Peut-on vaper quand on est straight edge ?

Dieu existe-t-il ? La science peut-elle expliquer le réchauffement climatique ? La cigarette électronique est-elle straight edge ?

Aux quatre coins du monde, des universitaires, chercheurs et intellectuels cherchent, chaque jour, les réponses à ces questions, leurs esprits sondant sans relâche les zones grises de la raison et de la morale. Est-ce que tirer sur une cigarette électronique aromatisée menthe-chocolat c'est breaker son edge ? Est-ce que techniquement, vaper = breaker ?

On s'est posé la question au bureau et on s'est rapidement rendu compte de l'importance de ce débat. La question est bien trop subjective pour pouvoir y répondre dans un article objectif. Clairement, consommer un produit contenant de la nicotine va à l'encontre des principes straight edge, puisque ça revient à s'empoisonner. Mais certaines personnes utilisent des produits sans nicotine et enchaînent les nuages de fumée sur leur Instagram en toute impunité.

On a profité du festival This Is Hardcore qui avait lieu à Philadelphie pour mener l'enquête. Des straight edge bardés de tatouages XXX aux punks tirant frénétiquement sur leurs roulées, on disposait d'un échantillon parfait de passionnés aux philosophies diamétralement opposées.

Levi a 28 ans, il vit en Californie et gère sa propre marque de fringues baptisé tout simplement American Straight Edge. Pour lui, vaper n'est absolument pas straight edge à cause de l'image qui se dégage de la pratique et de l'addiction qui peut en découler. « Ça craint autant que de fumer », explique t-il. Levi a trois enfants, donc il s'autorise quand même à boire du café. Son idole straight edge est Toby Morse de H2O.

Robert et Mandy sont deux straight edge originaires d'Allemagne de l'est. Selon Mandy, c'est OK de vaper tant qu'il n'y a pas de nicotine. Robert, lui, n'est pas d'accord. Pour Mandy, les différents arômes proposés sont un peu comme le tofu : « ça a toujours un peu le même goût. »

« Je ne sais toujours pas vraiment ce que c'est, s'interroge Preston, 31 ans, professeur en arts du spectacle. Je ne juge pas les gens qui vapent, mais ça ne s'inscrit pas dans les préceptes straight edge. » Même s'il estime qu'une personne qui se considère straight edge ne devrait pas vaper, il trouve que certaines personnes prennent tout ce qu'on leur dit au pied de la lettre. Il m'a parlé du morceau de Minor Threat « Out of Step » dans lequel Ian MacKaye chante « I don't smoke, I don't drink, I don't fuck » et m'a demandé : « Tu penses vraiment que MacKaye n'a jamais baisé ? Chacun en fait sa propre interprétation, ce qu'il veut dire c'est qu'il faut s'interroger sur nos actes et sur leurs conséquences. C'est pas uniquement une ligne de conduite, on ne forme pas un club fermé, ce qui importe c'est d'avancer, à sa façon. »

« Je pense que ça dépend de la personne et de la présence de nicotine parce que parfois, ça peut être juste de la vapeur d'eau parfumée », explique Michelle. Elle vient de Salisbury, une ville du Maryland qui, selon elle, regorge de vapeurs. Elle a choisi l'arôme Pomme Fuji-Poire et pour elle, c'est bien plus sain qu'une vraie cigarette, même s'il n'y a pas encore eu assez de recherches scientifiques sur le sujet. Elle utilise une vapeuse pour arrêter de fumer et elle n'est donc pas (encore) straight edge.

Joanna n'est pas straight edge, mais elle respecte à fond. Elle a fumé pendant une dizaine d'années, mais ça fait un an qu'elle n'a pas retouché à une cigarette grâce à sa vapeuse arôme fraise. Elle nous a expliqué qu'une cigarette contenait entre 12 et 20 % de nicotine alors qu'il n'y avait que 3 % de nicotine dans sa vapeuse. Ça marche pour elle, mais elle ne comprend pas qu'on puisse juste vouloir « vaper pour vaper », ce qui revient, selon elle, à s'imposer une habitude inutile.

« Bien que je vape, je déteste les gens qui font des énormes nuages de fumée. Je déteste les gens qui font ça pour être cool, genre 'matte mon nuage mec !' Ça m'a aidé à arrêter la cigarette, et à arrêter de m'infliger des saloperies. Là, je tire sur de la glycérine végétale et des noix fermentées, c'est bien moins mauvais pour moi. »

Son pote Max a les trois X tatoués sur son poignet et pour lui vaper n'est « vraiment pas du tout edge ». Il est devenu fou le jour où un type a tiré sur sa vapeuse parfum Jägermeister dans son shop de skate.

