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Music

Le photographe David Delaplace veut réunir tout le rap français dans un livre

Ça s'appellera « Le Visage du rap » et ça sortira courant 2016.
Keuj
par Keuj

David Delaplace devant son mur de post-it.

Originaire de Vigneux dans le 91, David Delaplace, 25 ans, est photographe dans les milieux de la mode et du rap. En février 2014, il s’est lancé dans un projet d’envergure : retrouver tous les acteurs marquants de la scène hip-hop hexagonale pour les photographier. L’objectif étant de réunir tous ceux qui ont fait l’histoire du rap français, durant quatre décennies, dans un livre qui s’intitulera Le Visage du rap. La date de sortie est prévue courant 2016. Nous avons rencontré David pour effectuer un bilan de son projet à mi-parcours.

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Noisey : Comment t’as commencé la photo ?
David Delaplace : J’ai commencé par la vidéo en fait. Gamin je me baladais dans le quartier avec une caméra à la main. C’était marrant, je filmais et photographiais tout ce qui fait la vie d’une cité : les barbecues, les bagarres, les descentes de police, les voitures brulées. À l’époque, tous les Skyblog de Vigneux hébergeaient mes vidéos et photos. Parallèlement, je faisais du skate, un milieu où la vidéo est très présente. Je suis tombé dans le hip-hop par le biais de mon grand-frère. Il faisait un peu de musique et j’ai commencé à lui faire quelques photos. Elles ont plu au manager de Tito Prince, un rappeur du quartier, qui m’a alors demandé de bosser avec lui. Ça s’est jamais fait finalement, mais je me suis dit qu’il y avait peut être un truc à faire dans ce domaine.

À côté de ça j’ai toujours été gros fan de rap, c’est d’ailleurs la seule musique que j’écoute. Je me suis mis à la photo comme ça, en autodidacte. J’ai bossé avec La Comera puis deux semaines après j’ai été approché par Buzz de fou. J’avais un peu d’argent de côté alors je me suis acheté un bon appareil pour l’époque. Très vite je me suis retrouvé à Planète Rap et dans le milieu du rap en général. En complément de ça, je me suis perfectionné en bossant pour la mode féminine. D’ailleurs, si quelqu’un me demande un conseil pour débuter dans la photo, je lui dirais direct de travailler avec des femmes : c’est très formateur au niveau de la technique, de la lumière. Ensuite, j’ai fait pas mal de couvertures, des photos de concerts et quelques pochettes d’albums pour des artistes indé, style Phantom de Green Money. Je commençais à me constituer un bon CV même si financièrement, c’est le milieu du textile qui me permettait d’en vivre.

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Lino sous un pont non-identifié.

Et l’idée du projet, elle vient d'où ?
Je me suis tout simplement posé la question : comment créer un projet qui pourrait permettre de faire découvrir à certains ce qu’est le hip hop dans toute sa complexité et sa diversité, au-delà des préjugés habituels ? Et comment, en même temps, réaliser une œuvre me permettant de mettre un pied ferme dans cette culture afin d’y laisser une marque ? C’était en février 2014. Lino, le seul artiste dont je peux dire que je suis fan, n’avait pas encore fait son retour. Je me disais que c’était dommage que certains jeunes ne le connaissaient pas par exemple. J’ai pris conscience de ce problème de transmission en France et j’ai décidé d’aller dans ce sens.

Il se trouve que j’ai un ami en commun avec Oxmo Puccino qui lui a parlé du projet et a eu un retour positif. Du coup, le 8 février je rencontre Oxmo. Je lui présente le projet, qui a ce moment là était encore une idée. Oxmo ne le sait pas mais c’est lui le premier artiste à avoir accepter de participer. Je lui avais présenté des images d’archive, je lui ai dit que d’autres activistes que je connaissais bien allaient aussi participer (et ils l’ont fait). Pas très sport, ok, mais je voulais mettre toutes les chances de mon coté. Au final, il a adhéré direct et on a passé la journée ensemble. On a shooté au-dessus du périphérique, puis en studio, pendant qu'il enregistrait un titre, bref, une journée mortelle. Je respecterai toujours énormément Oxmo pour cette journée. Deux jours après je vois Lino qui kiffe direct en me disant que le rap français manque d’initiatives comme ça. Avec ces deux figures comme moteur, le projet était lancé.

