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Cerebral Ballzy sont prêts à tout défoncer, y compris les portes ouvertes

On a interviewé Honor Titus, le chanteur du groupe new-yorkais, lors de leur dernier passage à Paris.

La première fois que j’ai vu Cerebral Ballzy, c’était en 2011, ils ouvraient pour The Horrors à La Dynamo, une minuscule salle de concert au cœur de Toulouse. Le concert a mis des plombes avant de commencer et le groupe s’est finalement pointé avec une heure de retard. Ce qui m’avait étonné à l’époque, c’était leur côté branleur : pas de balance, les mecs déchargent tout leur matos du Van en cinq minutes, jettent leurs amplis sur scène, branchent leur guitare et déclenchent le chaos sur scène. On était loin des traditionnels groupes de première partie rôdés en SMAC et totalement paumés dès qu'ils n'ont plus leur accordeur sous la main.

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Trois ans plus tard, le groupe a gagné en personnalité, s'est débarrassé de sa pénible image de punks en mousse et a également changé de batteur. «

Crazy Abe était toujours en train de se bagarrer

, nous raconte le leader du groupe, Honor Titus.

Il finissait à l’hôpital une fois par semaine, puis c’était en cellule, puis encore la prison. Il aurait pu passer l’arme à gauche. Je suis content qu’il aille bien car c’est un de mes meilleurs amis, depuis des années. Et tu n’as pas envie de voir tes amis mourir.

»

Fin 2013, Honor Titus, Melvin Honore, Mason, Jason Bannon et Tom Kogut, ont signé chez Cult Records, le label de Julian Casablancas, sur lequel ils ont sorti le 17 juin dernier leur nouvel album, le très acclamé

Jaded And Faded

. Ils étaient à Paris, le 19 juin dernier au Point Ephémère, on en a profité pour rencontrer Honor Titus et lui poser quelques questions sur New-York, le punk rock et ses parties de basket avec le chanteur des Strokes.

Noisey : Vous venez de finir votre tournée au Royaume-Uni, comment ça s’est passé ?

Honor Titus :

On a adoré. Il y a tellement de fans obsédés par le groupe, c’est génial. Ils ont autant de respect pour la musique alternative qu’on en a aux Etats-Unis. Ils ont besoin de style, et ils adorent Cerebral Ballzy donc c’est un vrai plaisir de jouer pour eux.

Il faut dire aussi que vous êtes en couverture de tous les magazines de musique anglais…

Oui, mais au-delà des couvertures de magazines, c’est vraiment le rapport avec les gens qui compte. Tellement de jeunes viennent nous voir et nous disent « J’écoute Black Flag et les Bad Brains grâce à vous ! » Des gamins, tu imagines ! Puis tu as des mecs beaucoup plus vieux, qui ont vu ces groupes-là, ils sont tellement fiers de voir que des jeunes prennent la relève. Ces derniers mois ont été tellement rafraîchissants. Le punk excite encore un paquet de personnes !

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Tu te souviens du truc le plus bizarre que tu aies vu sur scène ?

Il y a tellement de gamins handicapés qui viennent à nos concerts. À cause de notre nom de groupe qui est un jeu de mot avec « Cerebral Palzy » - infirmité motrice cérébrale. Ils écoutent la musique et ils adorent. On ramène des gamins paraplégiques, et ça c’est cool. Pourtant, notre nom de scène n’a quasiment rien à voir avec ça, ça vient juste d’une mauvaise blague. Mais j’aime le fait que les gens fassent le lien avec cette maladie, au lieu de penser qu’on se moque d’eux. Ils peuvent venir s’amuser et c’est tout à fait normal. On respecte beaucoup ça.

Comment vous êtes-vous retrouvés sur Cult Records ?

Julian Casablancas et moi on trainait ensemble à New-York à shooter des paniers, à parler musique pendant des heures. Y’avait plein de labels qui nous voulaient, mais on n’était pas sûr de nous, et Julian nous a sorti « bah pourquoi vous ne signez pas chez moi ? » On a dit « ok ! » et voilà.

Comment as-tu rencontré Julian Casablancas ?

On jouait au basket sur Orchard St. avec des potes. On le voit passer et je crie « Hey Julian ! », il me répond « Hey Honor ! ». Il connaissait le groupe, il connaissait mon nom. On s'est mis à parler de ce qu’on aimait, de nos tatouages, de filles, et c’était comme si on avait toujours été potes. Julian est comme un frère pour moi.

Tu penses qu’il a quelque chose à voir avec votre succès ?

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D’une certaine manière, oui. Dans le sens où un paquet de personnes nous déteste parce qu’ils pensent qu’on est juste des minets qui savent faire de la musique. Les Strokes ont aussi dû gérer ça à leur époque. Je pense que Julian est comme le tampon qui valide ça, un certificat d’authenticité. Les gens veulent en voir plus. C’est dingue ! Puis il me donne des conseils. Sur la musique, le chant, l’amitié, la sagesse. C’est lui qui a fait le tracklisting de l’album. On parle d’art, on parle de ce qu’on devrait faire pour les clips. Il me dit des trucs sur la drogue… Je le considère vraiment comme mon frère.

Tu peux nous parler de l’artwork de Jaded and Faded ? C’est le genre de pochette d’album qu’on aime ou qu’on déteste mais qui marque.

C’est un mec nommé Richard Prince qui l’a faite, un artiste sculpteur et photographe basé à Londres. Il déchire. Avec cette pochette, c’est comme si on arriver à transporter le punk dans l’ère moderne. C’est le sentiment qui s’en dégage quand on la regarde. Elle me plait beaucoup.

