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Music

Eagulls : « On dit à notre boulangère qu’on fait du punk, pour faire simple »

Avec son nouvel album « Ullages », le groupe de Leeds prouve définitivement qu'il n'est pas du bois dont on fait les pignoles.

Ces cinq Anglais ne mâchent pas leurs mots. Ils ne les mâchent pas car ils les crachent direct. Même que ça leur joue des tours. Comme des punks. Des punks qu'ils ne sont pas. Même s'il est bien facile de les classer dans ce bac à légumes faute de pouvoir trouver mieux. Alors qu'il serait si simple de les larguer au-dessus du champ de bataille au milieu de la ruine laissée par Killing Joke et du champ de corbeaux de Robert Smith. Et finalement pas loin des Smiths auxquels certains les rapprochent parfois, pour une histoire de lyrisme qu'on aura quand même du mal à comprendre.

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Dans les faits, leur deuxième album pétaradant,

Ullages

(vous avez capté l'anagramme ou vous avez besoin d'une loupe ?), voit le groupe de Leeds reprendre sans trembler le flambeau de Cure en troquant les goth-tics contre une classe shoegaze naturelle qui les fait clairement sortir du lot indie british. Seuls présents lors de notre rencontre, George Mitchell (chant) et Henry Ruddel (batterie) n'ont définitivement rien de punk, pas plus que leurs potes Mark Goldsworthy (guitare), Liam Matthews (guitare) et Tom Kelly (basse). Humbles et sympas, ce sont juste des gars du Nord formidablement normaux dont le travail et la passion obsessionnelle commencent tout juste à payer avec ce qui restera comme une grande claque rock de l’année.

Tout juste se sont-ils laissés aller à une vanne plus bête que méchante suite à leur passage au festival South By Southwest de 2013, qui leur a valu d'être pointés comme le dernier groupe arrogant pondu par le Royaume-Uni. Que leur était-il reproché ? Une lettre ouverte sur leur blog parlant de « tous ces groupes en train de se sucer la teub et la presse ; des groupes utilisant d’affreux sons afrobeat ; des groupes attirant l’attention de l’industrie musicale grâce à une ou plusieurs filles »… Visiblement, on aurait préféré que ces couillons qui découvraient l’Amérique et le festival d'Austin la ferment et jouent comme tous les autres le jeu d’un showbiz où la moindre vaguelette vous éjecte de la plage VIP. Des punks, Eagulls ? Mieux que ça.

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Noisey : Le post sur votre site après SXSW a fait parler de vous plus que prévu, vous le regrettez aujourd’hui ?

George :

C’est clair que je le regrette aujourd’hui. C’était une sorte de blague entre nous, qui nous a fait marrer mais qui nous est retombée dessus car personne ne l’a comprise comme telle.

Vous pensez vraiment que les gens ont pris cette déclaration au sérieux et vous ont classés comme les anglais arrogants du moment ?

George :

Oui à fond. Alors que c’était juste stupide. J’ai même pensé à des excuses mais ça n’aurait fait qu’empirer les choses. Donc maintenant, c’est silence pour nous côté communication.

Vous venez de Leeds, est-ce une ville spéciale pour vous vis-à-vis de votre musique ?

George :

On a tous grandi dans la région. Henry et moi sommes du Derbyshire. Tout le monde connait Manchester, Londres, Liverpool… mais Leeds est moins clairement identifiée alors que la ville possède un passé énorme en musique, avec Gang of Four, Sisters of Mercy, une scène dance aussi. Il reste une histoire à écrire et avec un peu de chance, on en fera partie quand quelqu’un s’attaquera au grand livre de la ville.

Vous vous inscrivez dans une sorte d’héritage de la ville ou plutôt du grand Nord de l’Angleterre comme en témoigne votre reprise des Stone Roses ?

Henri :

Pas mal de gens de Leeds ne sont pas vraiment originaires de Leeds mais de Manchester ou de Liverpool, d’où cette impression de grande région, d’autant que Leeds occupe une place géographiquement très centrale.

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George : Pour en revenir à la reprise des Stone Roses, on ne peut pas oublier le fait que nous sommes anglais avant tout et cela serait de toute façon trahi par notre musique. Mais on n’essaie rien de particulier, il se trouve que c’est comme ça, nous avons absorbé un héritage.

Eagulls, c’est votre premier groupe ?

George :

Henry était avec mon frère dans un groupe qui jouait un peu comme ça, sans vraiment donner de concert. Alors que pour moi, c’est ma première expérience, sûrement la dernière aussi. Tout est arrivé lors d’une soirée d’anniversaire où leur groupe faisait une sorte de karaoké punk-rock. Je n’avais jamais vraiment pensé à chanter et c’est arrivé. D’ailleurs ce n’est qu’avec ce deuxième album que j’ai l’impression de commencer à chanter. Tout ça est donc plutôt nouveau pour moi.

Chanter c’est une chose, mais écrire des textes, c’en est une autre, non ?

