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Comment réussir en Amérique : les conseils de Chunk! No, Captain Chunk!

Le groupe pop punk de banlieue parisienne sort son troisième album aujourd'hui sur Fearless Records et remplit des salles aux États-Unis alors que personne ne les connaît en France.

Chunk! No, Captain Chunk! en 2015 (Eric et Paul sont tout à droite).

Pendant que Christine & the Queens fait le Grand Journal en élevant la genderfluidité et le Sorbonnecore au rang d’arts officiels de l’après-Charlie, Chunk ! No, Captain Chunk prend quelques semaines de repos à Paris entre deux tournées internationales sans se faire emmerder dans la rue. Pourtant, ces mecs ont réussi à faire 3,7 millions de vues sur YouTube avec un clip d’easycore où ils font un barbecue à Meudon, en sont à leur deuxième Warped Tour, et des milliers de petites meufs de l’Oklahoma alimentent quotidiennement des Tumblr où elles spéculent sur ce que les membres du groupe pourraient bien leur faire en tête à tête.

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Mais Chunk ! No, Captain Chunk ne sera sans doute jamais big ici. Ils sont condamnés à rester le groupe français le plus connu de la scène pop punk, et le moins connu en France. On a essayé de comprendre comment il fallait s'y prendre pour réussir en Amérique avec Eric et Paul, les deux guitaristes du groupe, en buvant un coup dans un bar de surfers juste avant la sortie de leur nouvel album chez Fearless Records, Get Lost, Find Yourself. Noisey : Y’a un truc qui nous a fait marrer, c’est que sur nos premiers échanges par mail, vous nous avez parlé en anglais, on s’est dit que vous deviez pas avoir l’habitude que des gens vous interviewent en français.
Eric Poncet (guitare) : Ça nous surprend toujours quand on s’adresse à nous en français, ça n’arrive jamais en fait. Y’a peu d’intérêt ici porté vers nous.

C’est pour ça qu’on voulait vous interviewer. On pense que vous êtes le groupe français connu aux USA le moins connu de France.
Paul Cordebard (guitare) : C’est ça ouais.
Eric : Comme groupes français qui marchent aux US, y’a aussi Phoenix, Air, M83… Paul : Pas mal de groupes electro, pas trop dans le rock. À part Gojira. Après, t’as des petits groupes qui vont signer, après qu’on ait signé : Birds In Row a signé aux states, Betraying The Martyrs, tous les groupes comme ça, mais j’ai l’impression que ça a un peu moins marché à l’étranger.

Comment vous définiriez votre style ? Sur internet on voit « EZcrab », ou encore « Shrekcore ».
Eric : Le truc EZcrab ça vient de sortir, c’est un truc de malade. Paul : Ça vient de Twitter je crois. Eric : Je sais même pas si ça vient du groupe Attack Attack!. Le crabcore, c’est les productions à la Joey Sturgis, un peu surproduit, et vu qu’on a fait l’ancien album avec lui, qui sonnait assez Rise Records, mais en pop-punk, je pense que ça vient de là. Le mélange Easycore mais avec des breakdowns.

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Comment on se retrouve à jouer ce style de musique quand on est Français ? Et pourquoi personne d’autre le fait ?
Paul : On a grandi en écoutant des trucs vénères et des trucs moins vénères. Quand on a commencé, personne n'avait jamais vraiment fait ça en France. Au départ, ça marchait pas du tout, les gens se foutaient de notre gueule, ils comprenaient pas le délire. Maintenant, ça marche plus ou moins bien, mais ça ne veut pas dire que les gens essayent de faire plus de trucs dans le style. Après, y’a plein de groupes bien en France qui restent underground, qui ne se donnent pas les moyens de marcher, alors qu’il y a souvent du potentiel. Eric : En France t’as l’impression que les groupes font des trucs bien et puis ils vont pas au bout du truc.

