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Music

Carrie Brownstein : « Il a fallu que je rencontre des tas de gens tordus et bizarres pour que je commence enfin à me sentir à ma place »

À l'occasion de la sortie de son autobiographie, l'icône indie nous raconte comment elle est passée de simple fan à Sleater-Kinney et Portlandia.

« Le rock & roll est presque mort », me dit Carrie Brownstein, les jambes croisées sur un fauteuil dans sa chambre d'hôtel. Une déclaration plutôt inattendue de la part de quelqu'un qui a largement prouvé le contraire avec son groupe Sleater-Kinney et son jeu de guitare aussi unique qu'innovant. Mais à 41 ans, Carrie Brownstein a davantage envie de parler de Drake. Ou de Kendrick Lamar. Ou de Young Thug. « J'écoute énormément de hip-hop. Plus que n'importe quel autre style de musique. Le hip-hop est un mouvement d'intégration, pas d'exclusion. Il intègre par le rythme, de manière totalement organique et naturelle. » J'ai rendez-vous avec Carrie pour parler de son livre Hunger Makes Me a Modern Girl, qui sort aujourd'hui même, le 27 octobre. Mais tout ce dont elle me parle, c'est de hip-hop. « Le truc chiant avec le rock, c'est qu'on a pris cette figure d'un mec blanc avec une guitare et qu'on l'a érigée comme un modèle universel et éternel - mais pourquoi est-ce que ça devrait être éternel ? Rien n'est éternel. Et je pense que le hip-hop est aujourd'hui en train de prendre sa place et de devenir un nouveau modèle universel. Et ce qui importe, c'est ce qu'il se passe aujourd'hui, pas vrai ? »

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« Pour moi, c'est la musique la plus excitante qui existe aujourd'hui—elle est drôle, pertinente et aborde des tas de sujets différents. » Et alors qu'elle se lance dans une éloge du To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar, elle traverse la chambre pour prendre son sac en me disant : « Attends, il faut que je te montre un truc. Tu aimes Miguel ? Je l'adore. » Elle fouille dans son sac, sort son iPhone et se met à scroller frénétiquement sur l'écran. « Bon, il est pas vraiment hip-hop, mais il faut que tu voies ça. Juste pour comprendre à quel point je suis fan de ce mec. »

Voir quelqu'un d'aussi talentueux et influent que Carrie Brownstein perdre ses moyens devant une vidéo de Miguel prouve à quel point elle est un personnage fascinant. Même au sommet de la gloire de Sleater-Kinney, quand ses fans se faisaient tatouer son autographe sur le bras, elle restait cette gamine de banlieue pavillonnaire dont la vie a totalement changé lorsqu'elle a découvert Bikini Kill en 1991. Une période qu'elle raconte dans son livre, expliquant comment elle est passée de riot grrrl paumée qui écrivait des lettres de fan à la guitariste de 7 Year Bitch à l'une des figures centrales du rock indépendant des années 90. On se rend très vite comte en lisant Hunger Makes Me A Modern Girl à quel point Carrie était une fan dévouée et à quel point cela a joué un rôle primordial dans son parcours. C'est en effet avec Corin Tucker, à qui elle avait avoué son admiration lorsqu'elle jouait dans Heavens To Betsy, qu'elle formera en 1994 Sleater-Kinney. Un groupe qui s'est très vite différencié du tout-venant riot grrrl en remplaçant les slogans et les revendications de façade par des paroles et une atitude plus personnelles, abordant des sujets tels que le féminisme radical ou l'homosexualité et refusant par-dessus tout d'être considéré comme « un groupe de filles ».

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Noisey : Dans ton livre, tu parles du moment où tu as découvert le punk et le mouvement riot grrrl de manière si précise. Comment se fait-il que tu t'en souviennes aussi bien, alors que tout ça s'est passé il y a des années ?
Carrie Brownstein : Tout le process d'écriture m'a un peu obligé à retrouver et isoler les moments et évènements précis qui m'ont amenée à me passionner pour la musique et à monter mon propre groupe. Tout ce qui a joué un rôle crucial, qui m'a poussé à rejoindre cette scène et à faire tout ce que j'ai fait. J'ai beaucoup parlé avec Corin [Tucker], avec ma soeur, j'ai relu des pages de mon journal, j'ai demandé à des amis de me faire des copies de lettres que je leur avais envoyé quand j'étais en tournée. Ça m'a permis de remettre toutes les pièces du puzzle dans l'ordre, même si au final je n'ai pas présenté les choses de manière chronologique. J'ai isolé les différentes étapes et j'ai présenté ça dans un ordre qui me semblait plus intéressant et qui permettait un peu plus de suspense également.

