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Des Grass Roots à « The Office », les tribulations de Creed Bratton

Avant de devenir le subalterne de Steve Carell dans la meilleure série des années 2000, Creed Bratton traînait avec les Doors et a eu un single classé dans le top 10 en 1967. Il nous a raconté tout ça.

En France, on connaît surtout Creed Bratton pour son rôle dans la version américaine de The Office, le genre de personnage qui, un peu à l'image de Bob Kelso dans Scrubs, provoque des fous rires avec seulement une phrase par épisode. Ce qu'on ne savait pas, pauvres hexagonaux, c'est que l'Américain avait aussi tourné dans Terri, dans Mask avec Cher en 1985 et qu'il avait été disque d'or dans les années 60. Bien avant d'être ce personnage un peu louche et fourbe dans la série de Steve Carell, Creed Bratton partageait en effet des concerts avec les Doors, Jimi Hendrix ou Janis Joplin. Alors forcément, lorsqu'on rencontre cet homme de 73 ans dans un restaurant de Los Angeles, non loin de Beverly Hills, on a envie de deux choses : en savoir plus sur cette partie de sa carrière et sur les coulisses de la série la plus drôle des années 2000, 2010 et probablement des prochaines décennies.

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Noisey : On te connaît pour ton rôle dans The Office, mais ce que peu de gens savent, c'est que tu as eu un succès musical dans les années 1960. Peux-tu revenir sur cette période ?
Creed Bratton : À l'époque, je jouais au sein d'un groupe nommé Young Californians avec lequel on avait notamment donné un concert dans le cadre d'un festival folk en Israël. C'est là-bas que j'ai rencontré pour la première fois Warren Entner, qui était venu en tant que spectateur mais qui était également guitariste. Il m'a proposé de reprendre contact avec lui à mon retour aux États-Unis et c'est comme ça que nous avons formé The Grass Roots en 1966, aux côtés de deux autres musiciens. Au départ, on était essentiellement un groupe de folk-rock un peu progressif avec des accords parfois très étranges, ce que les gens n'ont pas toujours très bien compris, et puis on a fini par s'orienter vers des sonorités un peu Motown. Ça fonctionnait plutôt bien, les auditeurs accrochaient à ces sonorités pop très efficaces. D'ailleurs « Let's For Live Today » et « Midnight Confessions » ont été de gros succès. Ces deux titres se sont hissés dans le Top 10 au moment de leur sortie.

Tu as un souvenir particulier de ces années-là ?
C'est bête, mais c'est probablement la fois où je roulais sur Sunset Boulevard à Los Angeles avec une Porsche que je venais d'acheter. J'ai allumé la radio et j'ai entendu « Let's For Live Today ». Le titre passait sur quatre radios différentes, tu te rends compte ? C'était si incroyable que j'ai été obligé de m'arrêter sur le côté pour me calmer un peu.

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Aujourd'hui, que reste-t-il de cette période ?
Hormis le fait que je continue de jouer quelques chansons des Grass Roots durant mon show aujourd'hui, il faut bien avouer qu'il ne reste malheureusement plus grand-chose de ce groupe aujourd'hui. Rob Grill est mort, Ricky Coone également. Warren Entner est quant à lui toujours vivant, mais on se voit peu. Non pas que l'on soit fâché, on est toujours bons amis, mais la vie fait que… Et puis on s'est tous les deux fait arnaquer par Dunhill Records, au même titre que The Mamas & The Papas ou Steppenwolf. Mais bon, on peut quand même se réjouir d'avoir publié quatre albums bien reçus par la presse et le public, d'avoir participé à quelques festivals de renom, notamment au Fantasy Fair & Magic Mountain Music Festival en 1967 et au San Francisco Pop Festival l'année suivante, ou encore d'avoir fait des dates aux côtés des Doors, de Janis Joplin, de Jimi Hendrix, de Cream ou de Creedence Clearwater Revival. Le dernier concert qu'on ait joué ensemble était au Hollywood Bowl, ce qui n'est pas rien. Mais j'ai fini par quitter le groupe en 1970 pour aller visiter l'Europe, puis j'ai eu un enfant…

C'était comment de croiser des artistes comme Jimi Hendrix ou Jim Morrison ?
Oh, tu sais, je ne faisais que les croiser. Je n'ai jamais vraiment parler à l'un d'entre eux, sauf avec les Doors et les Rascals avec qui je m'entendais bien. On s'est défoncés quelques fois ensemble, mais, pour le reste, on faisait juste notre job. On faisait notre concert et on se disait au revoir.

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Tu te rappelles de la première fois où tu as touché une guitare ?
J'avais treize ans et ma guitare est arrivée par courrier. C'était une Silverstone avec un ampli intégré à l'intérieur. C'était une révolution à l'époque, je crois d'ailleurs que l'on en fait plus des comme ça. Le fait de jouer m'a tout de suite transporté et ça m'a donné envie d'apprendre – il valait mieux d'ailleurs parce qu'on ne roulait pas sur l'or à l'époque. Pour cela, j'écoutais la radio et je tentais de reproduire ce que j'entendais. Je n'ai jamais pris de cours, j'ai toujours trouvé ça un peu débile. Et puis à 17 ans j'ai commencé à en jouer plus sérieusement pour gagner ma vie. Je n'avais pas d'argent à cette époque et il fallait bien trouver une solution.

