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Music

Dans la peau de Jean-Luc Lahaye

Après sa condamnation pour corruption de mineure, on a cherché à comprendre ce qu'il se passait dans la tête du dernier romantique de la variété française.

Jean-Luc Lahaye en train de tourner la meilleure scène du film Stars 80.

Accusé, lève-toi. La Société-Internet va rendre son verdict. Jean-Luc Lahaeye, dit Lahaye, tu es condamné à une peine de 4 jours d'ostracisme numérique. Oui, 4 jours, seulement. D'ici-là, une autre polémique dont la vacuité n'a d'égale que le moralisme aura pris le relai. Par ici la dénonciation d'un documentaire de Cousteau datant des années 50, par là l'expulsion scandaleuse du leader anémique de Blur par un vigile ventripotent. Il y a bien la Grèce, pierre d'achoppement de deux visions du monde, l'une prêchant l'absence d'alternative, l'autre la dénonciation d'un système ultra-libéral à l'agonie. Mais la Société-Internet s'en branle de l'Attique, trop occupée à s'indigner des déchets encombrants le canal Saint-Martin les soirs de biture. Et toi aussi, Jean-Luc Lahaye, tu retomberas dans l'oubli dans lequel tu végètes déjà plus ou moins depuis près de 25 ans.

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Et pourtant, il serait temps de te rendre hommage. 8 albums – à la qualité sinusoïdale, certes - une autobiographie à succès, un corps qui ne fâne pas, la plus belle tenue de jambes de la variété française et des chansons que je fredonne avec un plaisir non feint, lorsque je prends la route du Bassin d'Arcachon. Des chansons aux titres pleins d'ambivalence et de mystère, avec le recul (« Amoureux sans amour », « Petite fille du 16è », « Ta langue au chat », « Fais comme si », « Chut », « Pleure pas »). Comme tes photos promo, d'ailleurs. Face à la pensée orthonormée, tu fais partie de ceux qui ont dit non – avec Sade, Pasolini ou encore Frédéric Mitterrand. Condamné à occuper les scènes printanières de villes périphériques françaises, tu continues à faire chavirer les cœurs d'un fan-club hyperactif. Mais, comment fais-tu ?

Pour le comprendre, j'ai examiné au plus près cette vie qui t'a mené des bas-fonds du Paris des années 50 aux hauteurs vertigineuses du plongeoir de Splash. Au long de mon enquête, j'ai rencontré pas mal de types assez louches, mais aussi quelques têtes connues qui m'ont permis d'en savoir plus sur celui dont les thuriféraires de la chanson à textes vont jusqu'à nier l'existence et dont j'ai tenté, ici, de restituer le tumultueux parcours en 7 étapes et demi.

À vos marques, prêt, plongez.

ÉTAPE 1 : OLIVER TWIST

Première pièce, premier indice : une photo de Polanski, également membre de la caste des mecs-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom si l'on se trouve à moins de 5 mètres d'une école. Un portrait qui rend évidemment hommage au pire film du réalisateur, qui occupe une place toute particulière dans le coeur meurtri de J2L. Car s'il n'a pas connu le Londres poisseux de l'époque victorienne, notre titi parisien a, comme le héros de Dickens, cherché sa place, sans famille ni attaches, dans un Paris où se côtoyaient la misère la plus crasse, la réussite économique post-WW2, les pro-OAS et les futurs martyrs de Charonne - en gros, le bordel le plus absolu -, zonant autour de la butte Montmartre à une époque où la place du Tertre n'était pas encore le repère luciférien des peintres dominicaux et Abbesses le titre d'un hit de Birdy Nam Nam.

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Photos de Jean-Luc à ses débuts, issues de plusieurs sites de fans.

Né en 1952 selon la doxa officielle – en 1958 d'après son site tout aussi officiel - cet enfant de la DDASS, inscrit sous le matricule 65 RTP 515, va connaître ses premières joies musicales en jouant du tambour. Instrument typique du jeune Gavroche désireux de préserver sa street cred, le tambour permet à la future étoile des années 80 d'oublier quelques instants l'absence de son père et de sa mère, l'un décédé, l'autre malade.

Si Jean-Luc Lahaeye passe finalement par la case « prison » à 17 ans pour vol de voitures, cet amoureux de Dylan et de Polnareff n'oubliera pas d'où il vient en rendant hommage aux laissés-pour-compte de l'État-providence occidental. 2 500 enfants de la Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales seront invités à l'Olympia en 1986 pour assister au concert du Rastignac des eighties.

Une passion des bolides qu'il partage avec son ami Lord Kossity.

