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Music

Contrairement aux apparences, Dorian Pimpernel sont beaucoup plus drôles que vous

« Il faut qu'on fasse du grindcore pour qu'on nous prenne au sérieux ou quoi ? »

Photo - Chloé De Nombel Le groupe Dorian Pimpernel a un blaze tellement hautain qu'on est intimidé avant même d'écouter le disque. Quand on sait que « Dorian » fait référence au style architectural « dorique » -mais que ça n'empêche personne de penser à Oscar Wilde- et que « The Scarlet Pimpernel » est une douce fleur appelée « mouron rouge » (typiquement le genre d'espèce que citerait un auteur symboliste), mais aussi le surnom d'un héros de roman-feuilleton anglais du début 20ème qui portait secours aux aristos français menacés par les méchants révolutionnaires – on finit par se demander si tout ce tricot pseudo-victorien parfumé au thé de Ceylan et au monocle de vide-grenier, ne cache pas un énième combo poseur qui pense que le fin du fin en matière de savoir-vivre est un mélange de Georges Brummel, David Bowie, et Gustave Naast.

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Grave erreur, car il s'avère que ces mecs évoluent dans une dimension autrement plus balèze, et sont tout simplement sept fois plus brillants et cultivés que vous et moi. Pour parler d'un des morceaux présents sur leur dernier album Allombon, sorti sur Born Bad, ils disent par exemple : « 'Alfalfa' s’inspire des Cahiers Kangourou de Kōbō Abe, et traite de notre difficulté à habiter le monde, de nos manières d’y arrimer le langage pour en stabiliser le mouvement et de nos tentatives pour lui attribuer un sens. » Voilà. C'est exactement le genre de phrase que je ne prononcerais JAMAIS si je sortais un album sur Born Bad, mais HEY, 1/ à ce niveau de vol plané au-dessus de la mêlée, j'imagine qu'on se fout de tout, et 2/ je ne fais pas de musique.

Comble de coolitude, les mecs sont détendus en interview, loin de la préciosité d'antiquaire que leurs photos de promo pouvaient faire craindre. Sortir un album de pop parfait qui devrait rendre jaloux tous les pseudo-dandys de l'Hexagone ne les empêche pas de s'enfiler deux pintes à trois heures de l'aprèm, de chambrer à tout va, et de ne prendre au sérieux aucune question. Comme je pensais les interroger sur la musique qui a accompagné certains moments décisifs de leur existence, mais qu'aucun d'eux n'a semblé avoir le moindre lecteur mp3, on a fini par parler d'autre chose. Noisey : Bon, apparemment certains d'entre vous ont fait des études de philo à Paris, et il se trouve que je sais un peu comment ça se passe… Vous écoutiez quoi en prenant la ligne 4 le matin ?
Johan [compositeur, instruments divers] : Ben de l'accordéon, comme tous les autres usagers [Rires]. Sinon du Debussy, très fort.
Jérémie [chant, guitare] : Ah ouais, laquelle ?
Johan : Ben, la quatre [Rires].

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Et en lisant les Paralipomènes de Schopenhauer, alors ?
Johan : Là, je suis baisé.
Hadrien [batterie] : T'y connais rien à Schopenhauer, en plus.
Johan : Hey, j'ai lu Le Monde
Hadrien : Non, t'as lu le résumé.
Johan : Non mais quand tu as vraiment lu Kant comme c'est mon cas, tu peux lire Schopenhauer assez vite.

Mais du coup tu écouterais quoi ?
Hadrien : Micropoint. Ouais, de la hard-teck à très faible volume. Photo - Eglantine Aubry Et en traînant dans la librairie Vrin, entre les volumes poussiéreux de philo grecque et de philo médiévale ?
Hadrien : Slayer, évidemment.
Johan : Ouais, non mais moi j'ai pas d'iPod, en fait. J'écoute pas de musique dans la rue.

Imagine une bande-son mentale alors.
Johan : OK, alors Popol Vuh et Ash Rah Temple. C'est bien ça, comme bande-son mentale. C'est bien pour marcher très lentement. En fait il me faudrait des choses assez dé-réalisantes, lentes, cotonneuses, genre de la Kosmische Muzik. Ou du Debussy.

Et qu'est-ce qu'on écoute en faisant la queue chez Gibert pour revendre ses bouquins de philo universitaire après avoir raté quatre fois l'agrégation ?
Johan : Un truc qui calme, je déteste faire la queue. A priori de la Kosmische Muzik, genre Ash Ra Temple ou Popol Vuh [Rires].
Hadrien : Micropoint.
Jérémy : Debussy.

J'ai lu sur le site de Born Bad vos commentaires sur l'album, morceau par morceau. Très modestes d'ailleurs, ces commentaires.
Jérémy : Ah non mais ça c'est le biographe, Olivier Lamm, qui a pris ses renseignements et choisi de garder cette partie telle quelle. Au départ c'était juste des éléments d'informations pour qu'il fasse sa popote.
Johan : C'est vrai que comme ça, ça fait hyper prétentieux. Et sur le site de Born Bad, ça dénote un peu avec Cobra. Même si c'est super, Cobra.
Hadrien : Tiens, à la Fête de l'Huma, j'aimerais qu'il y ait Cobra. Et Pompidoo.