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Tu t'es débrouillé comment ensuite ?
J’avais déjà quelques connexions, j’ai rappelé tout le monde en présentant le truc et je suis vite arrivé à une trentaine d’artistes. Au niveau de l’organisation c’était le bordel, je manquais de méthode et de cohérence. Un jour, je shootais un mec de maintenant, le lendemain un mec des 90’s et après un des 80’s. Le projet n’était pas défini dans le sens ou je ne savais pas où j’allais aboutir. Le bouche à oreille augmentant, le nombre de contacts m’a permis de clarifier les choses. Depuis janvier dernier, c’est vraiment carré je fonctionne par période, liste d’adresses, avec un mur de post-it où je vois les artistes validés, ceux à recontacter, etc… Je me suis inspiré des méthodes des flics finalement [Rires]. J'ai notamment bossé avec les gens qui ont essayé de reprendre Rap Mag, j’ai fini par réunir plusieurs centaines de contacts.

Rockin' Squat à Rio

Quelles rencontres t’ont particulièrement marquées ?
J’en ai trois en tête. D’abord EJM, que j’ai rencontré par pur hasard. Je devais faire Dee Nasty qui m’a mis un plan, il faisait la sieste pendant que j’attendais en bas de chez lui. On s’arrange pour se revoir le soir-même après son concert auquel était présent EJM sans que je le sache. Je découvre un super gars, peut être l’artiste avec lequel je m’entends le mieux dans ce projet-là. On partage énormément et c’est devenu un ami, au-delà de la musique. Il m’a intronisé avec beaucoup de gens. D’ailleurs, certains avaient refusé d’apparaître au départ et ils sont revenus grâce à lui. Il m’a aussi permis de rencontrer Vincent Piolet juste à la sortie de son livre, qui m’a permis de retrouver pas mal de monde, notamment Style J ou New Generation MC.

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Ensuite il y a Rockin’ Squat qui était partant mais qui a voulu faire les choses mieux, il m’a invité à Rio. Je l’ai retrouvé là-bas en septembre 2014 pendant le festival Planeta Ginga, qu’il organisait dans « la cité de Dieu ». On a donc fait quelques photos à Cidade de Deus, un bidonville plat contrairement à ce qu’on pourrait penser, et d’autres à Rocinha qui est plus escarpé. La plus grande Favela de Rio avec plus de 250 000 habitants, c’était Bagdad ! La misère est différente d’ici, ça t’ouvre l’esprit en même temps. Généralement, il filait un petit billet aux gens pour pouvoir rentrer chez eux et profiter de la vue sur les toits. Sauf que ça a failli ne pas se faire. Le matin du gros shooting on voit à la télé les images d’une fusillade. Squat m’appelle et me dit que ça va être trop tendu. Je lui réponds que j’ai mon avion le soir-même donc impossible de reporter. Au final, on a porté nos couilles et ça l’a fait.

Il y a enfin DJ Djel, un gars en or. Dès que je lui demande un peu d’aide, inutile de le relancer. Je ferais pareil pour lui le jour où il en aura besoin. Il est très motivé par ce projet, j’essaie de passer le voir dès que je descends à Marseille.

Dee Nasty, aux platines.