C'est grâce à son job de chauffeur pour l'éternelle Zizi Jeanmaire qu'il découvre le monde du show business, peuplé de créatures étranges - trolls hermaphrodites, lutins cocaïnomanes, Michou. De cette époque, Lahaeye en tirera une autobiographie intitulée Cent Familles, disponible sur Amazon au prix de 3 euros (frais de port non compris). Si c'est trop, vous pouvez toujours vous rabattre sur le bouquin homonyme d’Hector Malot, œuvre ultra importante pour tout être humain désireux de passer de l'enfance à l'adolescence sans subir les tourments de L'Herbe bleue.

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ÉTAPE 2 : RYAN GOSLING

Lahaye a compris avant tout le monde que l'essentiel pour un artiste était de saisir l'esprit du temps. Dans les années 80, des émeutes éclataient à la simple vue de son association perfecto en cuir/sourire carnassier. Dès la sortie de son premier album en 1983, Appelle-moi Brando, Lahaye met toutes les midinettes de France et de Navarre à ses pieds, notamment avec « Femme que j'aime », plus gros banger de sa discographie foisonnante. À une époque où faire la première partie de Michel Leeb n'était pas rédhibitoire, et alors que 30 millions d'amis cartonnait au sein du PAF, Lahaye règnait sur l'industrie musicale tel le Blaireau sur la Petite Reine.

ÉTAPE 3 : JEAN-PAUL BELMONDO

À trente ans, Jean-Luc Lahaye a déjà vendu près de deux millions et demi de 45 tours. L'enfant de la Mitterandie multiplie les déclarations visionnaires, comme dans « Libérez-moi » : « Libérez-moi, des prisons où je vais finir un jour. Libérez-moi, de mes chagrins d'amour. » Bien vu.

En équilibre parfait entre la grandiloquence et la respectabilité de Bébel, le « Papa chanteur » dédie son deuxième album, Peur, à sa fille Margaux. Alors que Belmondo triomphe dans les films à gros calibres, Lahaye squatte pendant 28 semaines le Top 50 avec la chanson phare du disque, un hit italo-disco en puissance, reconnaissons-le. Malgré ce bonheur apparent, l'homme derrière la carapace du séducteur reste fragile. Il n'hésite plus à dévoiler ses failles avec « Plus jamais », sommet du clip des années 80. Prends ça, Scorsese !

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Dans une France post-soixante-huitarde qui érige « L'école en bateau » comme un symbole de la pédagogie moderniste, Lahaye joue sur la corde sensible en s'affichant aux côtés de kids prépubères chez Jacques Martin tout en déclamant : « Elles me touchaient le soir, masquées en écolières. » Le déclin du tandem Lahaye/Belmondo ne tardera pas.

ÉTAPE 4 : HARLEM DÉSIR

Oui, il est là. Il traîne entre les étagères labyrinthiques de la bibliothèque mentale de Jean-Luc Lahaye, coincé entre un éditorial politique de Jean Quatremer, un roman de Yann Moix et le compte-rendu complet des émissions de BFM Business. L'ancien président de SOS Racisme est le seul et unique responsable des philanthropiques de la variété française des années 80. Du « Saïd et Mohamed » de Cabrel à Flagrant Délit Tendresse - le troisième album de J2L – on ne compte plus les tentatives désespérées des hérauts de la chanson française de nous faire adhérer au solidarisme bon enfant.

Empli de messages paternalistes et de rimes ciselées - genre « Loin de Khomeini, elle imite Adjani » - Flagrant Délit Tendresse célèbre la « Djémila des Lilas » (on vous conseille d'ailleur la version live olé olé), l'Argentine d'autrefois et va jusqu'à rendre hommage à Coluche. Si le cocktail Fraternité/Humanité convenait aux canons lancés par la farandole de « We are the World », ce disque ne correspond pas à un Homme dont le succès est basé sur l'onction régulière de fidèles au travers de textes qui vantent les bienfaits de l'Amour – ou le Sexe, c'est selon.

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ÉTAPE 5 : JAKE LAMOTTA

L'heure est à la déchéance, à la gestion de boîtes de nuit glauques et à la prise de poids. Lahaye entame sa traversée du désert, comme De Gaulle après Bayeux, sauf que personne ne le rappellera 12 ans plus tard. Son club techno (oui, oui), le Studio 287, connait des problèmes de drogue et de violence. Lahaye n'est pas directement impliqué mais son retour aux manettes en 2000 est une catastrophe, et ce haut-lieu de la dépravation albertivillarienne finit par être démoli en 2008.

