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« Def Jam: Fight For New York » est le jeu vidéo le plus sous-estimé de tous les temps

Pour un gamin de Baltimore, il était impossible de résister à l’appel d’un jeu vidéo dont la majorité des personnages étaient noirs et la bande-son 100 % rap.

8,5. Sur une échelle de 0 à 10, c’est tout ce qu’un pauvre idiot de chez Game Informer a réussi à donner à Def Jam: Fight For New York. Le type a beau avoir encensé le graphisme, le gameplay et le module de création des personnages, il n’a donné qu’un misérable 8,5… Une phrase m’a toutefois interpellé et m’a permis de comprendre que ce type ne faisait pas vraiment partie du public visé par ce chef-d’œuvre du jeu vidéo. Il a écrit : « ça m'a posé un souci d'apprécier un jeu qui résume la culture hip hop à des mecs qui se tapent dessus et achètent des bijoux hors de prix ». Le type n'a visiblement aucune idée de ce qui a pu se passer dans le rap entre l'arrivée de Rakim et celle de Playboi Carti. Avant que je vous dise tout l'amour que j'ai pour Def Jam: Fight for New York, je dois aborder le sujet Def Jam Vendetta, le jeu de combat originel de la série, au design nettement plus cartoonesque. Il a été développé par AKI, une entreprise maintes fois récompensée, responsable entre autres du jeu WWF No Mercy. Beaucoup de fans, aussi bien de jeux de combat que de rap se sont rués sur ce titre, attirés par son gameplay. La culture hip hop imprégnait tout le jeu, des remarques perplexes de Funkmaster Flex votre personnage étouffait son adversaire avec ses testicules à la bande-son bourrée de tubes de l’époque, d'hymnes old school et de titres inédits - ce qui m’a permis de découvrir Comp, un rappeur originaire de chez moi. Pour un gamin noir de Baltimore comme moi, il était impossible de résister à l’appel d’un jeu vidéo dont la majorité des personnages étaient noirs et dont la bande-son est 100 % rap. Ça n’intéressera sans doute pas les activistes de « All Lives Matter », mais n’importe quel renoi ou negrotaku [contraction de « negro » et « otaku », désignant en argot américain un noir américain fan de manga et d’anime] vous confirmera que ces détails étaient d'une importance capitale.

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Quand EA Games a compris qu’ils étaient en train de faire du fric avec un jeu de combat rap, ils ont immédiatement mis une suite en chantier : Def Jam: Fight for New York. Ils en ont profité pour pousser encore plus loin le mélange entre culture hip-hop et combat à la WWF No Mercy, intégrant de nouveau styles de combat et des décors qui allaient bien au-delà des simples rings traditionnels qu’on trouvait dans le jeu précédent. Les joueurs pouvaient choisir jusqu’à trois styles de combat sur six, alternant boxe, kickboxing et jiu-jitsu. Pour les lieux, on avait le choix entre la cave dégueulasse, le dancehall jamaïcain (non, mec, ce n’est pas forcément la même chose) ou la casse automobile : des endroits qui correspondent bien à l’esthétique brute du rap de la rue qui transpire dans tout le reste du jeu. Def Jam: Fight for New York n’était sans doute pas le meilleur jeu sur PS2, mais c’est certainement l’un des plus sous-estimés de tous les temps. Dans aucun autre jeu vidéo, la musique ne rivalise à ce point avec le gameplay. Def Jam: Fight for New York n’était pas excellent uniquement pour la présence de rappeurs, et si vous êtes assez âgé, vous aurez en tête pas mal d’autres exemple de jeux qui ont essayé de miser sur une célébrité (au hasard, Shaq Fu). Non, ce jeu était formidable parce qu’il plongeait le joueur dans un univers rap imaginaire où les barres de métal étaient remplacées par le clinch et l’uppercut du muay thaï. Et, mieux que tout le reste, il y avait ce module de création du personnage. Au début de Vendetta, on avait le choix entre quatre bons gros losers qui, au fur et à mesure du jeu, se transformaient en de bien meilleurs combattants, vêtus de fringues toujours plus ringardes. Imaginez « Love Don’t Cost a Thing » incluant une scène où Nick Cannon tabasse N.O.R.E.