Moi j’ai une théorie qui dit que c’est très mal vu en France quand on fait de la musique un peu énervée à grosses guitares, de faire un truc un peu « gentil » ou positif. Vous parlez de faire la teuf avec les potes, y’a pas de message agressif ou politique dans vos chansons.
Eric : On s’est jamais vraiment posé la question, on aime les trucs positifs, mais en même temps on aime bien l’énergie des rythmiques énervées. On aime bien le côté technique mais on n'a jamais voulu être agressifs. Et puis quand on voit nos gueules, ça sonnerait complètement faux si on essayait de faire les tough guys.

Et comment vous expliquez que vous ayez jamais marché en France ?
Paul : Le Français, il ira d’abord écouter des groupes US avant de chercher les équivalents en France. Il faut déjà s’exporter aux États-Unis, te faire un petit nom, et ensuite les Français viendront s’intéresser à toi. Après, pour être franc, je n’ai aucune idée de ce que les jeunes écoutent en France.

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Y’a quand même un public pour des groupes comme Asking Alexandria en France.
Eric : Ouais mais le fait d’être Français et de faire cette musique, ça nous freine. Je vois ça comme ça. Paul : Typiquement, Asking Alexandria, quand ils jouent aux USA ou en Angleterre, ils vont jouer dans des énormes salles. En France, ils jouent au Divan du Monde. Tous ces groupes énormes partout dans le monde, quand ils viennent en France, ils remplissent même pas un tiers de ce qu’ils remplissent d’habitude.
Eric : On a été sur pas mal de tournées de groupes américains en Europe, on faisait leur première partie. C’est triste mais quand ils jouent en France, c’est plutôt histoire de combler un trou sur leur tournée.

Chunk! No, Captain Chunk! en 2008

On vous a vu il y a deux mois à la Cigale avec Less Than Jake et Yellowcard, ça vous a fait quoi de jouer devant 40 personnes à 18h30 alors que d’habitude vous jouez dans des salles pleines ?
Eric : Ça nous a fait chier. Comme par hasard, c’est en France. Sur le ticket c’était marqué 20h, et ils nous ont fait jouer à 18h40. On jouait un lundi, les types de la Cigale voulaient sûrement rentrer tôt chez eux.

Ça vous désespère ou bien vous avez appris à vous en foutre ?
Paul : Je savais à quoi m’attendre, je savais que ça allait être la merde quand on joue en France, du coup on s’est bourré la gueule et on a passé un bon concert. J’ai vraiment kiffé, y’avait personne, on jouait que pour nos potes : dès que tu regardais quelqu’un, c’était un type que tu connaissais. C’était un de mes concerts préférés au final.

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Vous jouez combien de fois par an à Paris ?
Paul : 2 fois ?
Eric : C’est vrai, c’est pas beaucoup.

Comment vous vous êtes fait signer sur un label américain ?
Paul : On n'a jamais envoyé de démo, ou contacté de label. On était sur Myspace, j’avais demandé à un mec de faire un design pour notre page, et il se trouvait qu’il montait son label. C’était le mec de Before The Rise qui était signé sur Rise Records, son label c’était In Vogue. Il a trouvé nos chansons cool, il nous a signé sur son label, mais on pensait rien gagner. Quelques mois après, on a sorti le clip de « In Friends We Trust », qui a pas mal buzzé online, et du coup, on a chopé un manager et Fearless Records est directement venu vers nous.

Il a été tourné ce clip d’ailleurs ?
Paul : À Meudon, chez un pote. On faisait toutes nos soirées là-bas, et on s’est dit que c’était le meilleur endroit pour faire ça.
Eric : On a ravagé son jardin.

La meilleure teuf qu’ait connu Meudon

C’est un clip américain, mais avec une maison française et des Renault Clio. Y’a une vibe « American Pie à Meudon ».
Eric : Faut remettre ça dans le contexte : c’était en 2008, à l’époque où ce genre de clips marchaient pas mal. C’était les clips qui buzzaient. Tu sortirais ça maintenant, les gens se foutraient de ta gueule. Bon, y’en a pas mal qui se sont foutus de notre gueule à l'époque aussi.