Contrairement aux apparences, « Vape Slut » comme elle se surnomme est straight edge depuis 10 ans et ne vape pas. Selon elle, même si tout le monde trouve ça plus sain, ça ne l'est pas et ça pue autant qu'une vraie clope. Elle estime que vaper n'est pas straight edge : « même si ce n'est pas une drogue à proprement parler, ça revient au même ». Avec ou sans nicotine, vaper c'est breaker.

Travis a 28 ans. Originaire du Kentucky, il est aujourd'hui tatoueur à Chicago. Il m'a confié qu'il trouvait que mon dictaphone ressemblait à un taser suffisamment puissant pour mettre une vache à terre. Puis il a tenu à remercier la communauté straight edge pour son éthique de travail et la ligne de conduite qu'elle suivait.

« C'est infernal de vaper. C'est bien pour les gens qui cherchent à arrêter de fumer, mais ceux qui le font comme ça, sans raison, absorbent quand même de la nicotine et sont aussi sujets à l'addiction. Ils s'habituent au geste et ça reste dangeureux. »

Même si ceux qui vapent le dérangent nettement moins que les fumeurs, il n'apprécie pas trop de respirer les fumées parfum chocolat ou noisette. Rayon tatouages, il se met plutôt bien niveau X, aigles à boucliers et rasoirs.

Chris (à droite) habite Atlanta, en Géorgie. Il n'a jamais bu, fumé ou pris de drogue de sa vie. Il est straight edge depuis 14 ans.

« Il y a des gens qui se disent straight edge et qui le font ? demande-t-il. Moi je n'ai pas l'intention de vaper, mais si des types se considèrent straight edge et vapent, c'est pas mon problème, c'est leur edge, pas le mien »

Charlie Reckless (à gauche) a 36 ans. C'est un ex-junkie de Charleston, en Caroline du Sud. Quand il était plus jeune, il a suivi Pantera en tournée. Il a vapé il y a quelques années pour arrêter de fumer. « Est-ce que je pense que vaper équivaut à breaker ? Ouais, à fond. Pourquoi voudrais-tu te rajouter des trucs chimiques dans le corps ? » Son conseil : « Les kids, restez loin de la cigarette électronique, c'est tout sauf cool ! »

Joey a 29 ans, il vient du Delaware. « Vaper n'est pas straight edge, mais c'est carrément street edge. Le street edge c'est par exemple quand un truc qui n'est pas autorisé dans le straight edge est abandonné dans la rue, genre une bière à moitié finie ou une clope pas terminée. Dans ces cas là, si tu le ramasses, tu ne breakes pas. Ça reste straight edge. Moi je suis straight edge, mais bientôt je serai street edge - j'ai vu la vérité grâce à vape. » Joey n'est pas encore tombé dans la vape, mais il est OK avec ça.

Matty se faisait des X sur ses mains, mais ça c'était avant qu'il ne touche à la drogue et à l'alcool. Il est diabétique de type 1 et il ne tient ni l'alcool, ni la weed donc il a fini par tout arrêter. Matty a fumé des cigarettes pendant une dizaine d'années, aujourd'hui il se contente de tirer sur sa e-cigarette. Ça fait un mois qu'il n'a pas fumé de vraie clope, il ressent à nouveau ses orteils et il voit beaucoup mieux. Pour lui, sa cigarette électronique n'est pas straight edge, puisqu'elle est fabriquée par Marlboro et qu'elle contient tout de même de la nicotine. Concernant celles qui ne contiennent aucune trace de nicotine, Matty estime que « les gens qui tirent uniquement sur des vapeuses parfum cookie ne sont pas nécessairement des fumeurs de weed qui sont toqués d'encens et possèdent au moins deux bongs. »

Ce type s'appelle aussi Joey. Il a fumé de ses 13 ans à ses 30 ans, mais aujourd'hui il ne jure plus que par sa vaotpeuse goût beurre de cacahuètes et banane. « Si je n'avais jamais fumé, je ne me serais jamais procuré ça. Donc, même si on peut vapiter sans nicotine, ça n'a aucun sens pour un straight edge de le faire. » Joey avoue toutefois qu'il peut difficilement se mettre à la place d'un straight edge. Il adore le LSD, il trouve ça thérapeutique.

Tony est originaire de Harrisburg en Pennsylvanie, il vient de découvrir le hardcore. Il vape depuis 3 ans, avant quoi il fumait près de deux paquets de clopes par jour. Pour lui, le plus dur, c'était de se défaire du geste. Ce n'est pas un nerd de la vape, mais il construit ses propres filtres. Et il a déjà dépensé près de 700 dollars en matos. Pour ce qui est des arômes, il affectionne particulièrement les goûts céréales : Crunch Berries ou Fruity Pebbles, au choix.

Derek Scancarelli ne fume que des Newport. Il est sur Twitter.