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Dans Def Jam: Fight for New York, c’était à vous de construire votre personnage. Après avoir conçu son apparence, vous pouviez commencer à vous entraîner - avec rien de moins que Henry Rollins ! Au fil du scénario, c’est à vous qu’il incombait de gérer votre transformation. On progressait et on débloquait des nouvelles boutiques qui nous fournissent les bijoux, les fringues de la marque Enyce, et la coupe de cheveux qu’il fallait pour aller défoncer la gueule d’un type sous un lampadaire. Le module de création de personnage était forcément excitant quand le choix d’un personnage noir se résumait habituellement à : coiffure afro, crâne chauve, ou cheveux très courts. Après chaque combat, je m’empressais d’aller visiter les boutiques, tout excité d’aller dénicher le nouveau bracelet que j’allais pouvoir acheter pour mon personnage. Alors affirmer que ce jeu ne représente pas suffisamment la culture hip-hop, c’est comme dire que la série Détour Mortel ne dépeint pas assez précisément la Virginie de l’Ouest. Depuis l’attitude machiste évidente des entrées spectaculaires des personnages et de la célébration de leurs victoires, jusqu’à la tassepé du quartier court vêtue qui te fout la gaule (ce qui donne le droit à ton bon ami Method Man de te gronder), je crois que AKI a réussi à mettre tout ce qui fait l’intérêt du rap dans une console. Pourtant, ce grand bonheur n’allait pas survivre au passage du jeu sur PS3 et Xbox 360. Étonnamment, EA Chicago s’est emparé du projet et s’est dit : « on doit pourrir un peu le jeu ; pas trop, mais juste assez pour que les gens l’oublient au bout d’un an ». Le producteur du jeu, Kudo Tsunoda, pensait que le combat et le rap ne faisaient pas bon ménage, et croyait avoir une meilleure idée : des combats uniques entre stars mondiales du hip-hop. Fini les gestes de folie qui ponctuaient les duels, fini le système de combat, place à un combat de rue hyper basique dont l’environnement est complètement ruiné par la musique. Le jeu manquait cruellement de caractère et de couleur, proposant plutôt des rappeurs au look hyper réaliste, et un scénario chiant à mourir - imaginez Empire avec des combats de kung-fu très mal reproduits. Avec Def Jam Icon, EA Chicago a réussi le tour de force de ruiner la légende que AKI avait brillamment construite avec Def Jam: Fight for New York.

Je pense qu’il n'existera plus jamais aucun jeu capable de mélanger aussi bien musique et baston. Je le sais pour deux raisons : la première c'est Guitar Hero et la deuxième, les jeux vidéos sur smartphone. Guitar Hero a complètement changé le paradigme du jeu vidéo, créant son propre genre et engendrant de nombreux imitateurs. Avec Guitar Hero, DJ Hero, Def Jam Rapstar et Rock Band présents sur le marché, la musique est devenu un genre de jeu vidéo à part entière, et les éditeurs ont fini par perdre tout intérêt dans les jeux sur console mettant des célébrités en avant. Parallèlement, le jeu en ligne s'est imposé comme le nouveau filon juteux pour quiconque dispose déjà d’une fan base. Aucun capitaliste vorace n’irait miser sur les consoles actuelles - trop chères et encore trop peu utilisées - plutôt que sur les smartphones, que tout un chacun possède aujourd’hui.

En outre, avec le freemium - qui permet de commencer à jouer gratuitement à une partie d’un jeu - les entreprises peuvent aujourd’hui générer bien plus de bénéfices à partir de multiples micro-transactions, qu’en vendant un jeu complet. Ce qui explique le succès de Fetty Wap sur Android (un jeu de course automobile lancé par le rappeur Fetty Wap), et le lancement sur iPhone de Dabbing Santa par 2 Chainz. Fini l’époque de 50 Cent: Blood on the Sand ou Wu Tang: Shaolin Style. Si on cherche sa dose de jeu vidéo rap, on trouvera sans doute une app de Gucci Mane inspirée par Farmville. Cela veut donc dire qu’il n'y aura plus jamais de jeu comme Def Jam: Fight for New York. Il est possible que l'industrie de la nostalgie se plonge dans la réalisation d'un remake HD, mais rien n’est moins sûr. Comme me l’a dit une fois un type très sage, « Niggas want my old shit, buy my old album ». Alors dans l’immédiat, je suivrai son conseil. Et maintenant, veuillez m’excuser mais je vais allumer la PS2 et tenter de jeter Joe Budden sous un train. Action Bastard est un journaliste de Baltimore. Il est sur Twitter.