Ça ressemble à quoi le Warped Tour ?
Paul : Ça a beaucoup changé. C’est la tournée où tu te marres le plus, où tu peux faire le plus la fête, rencontrer des gens, faire des contacts, et ça marche à fond pour les groupes, même les petits groupes. Après ce n’est plus du tout le Warped Tour des années 2000, le truc que tu vois dans les DVD. Y’a de moins en moins de monde, la scène a beaucoup changé, avant c’était grave punk rock. Maintenant, t’as 70% de groupes à mèches Rise Records qui font des breakdowns, t’as 10% de rap et 10% d’electro. Eric : Mais ça reste une super expérience. Pendant deux mois t’es dans ton bus, tu dois faire tes concerts, le soir y’a barbecue, afterparty et tout ça. Moi aussi j’ai grandi en regardant les DVD du Warped Tour, et c’est vrai que ça a changé. Y’a plein de publicité et de sponsors, c’est un peu un supermarché sur la route. Plein de marques qui sont là pour vendre leurs produits, c’est devenu une pompe à fric, mais bon, c’est toujours cool de le faire. Paul : On a fait deux fois le Warped Tour, et à chaque fois on a passé un super moment. Après, si tu fais ça dans un van, tu passes le pire été de ta vie. Il fait tellement chaud, c’est horrible.

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À Paris ça doit être beaucoup plus calme pour vous.
Eric : Ouais. L’autre jour dans le metro j’ai croisé un touriste mexicain, surement 35-40 ans, avec un T-shirt Chunk, j’ai halluciné. Paul : Ça fait bizarre, quand tu rentres d’une grosse tournée, où plein de gens viennent te voir, de rentrer à Paris et de redevenir un mec lambda.

La France au Warped Tour.

Vous vivez de votre musique ?
Eric : Oui, enfin on développe des trucs en parallèle, mais ça reste lié à la musique. Avec Bertrand, mon frère, on se lance dans la production. Quand on a le temps, on se booke des sessions avec des groupes parisiens ou étrangers. Les périodes de tournée, c’est intense, mais quand tu rentres à Paris y’a plus rien, plus aucune rentrée d’argent. Paul : Moi je développe une marque de fringues, on verra comment ça évolue, pour le moment ça ramène un peu de beurre dans les épinards. Après c’est pas facile non plus, je touche pas un SMIC tous les mois, c’est assez compliqué.

Même en faisant le Warped Tour ?
Eric : Le Warped Tour c’est un bon exemple parce qu’il y a beaucoup de profils différents. Le public dépense énormément d’argent dans le merch, mais par contre niveau frais c’est violent. Le bus, l’essence, ça coute extrêmement cher. Paul : Pour le bus, on paye entre 50 et 70 000 dollars pour deux mois, de notre poche. On n'avait pas un cachet de fou, mais par contre, on vendait énormément de T-shirts. On s’est fait pas mal de sous, on vendait presque aussi bien que les têtes d’affiche, du coup ça permettait de dégager tous les frais qu’on avait et de tout rentabiliser. Quand tu fais la soustraction entre ce que tu gagnes et ce que tu dois, c’est pas énorme. Faut connaitre tous les tricks pour économiser un maximum et savoir où dépenser ton argent.

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C’est quoi les techniques ?
Paul : Y’a des groupes qui vont aller claquer leur argent en weed ou en alcool au supermarché, ou s’acheter des trucs qui leur servent à rien avec la thune du groupe, des vélos, des motos, des trucs comme ça. Nous on a pas eu de dépenses inutiles cette année. Quand on dépensait un truc c’était de notre poche. T’as des groupes qui fonctionnent en Per Diem, où toutes les semaines les membres du groupe reçoivent une certaine somme d’argent pour vivre, se payer sa bouffe etc… Nous on les a pas mis trop haut, juste ce dont on avait besoin, et au final on est revenu avec un peu d’argent chacun, et on a pu rembourser toutes les dettes qu’on avait cumulées. Après notre premier Warped Tour, on avait une dette monstre. On ne savait pas encore comment ça marchait.