Les Grass Roots, habités par le pouvoir du riff

The Grass Roots a été actif durant la deuxième moitié des années 60. C'était comment de vivre le Summer Of Love ?
C'était génial, comme tu peux t'en douter. C'était quand même l'époque de la révolution sexuelle, des drogues et des innovations musicales. J'ai de très grands souvenirs de ces années-là. Mais je pense qu'il ne faut pas fantasmer la vie des artistes dans les années 60. La drogue n'était pas aussi dangereuse à l'époque. L'idée était surtout de planer, contrairement à aujourd'hui où tout me paraît plus dur, plus brutal. Nous, ce n'était pas de la cocaïne, juste de l'acide et du LSD.

Pourquoi as-tu décidé d'arrêter ?
Parce que ça casse complétement le processus créatif. En regardant tous ces mauvais films, on a l'impression que ça favorise la création, mais c'est complétement faux. On peut le croire pendant quelques temps, mais, quand on le réalise, on n'a qu'une envie, c'est de s'en éloigner. Tu as déjà testé ?

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Non, jamais.
Oh, tu es un bon garçon. C'est un très bon choix. La dernière série de HBO, Vinyl, est d'ailleurs assez décourageante sur ce point. Ce que le personnage principal s'injecte dans le corps paraît si fort que ça m'a fait mal rien que de le regarder. Ça paraît trop extrême, ce qu'il prend. Après, le fait d'être grand-père et d'avoir 73 ans ne donne probablement pas envie d'y replonger [rires].

Tu penses que la série colle à la réalité de l'époque ?
Je n'étais pas à New York dans les sixties, mais ça semble plutôt exact. En tout cas, le scénario était assez captivant. Ça colle à l'esprit rock'n'roll.

Creed Bratton période hippie

De ton côté, comment es-tu entré dans The Office ?
Je travaillais sur The Bernie Mac Show et l'un de mes amis les plus fidèles, Joe Moore, m'a présenté à Ken Kwapis. C'était un grand fan des Grass Roots et il travaillait sur l'adaptation américaine de The Office, dont j'adorais la version anglaise de Ricky Gervais. Il m'a donné son numéro et m'a demandé de l'appeler les jours suivants. Je n'y croyais pas trop alors j'ai attendu un peu plus longtemps avant de le faire. Lorsque j'ai pris mon courage à deux mains, il m'a dit : « Le casting est déjà fait, mais si tu veux, on peut te mettre en arrière-plan. Je ne peux pas te garantir une ligne de dialogue, mais je ferai tout mon possible pour ça. » Pour prouver que j'avais ma place, j'ai alors passé deux semaines à regarder bien précisément comment la série était tournée et écrite, puis j'ai moi-même enregistré mes propres confessions devant la caméra que j'ai ensuite donné à l'un des scénaristes de la série, Greg Daniels, et au reste de l'équipe. Je ne l'avais dit à personne, pas même aux membres de ma famille. Je ne voulais pas me porter la poisse parce que le projet me plaisait réellement. Et ça a marché : ils ont aimé et m'ont dit que l'épisode sur Halloween dans la saison 2 serait le grand lancement de mon personnage. Résultat, je suis resté jusqu'au bout et je sais à quel point je suis chanceux. Ma petite-fille me le rappelle assez souvent.

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L'ambiance sur le plateau, c'était comment ?
C'était très familial, il y avait une vraie complicité entre nous. Ça pourrait paraître étonnant parce qu'il y avait de grandes différences d'âge, mais ça se passait très bien. Je continue d'ailleurs de parler régulièrement à Oscar, Angela et Phyllis. Ils sont tous venus voir mon spectacle, Rainn Wilson est même déjà monté sur scène pour faire un bout du spectacle avec moi. Ça fait au chaud au cœur. Mais au-delà de l'équipe, on a aussi eu la chance de travailler avec de sacrés acteurs et de sacrées actrices venus tourner un épisode ou plus. Jim Carrey, Idris Elba, Will Ferrell, ça fait rêver, non ?

Creed Bratton période yuppie

La série était très cadrée ou c'était détendu ? Je veux dire par-là, il y avait une journée-type ou pas du tout ?
Disons que j'avais pour habitude de me lever à 6 heures du matin, de filer ensuite au maquillage et d'enchainer avec 12 heures de présence sur le plateau. On tournait environ un épisode par semaine, donc le rythme était soutenu… Avant de commencer chaque journée, les scénaristes nous disaient toujours : « faites-le pour le fun ! » C'est toujours cool d'entendre ça, surtout quand ça vient de personnes aussi talentueuses. Le dernier épisode de la série était un peu différent : on a tout fait sur deux semaines, en tournant même le samedi et le dimanche. Pour se dire au revoir et fêter ça, on s'est tous réunis au Château Marmont et on a tous pleurés [rires]. Mais pour en revenir à ta question, The Office était une série très écrite, on suivait les consignes.

