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Music

On est allés voir White Lung et Theo Parrish. En même temps.

Deux salles, deux publics, deux ambiances. Quoique non. Peut être pas, en fait.

Qu'est-ce qu'il se putain de passe 2014 ? Où sont la peur, l'urgence, la transpiration ? Où sont les fous de jazz, les amoureux de la note bleue ? La logique voudrait en effet qu'il n'y ait rien de plus radicalement différent qu'un concert de White Lung au Point Éphémère (soit 45 minutes de punk rock joué full force dans un cube de béton brut au sol jonché de fluides corporels) et un set de Theo Parrish estampillé Blue Note dans un Hôtel particulier du 8ème arrondissement (soit 3 heures à batailler devant l'open-bar avec tous les pique-assiettes de Paris sous fond de pépiements de clarinette). Sauf qu'en fait, non, pas tellement, si l'on en croit le rapport de nos deux envoyés-spéciaux Pierre Jouan (White Lung) et Adrien Durand (Theo Parrish). PUBLIC

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White Lung : À l'image de Kenneth William, guitariste de White Lung : 100 % normcore. Des grands types en caban avec les cheveux mi-longs et le ratio syndical de chauves à lunettes. Ces gens ne revendiquent rien, ne votent pas, mais savent très exactement ce que dix-sept euros (le prix de la place) ont à offrir dans cette vallée de larmes qu'est la vie. Theo Parrish : Comme il ne s’agit pas d’une soirée traditionnelle, il n'y a pas vraiment de public, plutôt des gens invités un peu à la manière d'une sauterie à la maison (maison qui a servi de studio à Kanye West ces dernières années, soit dit en passant). Première constatation en arrivant : toutes les catégories de gens riches et très riches, sont représentées. Des sosies d'Edouard Balladur aux jeunes pubards, personne ici ne sent vraiment le RSA. À noter une grosse thématique Leonardo di Caprio entre une bande de types lookés « Loup de Wall Street » accoudés négligemment sur une oeuvre d'art et un sosie non officiel de l'acteur, crossover période Titanic et Basketball Diaries. Comme souvent dans ce genre de soirée, il y a un aussi un mec avec un porte cigarette, un petit foulard et un jean blanc qui conspire seul près de la cuisine. Un peu avant 21h, nouvel arrivage de sosies (le buffet va ouvrir), avec Moby, Terence Trent D'arby et le couple de « House Of Cards ».

PREMIÈRE PARTIE

White Lung :

Arrivé en retard, je pensais sincèrement regarder la première partie de loin, en m'ennuyant gentiment au bar… Honte sur moi, j'aurais loupé LE groupe metal-indus-tribe du moment. Oui bon, dit comme ça, ça donne pas super envie. Mais figurez-vous bien la chose : des montées infernales, des apothéoses de bruit, des meufs déchaînées qui boivent de la bière (très important, ça)… Retenez-bien : ils s'appellent Headwar, ils viennent d'Amiens, leur batteur a des couettes et on est loin, mais alors très loin, de Mass Hysteria ou de Marcel Et Son Orchestre, vu ?

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Theo Parrish :

Apparemment la première partie était un speech/conférence de presse sur Blue Note. Comme j'ai tout raté, le spectacle se concentre pour moi dans la partie buffet du loft. Les barmaids sont très (trop?) gentilles, ça prend des plombes. Je remarque que tout le monde se caresse nerveusement la gorge : les gens ont soif. Comme je suis toujours nul pour faire la queue au bar, je me retrouve quasiment au stade de strangulation « David Carradine » quand je parviens à chopper deux verres. Je sens une caresse dans mon dos. C'est Terence Trent d'Arby qui essaie de me rassurer et qui, comme tous les autres gens, commandent six verres d'un coup. Au deuxième round, j'applique la technique

Jean Nipon

observée de loin : je passe sur le côté et commande quatre coupes. Mon pouls revient à la normale avant l'arrivée de Theo Parrish.

ENTRÉE EN MATIÈRE

White Lung :

Horrible. Les trois premiers morceaux ont clairement servi de balance. Par contre, les dix-sept suivants étaient super bien ajustés, comme orientés vers une cible très précisément définie : mon cerveau, considéré comme un amas de matière pulvérisable.

Theo Parrish :

Theo Parrish est cool. Il descend tranquillement de la pièce du haut avec ses disques (mix vinyl-only, bien sûr). Le régisseur l'installe aussi paisiblement qu'un bébé dans un siège auto. Les gens se rapprochent vaguement mais l'arrivage de jambon Serrano au buffet vole un peu la vedette aux premiers morceaux funk de Theo. Di Caprio est au taquet, Balladur un peu moins.

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TENUES ET SPECTACLE

White Lung :

Si tu ne t'es jamais fait engueuler par des meufs gigantesques qui aboient des ordres définitifs dans des tenues goth-nazies, disons que tu as raté un truc. Et pour avoir échangé quelques mots avec la chanteuse, je peux te dire que l'éclat de ses yeux se marie élégamment avec les quatorze couches de paillettes dorées qui lui servent de maquillage : aucune idée de ce qu'il y a en-dessous, mais c'est sacrément bien fait.