Je savais pas que tu pouvais perdre de la thune en festival. Je pensais que c’était censé te rapporter de l’argent.
Eric : Tu peux te ruiner à vie si tu t’y prends mal. Paul : On a mis deux ans à rembourser les frais de notre premier Warped Tour. On a réussi à tout rembourser avec celui d’après, en étant un peu malins pour économiser les frais. Tu payes tout : tu payes ton management, une commission sur le merch que tu vends, tu payes tes agents pour le booking, tu payes le bus, l’essence, les assurances qui sont très très chères, les billets d’avions, ton crew, ton chauffeur, c’est très très cher. Eric : Faut bien choisir son chauffeur, y’en a, c’est des petites divas. Si tu le sais pas, tu peux te mettre vraiment dans la merde.

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Votre label va essayer de lancer votre nouvel album en France ?
Eric : Je ne pense pas qu’il sorte dans les bacs en France, à part en import à la FNAC. Paul : Ils ont lancé une branche du label en Angleterre qui se bouge pas mal le cul donc c’est bien, mais je ne pense pas qu’ils le lancent dans le reste de l’Europe.

Mais ils ne pensent pas qu’un groupe français, ce serait malin de le lancer en France ?
Paul : Bah c’est ce qu’on se dit depuis longtemps, on a des potes dans la presse musicale, on en a parlé avec Fearless, mais non, ça ne se bouge pas à ce niveau-là.

Un jour, vous aimeriez être gros en France ?
Eric : L’année dernière, on a été contactés par Universal, on est allés au rendez-vous, ils étaient sympas, intéressés par le groupe, mais ils nous ont dit que pour réussir ici, il faudrait chanter en français. On va pas changer le groupe pour passer en France. Paul : Si on cherchait la thune ou l’intermittence, on changerait. Y’a des gens qui cherchent ça, ils n'ont pas honte de le faire, tant mieux pour eux, je vais pas leur en vouloir, mais nous, on s’en fout. Eric : On pourrait avoir nos heures d’intermittence, mais c’est trop compliqué, et puis ça existe pas aux États-Unis, notre label comprendrait pas.

Pop punk, oui, mais Français !

Ça vous arrive de croiser des artistes français en tournée ?
Paul : Zaz nous suivait sur notre tournée avec Yellowcard, on voyait les affiches tous les jours. Eric : On est surpris de voir des groupes français quand on joue à l’étranger. En Russie, trois jours après nous, y’avait BB Brunes qui jouait dans la même salle. Paul : Apparement, y’avait personne. Eric : On s’est retrouvés dans une soirée de hipsters aux États-Unis, ils passaient du Yelle, on hallucinait. Elle a fait Coachella cette année, avec Stromae. Paul : Y’a même La Fouine qui a fait des dates aux États-Unis.

Vu le temps que vous passez aux États-Unis, vous arrivez à suivre l’actualité française ?
Eric : On était au studio, aux USA, pendant les attentats de Charlie Hebdo, et on pétait un cable : les Américains avaient des débats incroyables, tout était amplifié x 1000, ils disaient que Paris était une zone de non-droit, il y avait des débats sur la montée de l’Islam, les gros ricains quoi. Mais en fait c’est surtout l’actualité musicale française : Zaz, je commence à en entendre parler. Quand on arrive en France, on apprend surtout des nouvelles façons de parler : les nouvelles expressions, comme OKLM, on connaissait pas. Paul : C’est B2O ? Y’a aussi « tu connais les bails ». Eric : Les quoi ? Paul : C’est là que tu te sens vieux.

Sylla Saint-Guily et Sébastien Chavigner se sentent un peu plus vieux chaque jour. Ils sont sur Twitter.