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Dans ces commentaires donc, j'ai lu que le morceau « The Mechanical Eardrum » parlait d'une espèce d'oreille qu'on avait raccordé à une machine électrique…
Johan : C'est une oreille qui a été prise à un cadavre et reliée à un dispositif électro-mécanique, et la membrane de l'oreille servait de micro. Elle était censée enregistrer les gens qui parlaient, et le mécanisme retranscrivait au moyen d'un stylet les stimuli auditifs. Son inventeur Alexander Graham Bell (1847-1922) pensait que cela pourrait constituer une sorte de prise de parole pour les sourds. À mon avis il doit falloir parler très, très fort pour qu'il se passe quelque chose.
Hadrien : Ben tiens, Micropoint là, ce serait bien.
Johan : Ou Motörhead, pour commencer.

Ils existent encore, Micropoint ?
Hadrien : Apparemment ouais… Moi j'ai juste écouté ça de nuit, dans une bagnole, dans la forêt de Rambouillet, en fumant des joints. Je n'ai pas poussé le vice au point de m'intéresser à leur bio.

Bon, alors moi j'ai une citation intello, quand même. L'histoire de cette oreille m'a fait penser à Pascal Quignard qui, dans La Haine de la Musique, dit que « les oreilles n'ont pas de paupières ». Contrairement aux yeux, on ne peut pas les fermer, donc on est condamné à entendre. Quelle musique vous fait regretter que les oreilles n'aient pas de paupière ?
Hadrien : FAUVE !
Johan : Meuh non… Tu tires sur une ambulance, là ! Et tout le monde doit avoir sa chance [Rires].
Jérémy : J'écoute de tout moi, tu sais. Et puis là, comme ça, c'est impossible de répondre à ce genre de questions… Je suis capable de trouver du charme à tout, en fait.
Johan : Non, moi je suis un vrai ayatollah. Le fait même d'entendre un truc désagréable au supermarché me pousse à faire mes courses très vite pour m'enfuir. Ce ne sont pas des paupières qu'il me faudrait, mais une bâche.
Hadrien : Moi pareil. Je déteste tout ce qui est récent, par principe, avant même de l'avoir écouté [Rires]. En particulier Kanye West. Et Pharrell Williams pour l'ensemble de son œuvre.
Johan : Et voilà, on est foutus pour les remix.

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À propos de votre musique, vous parlez de « moonshine pop »…

Johan

: Oui, c'est en référence à la « sunshine pop », un courant californien qui recouvre des groupes comme les Strawberry Alarm Clocks, Harpers Bizarre, etc. Le lien avec nous, c'est qu'on a une construction des morceaux en feuilletage, assez riche, mais on le fait à rebours, avec un côté plus sombre, et surtout plus moderne – on ne fait pas du tout de revival. On peut peut-être trouver les prémices de la moonshine pop chez Kevin Ayers, qui reprenait des orchestrations riches avec hautbois et flûtiaux, mais leur donnait un aspect mélancolique. Et plus lent. Nous aussi, c'est quand même beaucoup trop lent pour de la sunshine pop.

Hadrien

: On a quand même un single à 86 bpm.

Jérémy

: On a un single ?

Et le côté pop ésotérique, ça vous parle ?
Johan : Oui un peu, parce qu'on n'a pas de chansons d'amour par exemple. Kraftwerk parlait de centrales électriques et d'autoroutes, nous on parle de mythes Esquimaux avec des chiens qui ouvrent la gueule pour lâcher des boules de sperme, ou de la tenue ridicule de Heidegger, qui en plein vingtième siècle était habillé en paysan de la Forêt Noire. Donc oui, les thèmes ne sont pas des plus communs.
Jérémy : Après, ce qui a inspiré ces comparaisons avec l’alchimie, c'est le côté alambiqué dans les sonorités et les constructions.
Hadrien : Oui parce qu'au final les paroles sont assez réalistes. Ça parle de machines, d'échecs, d'illusions perdues, c'est assez terre-à-terre.

Il y a quand même une ambiance qui se dégage de votre esthétique, un côté un peu fantastique, onirique…
Jérémy : Oui mais attention, on ne se rattache pas à cette espèce de « faux désuet » qui fait l'univers de gens comme Tim Burton ou de Wes Anderson.
Johan : On a voulu nous en faire bouffer du Tim Burton, c'est un peu dur à la longue…
Hadrien : Oui, c'est dur à vivre, alors qu'on a un propos qui se rapproche plus de Zola au final [Rires]. Il faut qu'on fasse du grindcore pour qu'on nous prenne au sérieux ou quoi ?
Johan : Non mais je veux bien admettre qu'il y a un peu de préciosité dans ce qu'on fait… Mais chez Oscar Wilde par exemple, ce côté un peu précieux et guindé sert à dire des saloperies derrière, et c'est ça qui est intéressant, et c'est un truc que ne fait pas du tout Tim Burton.

Vous avez des affinités avec la scène mod ?
Johan : Un peu, surtout Benjamin, notre clavier, qui écoute de la Northern Soul en permanence. Moi je me suis barré quand j'ai compris que ces gens n'écouteraient jamais New Order… Après je garde quelques amours de jeunesse, pour les Kinks, les Small Faces…
Hadrien : Les petites birds…
Johan : Arrête, toutes les modettes elles ont quarante-cinq ans aujourd'hui, c'est sinistre. Enfin pour être complet, il faut dire que j'ai rencontré Benjamin et Laurent [les deux autres membres du groupe] sur le tournage de Mods de Serge Bozon. Bon, ce film ne parlait pas du tout des mods, en fait. Mais quand même. Allombon, le premier album de Dorian Pimpernel est disponible depuis le 30 mars sur Born Bad. La release party du disque aura lieu le 16 mai au Point Éphémère, avec Julien Gasc et Forver Pavot. On vous en reparlera d'ici là et on aura évidemment des palces à vous faire gagner ici. Pierre Jouan est notre cow-boy philosophe. Il n'est pas sur Twitter.