Si l'on regarde en arrière, l'année charnière de la carrière de J2L est 1987. C'est à partir de cette date maudite que rien ne va plus. Alors que la Terre accueille son cinq-milliardième habitant, personne ne semble s'intéresser à l'arrivée du chanteur aux commandes de Lahaye d'honneur sur TF1. L'émission était promise à un succès comparable à celle de Patrick Sabatier, qui officiait les années précédentes sur la première chaîne. Au final, c'est un four absolu. Le public ne suit pas – même le titre « Débarquez-moi », interprété en direct par le maître de cérémonie, ne convainc pas.

Le succès n'est plus là. Les albums s'enchaînent jusqu'à « Gloria », qui paraît dans le courant de l'année 2004. Au moment où j'écris ces lignes, le titre phare culmine à 529 vues sur la plateforme YouTube – dont une bonne dizaine sont à mettre à mon actif. Unique consolation, Jean-Luc Lahaye n'a rien perdu de son magnétisme médiatique et affronte, sous les yeux ébahis d'Isabelle Giordano, un Julien Courbet tout en rayures lors d'une séquence destinée à passer à la postérité.

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ÉTAPE 6 : BILL COSBY

Selon la toujours très acérée Encyclopaedia Universalis, « l'hypothalamus [est] le centre majeur des régulations homéostasiques. » Chez certains mammifères, cette zone relève plus de la ZAD sans eau courante que de la mégalopole connectée. Mais pour les autres, cette région grouille de messages nerveux qui régulent l'activité sexuelle de tout un chacun.

C'est derrière l'une de ses injonctions spontanées au stupre que je vois apparaître le visage du plus gomorrhéen des Américains – Bill Cosby. Les deux hommes ont dû faire face à de graves accusations, l'humoriste ayant fini par reconnaître avoir drogué des femmes avant de les violer. Du côté de Lahaye, les faits semblent moins grave – même si je ne suis pas sûr que la quantification de ce qui est « grave » soit très scientifique. En 2007, l'artiste français a été condamné à une amende de 10 000 euros pour atteinte sexuelle sur mineure. À l'origine, la victime l'avait accusé de viol en réunion, mais les chefs d'accusation ont été revus à la baisse et la qualification de « viol » a été abandonnée. Malgré cette première polémique, rebelote en 2015 !

Le chanteur a été interpelé le 11 février dernier et accusé de corruption de mineure et de détention d'images pédopornographiques. Le tribunal correctionnel de Paris a finalement condamné le chanteur à un an de prison avec sursis pour corruption de mineure de 15 ans. J2L s'est évertué à démontrer que cette condamnation était injuste, notamment au micro de l'increvable Marc-Olivier Fogiel : « C'est totalement injuste. Elle est majeure sexuelle, je le rappelle. Je peux avoir - et je n'ai pas eu - une relation consentie physique avec une majeure sexuelle. C'est la loi. Je ne suis pas attaquable. » Et Lahaye de poursuivre : « J'ai toujours dit que ma préférence allait pour les filles plus jeunes que moi. C'est ma façon de prolonger une séduction fanée, une jeunesse perdue. J'ai toujours aimé les filles plus jeunes et je ne suis pas le seul ! (…) Je vais quand même pas me taper Julie Pietri ! » Bah quoi ?

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ÉTAPE 7 : CYRANO DE BERGERAC

« On abdique pas l'honneur d'être une cible. » Tel pourrait être le mantra du Lahaye version 2015, qui abrite le héros d'Edmond Rostand au cœur de sa pensée philosophique. Quitte à virer paranoïaque, autant se défendre bec et ongles. Pendant que la société cultive à l'envie son inclinaison à la grégarité, le chanteur réplique est défend sa vie « faite de hors-piste. »

Décrit comme narcissique par l'expertise psychiatrique lors de son procès – qui ne l'est pas ? - Lahaye est surtout la preuve que le système judiciaire actuel dépend du bon vouloir de quelques grands mastodontes privés, comme Facebook, qui sont susceptibles de livrer à la justice des informations à charge. Comme l'a remarqué Rue89, la mise en examen du lover hexagonal résulte de sa dénonciation par l'entreprise californienne. Belle société que celle qui accepte sans broncher qu'une entreprise privée choisisse ou non de livrer des informations à la justice.

ÉTAPE 7 1/2 : LAZARE

Quoiqu'il en soit, on se voit le 17 octobre prochain à Jassans-Riottier pour en avoir la confirmation. Y'aura aussi Emile & Images et Phil Barney, au passage.

Romain fait partie de la Société-Twitter.