Votre dernier album beaucoup plus produit que le précédent. Le son est plus net. C’était quoi l’objectif ?

On écoute énormément de musiques différentes. Que ce soit de la power-pop ou du jazz, du blues ou n’importe quoi d’autre. Pendant l’enregistrement on écoutait tellement de power-pop, des Nerves à Stiv Bators après sa période avec les Dead Boys, que nous voulions que ça se ressente dans nos chansons. On a travaillé avec David Sitek des TV On The Radio. Il a parfaitement compris ce qu’on voulait : l’album est ensoleillé, avec un son massif.

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Qu’est-ce qui vous différencie des autres groupes ?

Hum… Je dirais l’honnêteté, l’intégrité. Notre côté viscéral, et les mélodies qu’on apporte. C’est jamais prétentieux, jamais trop pensé ou trop calculé tu sais. Ce qui compte pour nous, c’est d’écrire des mélodies que les gens peuvent s’approprier, des choses évidentes. On a mis beaucoup de mélodies dans notre nouvel album, beaucoup de nuances aussi. Je suis vraiment content que ça plaise aux gens.

Comment en êtes-vous arrivés à jouer du punk ?

Le skate, les vidéos de skate. On avait entre 17 et 18 ans quand on s’est rencontré. On s’est mis à faire de la musique par accident. Il n’y avait absolument rien niveau musique dans notre quartier. Je me souviens des vidéos de John Cardiel, on les regardait quand on a lancé notre groupe. On faisait une espèce de punk rock garage. Quand tu sors à New-York et que t’entends Chairlift et toute cette merde jouer, tu te demandes : « comment on en est arrivé là ? »

Tu vis toujours à Brooklyn ? Tu as dit une fois que New-York était la capitale du crime aux Etats-Unis, tu le crois vraiment ?

Oui j’y vis encore, Williamsburg pour être précis. Mais on répète toujours à East New-York. New-York est toujours la capitale du crime. On a des amis qui se sont fait dépouiller en venant nous voir. On a vu plein de merde. Des trucs avec les flics, des embrouilles quotidiennes, des trucs avec la drogue. Ça se passe comme ça là où on répète. Mel par exemple, a assisté à une fusillade y’a pas si longtemps. Il connait des mecs qui se sont fait buter à un pâté de maison de l’endroit où on répète.

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C’était comment pour un gamin de grandir là-bas ?

Je suis allé en école privée à Brooklyn. Je vis toujours dans un quartier de fous, mais à l’époque j’étais plutôt protégé. Là où j’ai grandi, il y a tellement de cultures, de styles différents, d’influences diverses… ça ressemble à Paris un peu, niveau style et individus. Tout le monde est stylé ici, j’aime ça.

Mais beaucoup de grandes villes comme Paris ou New-York sont justement en train de devenir des espèces d’hôtels ou des parcs d’attractions pour gens aisés.

Oui, et c’est triste. Ça craint de se dire que les artistes sont ceux qui contribuent à ça en premier lieu, et je pense qu’on en arrive à un point où les choses doivent changer. Notre conscience à tous doit changer, l’argent ne doit plus être la valeur dominante. Et ça craint de voir qu’un artiste n’a de la valeur que s’il a du succès. Les années 90 ont poussé trop loin ce concept-là. Aujourd’hui, les maisons de disque ne te signent plus si t’es accroc à l’héroïne. Je ne dis pas qu’on doit revenir à une telle façon de procéder, je dis juste qu’on a besoin de quelque chose de subversif, on a besoin d’un truc cool.

Quoi par exemple ?

Des gens qui font de la bonne littérature, de la bonne musique, pas comme cette merde grand public avec laquelle on nous gave 24h/24. Je pense que les gens doivent commencer à trouver leur propre truc, surtout à l’heure d’Internet. On a besoin de quelque chose de viscéral.

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Qu’est-ce qui t’énerve le plus aujourd’hui ?

Les gens qui essaient de te mettre dans des cases. Ceux qui te disent « achète ça ! », « fais ça ! ». Je fais ce que je veux. Le manque de liberté aussi. L’idée qui veut que si tu n’as pas certaines choses tu ne peux pas faire certaines choses. Il y a tellement de paramètres, et beaucoup de gens ne rencontrent jamais des gens étrangers à eux parce qu’ils sont encore confinés dans ces espèces de carcans, tu vois ?

Tu sais pourquoi les gens sont encore coincés ?

Parce qu’ils ont peur de perdre ce qu’ils ont. Et c’est dans la nature humaine. Mais c’est triste. Beaucoup de gens doivent faire avec les petits problèmes de la vie, comme les assurances, les soucis avec leur bagnole et toutes ces conneries. La vie c’est plus que ça.

Tu as dit dans une interview : « je ne suis pas punk pour être un loser. » Tu es punk pour être quoi alors ?
Un winner. C’est quoi la réussite pour toi ?
Faire ce que je veux, être capable de le faire et subvenir à mes besoins, sans l’aide de personne. C’est ça le punk. N’avoir besoin de personne d’autre. Et je veux parvenir à ça à ma manière. Tout le monde croit qu’être punk c’est vomir partout et faire des trucs débiles. Je le fais parfois, mais je veux aussi faire de grandes tournées, diffuser ma musique partout et m’éclater. Et quand tu seras plus vieux, tu as une idée de ce que tu feras ?
Ouais, j’écrirai. J’écrirai un livre. Plus de Cerebral Ballzy ici