FYI.

This story is over 5 years old.

Music

De Madonna à Mykki Blanco : l'évolution de l'icône Queer

À l'heure où le monde se dirige vers une plus grande souplesse sexuelle, l' « icône gay », au sens traditionnel du terme, apparaît comme un concept terriblement archaïque.

Grandir dans un village prolo du Yorkshire en étant obligé de cacher son homosexualité n'est pas chose facile. J'ai passé toutes ces années en sachant pertinemment que je n'étais pas du même « masculin » que les hommes qui m'entouraient. Je détestais le foot, je préférais feuilleter des magazines de mode plutôt que faire du tuning, et mon film préféré était Lolita Malgré Moi. Les mecs populaires, eux, passaient leur temps à se mettre sur la gueule dans la cour du lycée, descendre des canettes de White Star dans le parc du coin, et essayer de mettre leur langue dans la bouche de toutes les filles du bahut. Ils donnaient l'impression d'avoir totalement confiance en eux, de ne pas avoir peur de la baston, et qualifiaient tout ce qui n'était pas socialement acceptable de « gay », tandis que les homos étaient des « pédales ». J'apprendrai par la suite qu'il s'agissait là de manifestations sociales de la masculinité sous sa forme la plus exagérée – voire franchement toxique –, mais tout ce que je voyais à l'époque, c'était que ces garçons étaient admirés par leur entourage ; et pendant longtemps, je me suis dit que j'aurais aimé être un peu plus comme eux. Comme les mecs de Bronski Beat, j'ai fini par quitter ma smalltown pour rencontrer des tonnes de gens comme moi et me sentir enfin en phase avec ma sexualité et mon identité en général. Ce à quoi je ne m'attendais pas, par contre, c'était à tous les stéréotypes et les attentes débiles qui accompagneraient mon coming-out. Être gay, ce n'était pas suffisant – on attendait de moi que je me comporte comme tel et que je me passionne pour les choses auxquelles les gays sont censés se passionner, comme si j'étais l'incarnation de Stanford, le meilleur pote de Carrie Bradshaw dans Sex And The City. Par moment, ces clichés s'avéraient tellement pesants et handicapants que j'avais l'impression d'être à nouveau dans ma petite ville du Yorkshire, à tenter désespérément de me faire passer pour un hétéro.

Publicité

Les stéréotypes gay peuvent revêtir de nombreuses formes différentes, certaines plus subtiles que d'autres, mais celui que j'ai troujours trouvé le plus bizarre, c'est le concept de l' « icône gay » – cette idée comme quoi je dois forcément me prosterner sur l'autel de divas telles que Mariah Carey, Cher ou Madonna. Il m'est arrivé de me retrouver à des apéros où des filles hétéros bitchaient sur une chanson de Kylie Minogue, m'observant avec des yeux pleins d'attente, espèrant sans doute que j'explose dans une flamboyante idignation en poussant de petits cris aigus. J'ai croisé des gens qui ont – anecdote authentique – essayé de deviner si j'étais « actif » ou « passif » en analysant ma playlist Spotify, et on me demande bien trop souvent mon avis sur une éventuelle reformation des Spice Girls sans Geri Halliwell. Des mecs, homos eux-mêmes, m'ont déjà approché dans le fumoir de certains clubs pour me demander quel était mon morceau préféré de Britney, comme si on m'avait uploadé les archives intégrales de ses lyrics dans le cerveau à ma puberté, au terme d'une cérémonie officielle de conversion à l'homosexualité.

Soyons clairs : il n'y a absolument rien de mal dans le fait de vénérer ces femmes brillantes et pleines d'énergie, et j'apprécie leur musique au même titre que n'importe qui ; qu'il soit homo, hétéro ou quoique ce soit d'autre. Il y a bien assez d'homophobie dans le monde pour qu'un homo se mette à ricaner des centres d'intérêts d'un autre homo, surtout si c'est pour lui reprocher d'être « trop évident ». Mais ce n'est pas parce que je suis gay que j'écoute forcément certains artistes catalogués comme tels. L'identité queer est tout aussi nuancée que l'identité hétéro – il est donc tout naturel que sa représentation le soit aussi.

Publicité

Bien entendu, il y a une raison qui explique que des artistes comme Mariah Carey, Madonna, Cher, Kylie Minogue, Britney ou Christina Aguilera aient été historiquement associées au contexte LGBTQ+. Nombre d'entre elles se sont engagées pour notre communauté, ont pris position et ont témoigné leur soutien à notre lutte. Certains avancent également qu'en tant que femmes, elles ont rencontré des difficultés faisant directement écho à celles que rencontrent les gays, et que la force qu'elles déploient dans l'adversité fait d'elles des icônes pour l'ensemble de la communauté. Comme l'a expliqué Heather Love, professeur d'anglais à l'Université de Pennsylvanie, au Huffington Post : « Cette attirance [pour les icônes féminines] peut s'expliquer par ce qu'elles représentent : une féminité et une force de caractère hautement stylisées, combinées à une forme de rejet, une situation sur-médiatisée et un désir de réussite et d'indépendance exprimé de façon très théâtrale. » Un article publié dans Salon intitulé « Where Have All The Drag Queens Gone ? » [Où sont passées les drag-queens ?] développe une thèorie similaire. L'auteur avance que si les drag-queens imitent des femmes comme Judy Garland, Dolly Parton et Cher, c'est parce qu' « elles ont surmonté les insultes et les épreuves au cours de leur vie, et parce que leurs récits reflètent la douleur que beaucoup d'homosexuels ressentent dans le processus du coming-out. »

Publicité

Ceci dit, la culture LGBTQ+ – et, plus précisément, sa représentation dans la pop culture – a considérablement évolué depuis l'âge d'or d'artistes comme Madonna et Cher. Déjà parce que le grand public commence enfin à prêter attention à la voix des communautés trans, non-binaires et queer, au lieu de se focaliser seulement sur les personnalités gay masculines, blanches et cisgenres. Une évolution qui rend la notion d' « icône gay » totalement dépassée et réductrice. L'appartenance à la communauté LGBTQ+ a des significations différentes, pour toute sorte de gens différents ; et elle va, par nature, à l'encontre de toute tentatives de généralisation culturelle.