Theo Parrish :

Baggy, Tshirt noir, barbe rasée de près et sourire XXL, Theo Parrish n'en rajoute pas et assure. Ses jeunes fans qui se déhanchent à présent lascivement devant lui non plus. On est ici en terrain normcore. La fille qui au détour d'une conversation sur la terrasse a confondu C&A et APC a été vidée rapidement. Je finis par me demander si le petit foulard en soie ne serait pas une solution pour ne pas se gratter la carotide dans la queue du bar la prochaine fois. Quelques cougars se jettent avidement sur le jambon, leurs visages botoxés apportant une touche freaky pas négligeable.

AMBIANCE

White Lung :

Paris un jeudi soir, en plein mois de novembre. Une salle assez silencieuse entre les morceaux, aucun pogo. Oui, c'est triste, mais comme j'étais moi-même assez lessivé et que je n'ai pas vraiment contaminé la salle par mon enthousiasme, je me garderai bien de critiquer qui que ce soit. Il paraît qu'au Klub la dernière fois, c'était autre chose [

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Note du rédac-chef, qui était au Klub : pas tellement, mais en même temps, au Klub, un type qui essaye de se frayer un chemin pour aller aux toilettes, c’est déjà un pogo en soi

]

Theo Parrish :

Les gens s'alcoolisent tranquillement. Pas de mec qui crie « à poil » ou de fille qui veut brancher son Ipod pour l'anniversaire de sa copine. Ici tout le monde se tient. J'avoue que ça fait du bien, de temps en temps. Pas non plus de frontière entre l'artiste et son public. Un jeune gars au look Konbini s'approche de Theo : « Je te prends un verre ? » « Merci mec, j'ai mon magnum de Grey Goose ». La guerre en Syrie est bien loin. Seul ombre au tableau, ce mec qui essaie de danser en mangeant de la salade de pâtes en a mis partout.

SCÉNOGRAPHIE

White Lung :

Tu vois le Christ au-dessus de Rio ? C'est

Mish Way

, la chanteuse, grande blonde débraillée qui n'a jamais l'air de savoir quoi faire du déluge sonore qui l'entoure, mais harangue le public avec la ferveur d'un évangéliste. À sa gauche, Hether Fortune, une tige sexy-cuir dont la méga-coupe au bol culmine à trois mètres et demi, fait des allers-retours sur scène et sur sa basse, le tout dans un tourbillon de châles léopard et de leggings savamment troués, aller, retour, aller, retour, de sorte que j'ai la gorge très sèche. Kenneth Williams décroche une note négative en charisme, mais comme c'est un dieu de la guitare, ça passe. La batteuse a beaucoup de cheveux et elle va vite. Très vite. Tout le temps.

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Theo Parrish :

Un mur de vinyls, un cube blanc avec des projections, des canapés comme il y avait chez les majors dans les années 90, on est ici en territoire de goût. Theo Parrish n'est pas sur scène mais au milieu du Salon. Le décorateur a réussi à nous faire croire qu'on était chez quelqu'un et pas dans un showroom. Faut reconnaître que c'est bien joué.

POINT MUSIQUE

White Lung :

Bon honnêtement, de loin, tout cela devait se ressembler… C'est une musique qui a les atouts de ses défauts : il n'y a pas un seul morceau lent. Même « Thick Lip », dont le riff vicieux paraît impossible à reproduire à vitesse réelle, est joué quatre fois plus vite. Après, c'est aussi une musique de gens tâtillons et obsédés, pour qui seules comptent les micro-différences, les infimes variations au sein d'un cadre archi-balisé : l'autoroute punk à toute allure. À ce titre, White Lung fait super bien le job.

Theo Parrish :

Si sur le papier, Parrish devait revisiter le catalogue Blue Note , il n'en a rien été. À moins qu'il ait terminé la soirée par 30 minutes de Ornette Coleman (on en doute, hein). Un peu de funk, un peu de disco, un peu de techno. Les gens sont contents. Un sosie d'Alain Prost arrivé tardivement lève le pouce en l'air. Il a raison, même moi je bouge mon corps. Les transitions entre les morceaux sont comme de l'huile d'argan sur ma peau.

FINAL

White Lung :

Un rappel constitué d'un seul morceau, d'une minute trente. Qui ressemblait aux dix-neuf précédents. Oh, well.

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Theo Parrish :

Un audacieux éteint la lumière. Les gens crient de bonheur. C'en est trop pour moi. Dehors il pleut et j'écoute Unwound sur la ligne 13, histoire de revenir tranquillement à la vraie vie.

Toutes les photos de la soirée Theo Parrish sont de Yann Le Flohic.

Concerts, fêtes de quartier, baptêmes : Pierre Jouan peut pogoter partout. Sauf sur Twitter.

Adrien Durand s'achètera-t-il un foulard ? Découvrez-le sur Twitter - @AdrienInBloom