George :

Je n’écrivais pas de paroles mais des poésies, je jetais des mots comme ça sans trop m’en occuper. Je dessinais, j’écrivais…

On vous présente souvent comme un groupe punk mais j’ai l’impression que c’est du grand n’importe quoi.

George :

Tu sais, quand tu vas chercher ton petit-déjeuner le matin, tu vas acheter des gâteaux, du thé, et là, la vieille dame te demande ce que tu fais. Tu réponds que tu joues dans un groupe et la façon la plus facile de définir ta musique, c’est de dire que c’est un groupe punk. C’est l’explication la plus simple et donc l’étiquette qui nous colle depuis le début. Du coup, les gens pensent que nous sommes des jeunes gens en colère, des fous. Mais nous ne sommes pas comme ça.

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Même à vos débuts ?

Henry :

Je ne crois pas que nous ne l’avons jamais été, en tout cas bien moins que tous les groupes de nos potes. Et sûrement pas assez pour que ça nous définisse.

George : On nous a résumés à de jeunes punks fous car il n’y avait personne d’autre qui fasse l’affaire dans cette catégorie pour les médias à l’époque. Mais pour être honnête, ils n’avaient que cette fameuse lettre stupide à se mettre sous la dent et c’est ce qui a justifié de nous ranger dans cette catégorie. Mais j’ai une opinion quelque peu différente, nous aimons lire des livres, nous préférons un bon vin à aller descendre des bières dans un pub… Vous n’avez pas non plus de crête rouge.
George : J’en ai eu une mais à 15 ans ! Encore une erreur de jeunesse bien naïve. Là, vous n’êtes que deux mais comment vous définiriez ce qu’apporte chacun au groupe ?
George : Chacun possède ses propres influences mais dès qu’il s’agit du groupe, on tombe sur un truc commun.

Henry : On en revient à cette notion de groupe anglais, c’est vraiment notre fondement.

George : Il y a beaucoup de groupes que j’adore et qu’Henry n’aime pas. Mais dès qu’il s’agit de notre propre musique, je dirais que tout vient d’un goût commun, on est généralement d’accord. Il y a bien sûr eu des points de désaccord mais rien de bien grave. Vous avez aussi réalisé une reprise de Requiem de Killing Joke, ça fait partie des références qui vous rassemblent ?
George : C’était une influence énorme pour nous à l’époque de notre premier album, et tout spécialement Geordie, leur guitariste. Leur énergie, leur agressivité que tu ne prends pas en pleine figure mais qui est pleine de sens. Tout ça nous a inspirés.

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Leur leader Jaz Coleman est aussi un gars plutôt imprévisible.
George : Il fait partie de ces gens très doués, il peut jouer avec un orchestre classique, soigner des arrangements. C’est marrant car je suis sûr que pas mal de gens prennent Killing Joke pour un simple groupe punk aussi. Alors que c’est sont des gars très doués et très intelligents. Vous aussi, vous avez déjà évolué entre vos deux premiers albums, comment vous définiriez ce changement ?
Henry : Notre premier sonnait effectivement un peu plus lourd. Pour le deuxième, quand Goldie (Mark Goldsworthy, guitare), a commencé à composer, il a vraiment voulu faire évoluer son jeu, les ambiances et il a tenté des choses en cherchant où ça allait nous mener. Il nous a beaucoup fait gagner en dynamique.

George :

Les changements de rythmes et de tempos de Goldie ont été déterminants et cela a modifié notre façon de composer. Cela m’a laissé beaucoup plus de place au niveau des mélodies et des textes. Cela a été une progression très naturelle en un sens. Ce deuxième album représente une écriture de chansons et non plus le fait d’appuyer sur les pédales et foncer. L’idée a été de garder l’énergie du premier album mais de la couler dans l’écriture des chansons. Goldie a beaucoup apporté dans les atmosphères, les textures des morceaux. Et c’est la même chose pour les textes. Pour le premier album, j’imagine que pas grand monde pouvait comprendre ce que je chantais. Cette fois, j’ai fait attention à ce qu’on puisse entendre les mots. Les effets ont été importants et la voix a été traitée au même titre qu’une piste musicale.

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Est-ce que les nouveaux titres ont d’abord été testés sur scène ?

Henry :

On a juste fait 8 ou 9 concerts, les premiers depuis des mois.

George :

Et ça s’est bien passé, de façon plutôt surprenante. Le public était à bloc y compris pour les nouvelles chansons. Alors que quand je vais à un concert et que le groupe joue des nouveaux titres, je suis toujours moins dedans.

T’avais vérifié si l’album n’avait pas fuité sur le Net ?

George :

Ah oui tu as raison, j’aurais dû regarder !

Et est-ce que vous avez l’impression que votre rock est compris différemment entre l’Angleterre et les autres pays ?

Henry :

Aux Etats-Unis, le public adore les groupes anglais, les gens les soutiennent. C’est la même chose quand des groupes américains jouent chez nous, les gens sont tout excités.