Mais ce qui est peut être le plus caractéristique du rôle de l'icône queer dans le paysage musical actuel, c'est qu'elle n'est plus interchangeable avec « l'icône pop ». Lorsqu'on

avait demandé

à Missy Elliott pourquoi elle n'avait pas participé au

baiser

partagé par Madonna, Britney Spears et Christina Aguilera aux MTV Video Music Awards de 2003, elle avait eu l'air choquée. « Non, non, non », avait-elle dit. « Le hip-hop ne ferait jamais ça. Jamais, pas

même

dans un million d'années. » Mais 13 ans ont passé et le hip-hop s'y est mis. De Le1f à Cakes Da Killa et Zebra Katz, en passant par Angel Haze et Frank Ocean, certains rappeurs parmi les plus talentueux et reconnus du moment, se présentent comme étant ouvertement queer. Et puis il y a les artistes comme Mykki Blanco, qui est au delà de la notion de genre, passant du hip-hop au punk, de la poésie à la noise expérimentale la plus pure, en un battement d'aile. À mes yeux, Blanco incarne la quintessence de l'icône LGBTQ+ d'aujourd'hui. En refusant de s'enfermer dans une boite, elle correspond parfaitement à une génération qui s'y refuse aussi, et devient un modèle de référence pour la jeunesse queer du monde entier.

Publicité

Ces dernières années ont également vu une évolution notable s'opèrer chez les icônes queer, loin de la figure historique de la diva hétérosexuelle. En même temps que la communauté LGBTQ+ a gagné en visibilité, en fierté et en courage auprès du grand public, nos icônes ont évolué, représentant désormais notre communauté de manière plus directe, plus authentique. Anohni, par exemple, utilise constamment sa tribune pour parler publiquement des problèmes qui l'affectent en tant que femme trans, notamment dans sa carrière. Comme elle l'a écrit dans un article pour

Pitchfork

: « Quand j'avais la vingtaine, puis la trentaine, les gens me disaient qu'il n'y avait aucune chance que quelqu'un comme moi fasse carrière dans la musique… En tant qu'artiste transgenre, ma place a toujours été en dehors du mainstream. J'ai payé ce prix avec plaisir, pour avoir assumé mes opinions face à l'idiotie et de la haine. » Pour avoir mis un micro devant une voix trans (la sienne), et refusé de pacifier son discours, Anohni peut être considérée une icône LGBTQ+ très moderne.

À l'heure où le monde se dirige vers une plus grande souplesse sexuelle (des

études

récentes montrent qu'un jeune sur deux ne se considère pas comme étant 100 % hétérosexuel), l' « icône gay », au sens traditionnel du terme, apparaît comme un concept terriblement archaïque. Héloise Letissier, qu'on conaît mieux sous le nom de Christine & the Queens, évoque en détail sa pansexualité : « Je suis tombée amoureuse d'une fille, puis d'un garçon, et puis d'une personne qui était trans. Je me disais 'Mais putain ?!' Ce sont les sentiments qui dirigent tout ça. » Une identité qui s'exprime de manière similaire dans ses paroles : « She wants to be a man / but she lies / she wants to be born again / but she'll lose / she draws her own crotch by herself / but she'll lose because it's a fake" [

Elle veut être un homme / mais elle ment / elle veut renaître / mais elle échouera / elle se dessine l'entrejambe elle-même / mais elle échouera parce que c'est un faux

]. Cette souplesse est représentative d'une perception publique en évolution constante sur ce que sont vraiment la sexualité et le genre. Et, prenant les choses sous cet angle, comment quiconque pourrait-il avancer avec certitude que tous les non-hétéros devraient avoir les mêmes goûts ?

Tout au long de mon adolescence, j'ai désespérément cherché des modèles à suivre. J'habitais dans un petit village, avec très peu d'accès à la culture et une connaissance réduite de l'histoire queer. Je ne connaissais pratiquement personne traversant les mêmes choses que moi, ce qui implique que j'ai été condammé à découvrir ma propre identité par le biais indirect des tropes que je voyais à la télé ou dans les films, autant que grâce aux musiciens qui revendiquaient fièrement leur identité. Pour les jeunes héritiers de la communauté queer d'aujourd'hui qui luttent pour accepter leur identité, cela enlève un poids de savoir qu'ils ont un certain nombre d'artistes à leur disposition, incarnant toutes les nuances de la sexualité et du genre, avec une visibilité dans la culture grand public bien plus large que celle qu'ils auraient eu auparavant. Il y aura toujours de la place pour les « divas » de la sphère musicale ; dans une société qui déborde encore et toujours d'hostilité, on a grand besoin de leur flamboyance et de leur inébranlable confiance en elles. Mais les personnalités queer sont aussi complexes et nuancées que les personnalités straight – et il n'y a rien de plus normal que ces nuances et cette complexité se reflètent désormais chez nos nombreuses idoles musicales.