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Il paraît pourtant que John Krasinski (Jim Halpert) et Rainn Wilson (Dwight Schrute) improvisaient beaucoup ?
C'est vrai que c'étaient les moins respectueux des textes [rires]. Mais bon, ça collait souvent avec les directives données.

De ton côté, comment expliques-tu que tu aies eu le droit d'utiliser ton vrai prénom et ton vrai nom de famille dans la série ?
Je me suis longtemps posé la question et je ne sais toujours pas pourquoi. Cela dit, Angela, Oscar ou Phyllis avaient leurs vrais prénoms également… Pour ma part, je pense simplement que les producteurs ont voulu me filer un coup de main par rapport à mes chansons.

D'ailleurs, je crois savoir que deux de tes chansons sont dans la série ?
Oui, on peut les entendre dans certains épisodes. Dans les bonus de la saison 2, on peut aussi me voir jouer de la guitare et parler de ma carrière au sein des Grass Roots. C'était dans le cadre de l'épisode « Booze Cruise », où je prenais le relais de Steve Carell, qui jouait très mal « Smoke On The Water » sur un bateau. Mais l'épisode était trop long et il a fallu couper. Entre les scénes, il m'arrivait aussi de jouer du banjo avec Ed Helms (Andy Bernard), qui est assez impressionnant avec cet instrument.

La force de ton personnage, c'est que tu ne dis parfois qu'une phrase dans un épisode et que celle-ci marque le spectateur. Tu n'as jamais regretté le fait d'être si peu utilisé ?
Je l'ai pensé pendant un certain temps, j'étais persuadé d'avoir plus à offrir. Mais j'ai fini par m'en contenter. Pas par désespoir, attention, mais simplement parce que les phrases qu'ils me donnaient à interpréter étaient toutes marquantes. C'est une chance ça, finalement. Je sais que Mindy Kaling (Kelly Kapoor) trouvait que les textes de mon personnage étaient les plus difficiles à écrire parce que j'étais trop étrange. Trop loufoque, elle disait. C'est assez flatteur, je trouve. Je sais aussi que d'autres scénaristes voulaient écrire plus de dialogues pour moi parce qu'ils savaient que ça allaient être drôle. Mais le but est de servir l'histoire, et donc de ne pas créer de déséquilibre. Et puis ça me rendait la tâche plus difficile. Demandez à n'importe quel acteur et il vous dira toujours que dire une seule phrase dans un épisode est parfois la chose la plus compliquée à réaliser.

Enfin, ça n'avait pas l'air trop dur quand on te voit joué au solitaire dans la série…
Ah ça, c'était le seul jeu autorisé par NBC [rires] ! Il fallait bien tuer le temps lorsqu'une scène était en train d'être tournée et que l'on n'avait rien d'autre à faire que de rester assis devant l'ordi. Parfois, on s'échangeait des mails entre nous, on parlait avec d'autres personnes ou on travaillait sur d'autres projets. Il faut savoir quand même que les réalisateurs tournaient généralement plus d'une heure d'images pour n'en garder généralement que 24 minutes…

Pour en terminer avec The Office, tu as un épisode favori et/ou une réplique favorite ?
Pour l'épisode, je pense que c'est « Survivor Man », où Michael Schott tente de survivre dans les bois avec Dwight le surveillant de loin. Pour la réplique, il y a cet épisode où je parle des mung beans en disant « ils sont vraiment nutritifs, mais ils sentent comme l'enfer ». À la fin de mon spectacle, certains spectateurs m'en apportent encore [rires]. D'autres, encore plus imaginatifs, m'apportent des photomontages de moi dans le corps d'Apollo Creed ou dans le rôle du personnage d'Assassin's Creed. Mais pour en revenir à ta question, j'aime surtout cette réplique sur l'homosexualité : « Je ne suis pas offensé par l'homosexualité. Pendant les années 60, j'ai fait l'amour avec beaucoup de femmes, souvent en plein air, dans la boue et sous la pluie. C'est possible qu'un homme se soit glissé dans l'histoire. Il n'y aurait aucun moyen de le savoir. »

C'est inspiré de ta vraie vie ?
Non, mais je ne peux pas l'affirmer finalement. Qui sait ? C'était une autre époque après tout [rires].

Et aujourd'hui, je crois savoir que tu reviens sur toutes ces années dans ton spectacle de stand-up ?
En vérité, c'est un stand-up découpé en trois actes où je chante tour à tour d'anciennes chansons des Grass Roots et de mes albums solo. Entre chaque chanson, je raconte comment celles-ci sont nées, les voyages en Europe ou ailleurs qui y sont liés. C'est très biographique, et j'y aborde aussi bien les bons que les mauvais moments.