Tu es toujours bien reçu ?
En général ça se passe bien. Il y a juste un artiste avec lequel on s’est un peu embrouillé… J’ai aussi été critiqué sur certains choix par des mecs pas très ouverts. Pour moi le hip-hop est un tout, complexe et diversifié. J’ai rencontré des « terroristes du rap » pour qui tout doit être forcément politisé. Mais qu’il y ait du sens, que tu t’adresses à tel ou tel public moi je m’en fous, il n’y a pas de définition arrêtée. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes personnes qui ne sont pas choquées par les paroles du rap US. Du coup, je consulte des gens légitimes et ouverts qui savent me dire quelle direction prendre. Un des points sensibles dans le rap français, comme beaucoup le savent, c’est Skyrock. Je sais que je vais me faire insulter en disant ça mais pour moi, sans cette radio, le hip-hop ne serait peut-être pas arrivé là où il est aujourd’hui. À l’époque, aucune radio nationale ne passait de rap. Un truc comme Urban Peace, le dernier était pourri certes, mais un concert de rap au Stade de France, tu ne peux pas en faire abstraction si tu veux raconter l’histoire du rap en France. L’enjeu c’est de faire accepter à tous les acteurs du mouvement que « leur » histoire du hip-hop est différente de celle du voisin.

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Tu en es à quel stade du projet aujourd’hui ?
Je bosse depuis un an et demi et j’en suis à pratiquement 300 artistes validés. J’ai des shootings chaque semaine. C’est beaucoup de prises de tête même si c’est un plaisir de le réaliser. Si je vois loin, c’est 600 à 700 artistes à booker, une belle galère vu que la plupart a des emplois du temps compliqués. D’autres n’ont pas d’emploi du temps et pensent en avoir un, ça aussi ç’est compliqué [Rires]. Le côté sympa comme je te le disais c’est que tu tisses des liens avec certains artistes. Après tu as plusieurs catégories de mec : la première c’est ceux qui veulent participer parce que c’est hip-hop et qu’ils adhèrent aux valeurs. La seconde c’est ceux qui participent parce que untel y est. La troisième, un peu opportuniste, c’est les mecs qui se disent qu’« il faut y être ». Une démarche que je respecte parce qu’elle a le mérite d’être honnête.

Le livre ressemblera à quoi ?
Je table sur un produit fini de 300 pages environ, divisé en quatre chapitres correspondant aux quatre décennies. Le dernier chapitre, de 2010 à nos jours sera plus complexe vu le nombre d’artistes présents. Je mettrai les artistes dont on sait tous qu’ils vont tenir la route et je me laisserai quelques avis personnels. Une prise de risque assumée et qui correspond au final au projet car l’histoire du hip-hop est différente pour chacun. Je vais essayer de contacter tout le monde mais je sais d’avance qu’il y en a qui ne seront pas dans le livre. Certains vont se réveiller trop tard et d’autres ne veulent pas y apparaître. Je ne citerai pas de noms pour le moment car tu peux refuser aujourd’hui mais tant que le produit n’est pas terminé, je ne considère pas ça comme un refus. C’est déjà arrivé que certains me disent non, y réfléchissent et ensuite me rappellent. C’est un projet qui va raconter l’histoire du hip-hop français et réunir le maximum d’activistes.

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Parallèlement on développe actuellement une application de réalité augmentée permettant de récolter plus d’infos sur le livre. Concrètement quand tu as le livre dans les mains tu cliques sur une photo et tu as une petite bio de l’artiste, un making-of du shooting, son dernier clip, etc. Le tout actualisable indéfiniment.

Qui se chargera de la partie écrite ?
Ça va être partagé. J’aimerais que Vincent Piolet me file un coup de main pour les chapitres sur les 80’s et 90’s. Je pense aussi faire appel à deux ou trois membres de l’ABCDR du son spécialisés dans le rap français. Pour l’instant, je me concentre sur la partie photo, on verra pour l’écriture en temps voulu. Je vais être bien entouré donc ça ne devrait pas être trop compliqué. Pour chaque chapitre, on mettra en place un circuit de relecture et de validation avec les artistes eux-mêmes pour savoir si l’histoire est plausible. Je retranscris l’histoire mais ce n’est pas à moi de l’écrire, je recherche le plus de cohérence possible.