George : En même temps, les fans sont les mêmes partout où on va. Nous-mêmes restons les mêmes et le public reste le même. Les goûts des gens se ressemblent un peu partout dans le monde, en particulier si tu aimes tels types de musiques, cela dépasse les frontières. Mais c’est vrai que c’est exceptionnel pour des groupes étrangers de jouer en Angleterre, c’est étrange quand tu y penses. J’aimerais qu’il y ait plus d’artistes européens qui viennent jouer chez nous. On a eu un groupe berlinois qui est venu jouer avec nous et c’était cool. Comment vous-sentez-vous dans le paysage musical actuel ?
George : Je nous trouve plutôt isolés par rapport aux autres groupes, spécialement ceux qui sortent juste de l’underground. Il y en a plein, ils sont propres sur eux, on dirait qu’ils ont peur de dégager une émotion. Sinon, il y a quelques très bons groupes que j’apprécie, qui jouent très bien, mais qui resteront underground. Cela est dû à l’industrie qui ne mise que sur les groupes sûrs, quitte à ce que ce soit des trucs fake. C’est un truc auquel nous pensons pour Eagulls, nous ne ressentons pas le besoin de sortir de la scène underground. C’est étrange d’être vus à tel endroit où nous ne devrions peut-être pas nous trouver mais en même temps, j’aime ça car offrir notre musique à des gens qui n’auraient pas eu l’occasion de nous connaitre, c’est le sens même de la musique. Exposer notre musique au plus grand nombre, sans se la jouer snob ou dans son coin. Si seulement les gens de l’industrie musicale s’intéressaient aux « vrais » et les poussaient vers les sommets…

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Tu parles de tous ces groupes qui font du revival 60’s depuis des années avec la Rickenbacker qui va bien ?
George : On adorerait avoir une Rickenbacker si on avait les moyens ! Passons à la vraie chose sérieuse : pour ta voix et les ambiances, vous n’échapperez pas aux comparaisons avec Robert Smith, surtout en France où The Cure est toujours énorme.
George : C’est dû à la fréquence de ma voix. On nous dit régulièrement qu’on sonne comme The Cure. Puis qu’on sonne comme les Smiths. Alors que bon, il n’y a pas trop de rapport entre eux. Autant je comprends par rapport à ma voix, autant je comprends moins pour la musique. On peut comprendre par rapport à l’atmosphère que vous dégagez.
George : Là c’est super si on nous parle d’atmosphère car The Cure est une influence énorme pour nous. Mais pour l’atmosphère que le groupe dégage, pas pour leur son. En même temps, toute cette histoire d’influences me fait rire. C’est chouette si les gens comprennent que ces gens nous influencent car nous avons grandi en les écoutant. Mais nous avons aussi mis beaucoup de nous, et j’aimerais penser que nous sommes quand même originaux. Par ailleurs, vous êtes signés sur un label américain, c’est un choix de votre part ?
George : Comme tu le sais, nous avons donc eu la chance d’aller jouer à SXSW à Austin. Notre premier album était alors fini mais pas encore sorti. En un sens, c’était un peu notre dernière chance ce truc d’aller jouer en Amérique. D’ailleurs moi, je ne voulais pas. Et tous les autres ont dit : « on y va, on verra bien ce qui arrive ». On a joué là-bas, et puis d’autres concerts, et on a rencontré Tim du label Partisan Records qui a aimé l’album et nous a proposé un contrat. Depuis, le label nous laisse une entière liberté. C’est plutôt rare et c’est une sacrée chance. Vous n’aviez aucune touche avec des labels anglais ?
George : On a eu un peu d’intérêt suite à des concerts mais on a tellement joué avant de faire un disque qu’ils ont laissé tomber.

Donc au final, vous diriez que SXSW a été important pour vous ?
George : Beaucoup de groupes viennent pour rencontrer plein de monde, mais pas nous. On est venus car il y avait cette opportunité. On pouvait jouer en Amérique où on ne jouerait peut-être plus jamais, et ça s’est fini avec un contrat. En 2013, on est aussi allés jouer au Mexique, c’était marrant aussi. On nous a proposés de jouer au NRMAL Festival de Monterrey et ça a été une sacrée expérience.

Vous y êtes tombés sur des fans de Morrissey ?
George : Ah non, mais on a vu des trucs étranges là-bas. Pour le coup, on est un peu des punks pour eux. Tous les groupes du festival résidaient dans le même hôtel, c’était une bonne expérience. L’un des groupes s’est aventuré à l’extérieur et à quelques blocs de là, les gars sont tombés sur la police qui tirait sur quelqu’un dans une voiture. Ça arrive tous les jours apparemment. C’est plutôt dur.

Ça vous ferait passer Leeds pour un petit paradis.
George : Je ne décrirais pas la ville comme ça.

C’est comment l’ambiance chez vous ?
George : C’est la merde en Angleterre. Si tu as de l’argent, tout va bien. Sinon, t’es foutu. Et ça ne devrait pas marcher comme ça. C’est tellement injuste. Le pays est dirigé par des enfoirés depuis tant d’années… Le nouvel album de Eagulls, Ullages, sort demain 13 mai sur Partisan Records / PIAS. Pascal Bertin ne parle pas à sa boulangère mais il est sur Twitter.