gros fan de Godlfesh. Peu de temps après la tournée, son manager, un mec hyper corporate qui s’était déjà occupé de Guns N’Roses, m’appelle et me sort : « Hey mec, je vais te mettre en ligne avec Glenn. » Glenn ne m’a même pas demandé si je voulais faire partie du groupe, il m’a juste parlé de plein d’autres trucs. C’était bizarre. C’est son manager qui me bassinait en me disant qu’il allait me mettre dans un avion pour L.A. pour faire ceci et cela. Et quand j’ai décliné l’invitation, le manager a complètement craqué. Il me voyait évidemment comme un petit gars d’un tout petit groupe et ne comprenait pas du tout pourquoi un mec comme Danzig s’intéressait à moi. Il m’a alors sorti un truc hyper comique : « Tu ne peux pas refuser son offre ! Putain mais tu te prends pour qui mec ?! »

Je suis un grand fan de Danzig mais j’imagine que ça doit être infernal de bosser avec lui. Tu n’as pas dû louper grand chose.

Complètement. J’essayais de faire comprendre à ce manager que la chose la plus importante pour moi était de conserver ma propre vision. Désolé, mais c’est ça mon truc, me faire plaisir. J’aurais pu bouger à L.A. mais j’avais une vie à côté, et j’aime vivre en Grande-Bretagne, tu vois ce que je veux dire ? On a demandé plus tard à Danzig, dans une interview, pourquoi j’avais décliné son offre, et malgré son ego plutôt balaise il avait répondu un truc très simple : « Ce mec déteste prendre l’avion » ou une connerie comme ça. C’est vrai que j’ai peur en avion, beaucoup de gens le savent, mais ce n’était certainement pas la raison principale. Je ne veux pas rejoindre le groupe de quelqu’un d’autre, c’est aussi simple que ça.