Mon but est de produire une œuvre qui devienne assez importante pour qu’on s’en souvienne 10 ans après. J’ai d’ailleurs une anecdote qui prouve que le projet va laisser une trace. Cyanure de ATK m’a confié une fois avoir commencé le rap en écoutant les freestyle de Iron 2 et Mc Shooz à la radio, sans jamais avoir vu leurs visages. J’ai retrouvé ces deux mecs et ils m’ont confirmé que j’étais le seul photographe à les avoir shooté. Du coup, un de mes objectifs est aussi de faire découvrir des visages que personne ne connait. Certes, ils auront vieilli mais de toute façon je n’utiliserai pas d’images d’archive sauf cas exceptionnels. Le côté « que sont-ils devenus » avec les commentaires des différents artistes est assez marrant à entendre aussi.

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Il faut forcément rapper ou avoir rappé pour avoir une place dans ton livre ?
Non, il y a évidemment des gens extérieurs au hip-hop qui ont eu une importance dans son histoire. Du genre Phil Barney, Gilles Lelouche (qui a réalisé des clips pour le Saian Supa Crew), Vincent Cassel, Bernard Zekri. Si ça peut amener quelques personnes vers le rap, ce sera toujours ça de pris. J’aimerais aussi ajouter certaines personnes comme Lucien Papalu. D’ailleurs, s’il lit l’article, je le supplie de me répondre ! Pareil pour Alex Jordanov ou Benny Malapa. Je vais aussi mettre quelques DJ’s et producteurs marquants, un ou deux labels indé genre Time Bomb, quelques graffeurs et danseurs. Et des photographes importants comme Fifou ou Yoshi Omori qui a signé la photo de couverture du livre de Vincent Piolet. Le champ est très large, la difficulté est de ne pas trop s’éparpiller. Certains vont d’ailleurs être surpris car je suis sur la trace de mecs quasiment déclarés morts !

Qu’est-ce qui est le plus dur au final, les sacrifices humains ou financiers ?
J’ai la chance d’avoir trouvé un potentiel investisseur que je revois en septembre. Au-delà de l’aspect financier bien entendu important, c’est beaucoup de sacrifices, surtout au niveau familial sachant que j’ai une petite fille. Ce sont des heures passées sur l’ordinateur, au téléphone ou en rendez-vous, tu mets ta vie privée de côté car il faut être disponible tout le temps. C’est compliqué d’annoncer à sa femme par téléphone que le restaurant prévu est annulé parce qu’un concert s’est débloqué avec un artiste et que je ne peux pas passer à côté. Parfois, les déplacements sont plus longs que prévu à cause d’artistes qui décalent la séance à la dernière minute. Tout le monde ne peut pas assumer ce genre de choses je pense. Du coup, ça me fait marrer quand j’entends certains me critiquer en disant que je vais faire de l’argent sur le dos du hip-hop… Je travaille comme un acharné, je ne vole rien ! On a fait un prévisionnel récemment et sur 5000 ventes en indé, je toucherais à peine un SMIC par mois de travail sur trois ans. Sans compter les coûts annexe, comme le matériel qui coûte cher. 50 000 photos, rien que pour ce projet ! Mais je reste persuadé que le jeu en vaut la chandelle.

Sidney Duteil et ses disques.

Un dernier mot ?
Je remercie tous les artistes rencontrés et ceux qui ont accepté avec une spéciale pour Oxmo Puccino qui a permis au projet de se lancer. Big up à ceux qui me soutiennent dans ma démarche et me donne la force de continuer. Si des activistes ou autres souhaitent me contacter pour participer ou avoir des infos supplémentaires, qu'ils n'hésitent pas. Et puis, une mention spéciale à Sydney, un mec super qui soutient à fond le projet. Il m’a envoyé un message que je regarde souvent pour me motiver : « David, ton projet est superbe. Ta démarche représente la longévité de la culture hip-hop. Merci encore. Peace. Sydney. » Vous pouvez contacter David Delaplace sur sa page Facebook. Flamen Keuj aimerait avoir tout le rap français sur son Twitter.