Tu intellectualises pas mal le fait d'être fan, l'importance que ça a joué sur ton parcours.
J'ai beaucoup de tendresse et d'amitié pour la fille que j'étais quand j'étais adolescente, qui était ultra-fan. Pour moi, être fan, c'est être curieux, et la curiosité c'est ce qui te permet d'être optimiste, d'être créatif et de t'ouvrir au reste du monde et aux expériences qu'il peut t'apporter. Le vie quotidienne t'oblige parfois à te freiner, te restreindre, à rester inerte. Mais être fan, être curieux, ça te pousse à aller de l'avant, vers ces choses qui, au premier abord, te paraissent flippantes et incertaines… C'est ce qui m'a permis de rester optimiste, c'est ce qui m'a permis d'apprécier le moment présent. Même quand tu découvres un truc vieux, c'est nouveau pour toi, tu te l'appropries dans le présent et ça devient donc tout aussi important que tout ce qui est totalement neuf.

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Comment est-ce qu'on se fait une place dans la scène punk quand on est une fan sans être prise pour une fouineuse ou considérée comme quelqu'un de relou ou de superficiel ? Tu parles de ça dans ton livre - quand tu as déménagé à Olympia et que tu as commencé à correspondre avec des groupes comme 7 Year Bitch et Heavens to Betsy.
Il suffit de se souvenir de qui on est. Et ce n'est pas forcément simple quand tu es une ado pleine de doutes. À un moment, je parle du moment où je me suis transformée, à tel point qu'Elizabeth de 7 Year Bitch ne m'a pas reconnue. Je voulais tellement faire partie de ce monde et de ces groupes que je suis devenue quelqu'un d'autre. C'est vraiment important d'être à l'aise avec soi-même, de s'entourer de gens qui vous apprécient pour ce que vous êtes, et d'évoluer dans un milieu où vous sentez suffisamment en sécurité pour vous permettre de prendre des risques. Moi, je n'en ai vraiment pris conscience qu'une fois que j'étais sur scène avec Sleater-Kinney. Il faut pas mal de confiance en soi pour réaliser ça.

C'est cette confiance en toi qui t'a permis de déménager de Seattle à Olympia ?
Oui, ça m'a aidé. L'école ne t'apprend rien à ce niveau. Au lycée, à la fac, je parlais à peine en cours. J'étais timide et stressée. Il a fallu que je rencontre des tas de gens tordus et bizarres pour que je commence enfin à me sentir à ma place.

Le fait que tu sois une fan qui s'est hissée au niveau de ses idoles a-t-il joué sur ton rapport avec tes propres fans ?
Oui, car je sais que les deux sont des parties intégrantes et essentielles de l'équation. Ils forment un tout. Et Sleater-Kinney n'a pas connu une ascension fulgurante, ça s'est fait étapes par étapes. On a donc réussi à garder ce lien avec notre public, avec les gens qu'on a rencontrés au début du groupe, les gens qui nous ont fait jouer, les gens chez qui on a dormi. Ça s'est fait naturellement. C'est quelque chose d'essentiel. La musique, c'est tout ce que j'ai à donner aux gens. Et je ne pense pas qu'il soit nécessaire de donner plus que ça à ton public. Mais tu es aussi un être humain, tu peux avoir de la compassion et écouter ce que les gens ont à te dire. C'est important d'être écouté. Je ne le sais que trop bien. Je me sentais totalement invisible avant, et aujourd'hui je suis là en train d'enchaîner les interviews dans cette chambre d'hôtel.

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Au début du groupe, notre label recevait des lettres et on faisait en sorte de les lire et d'y répondre. Mais avec notre reformation, on a découvert les réseaux sociaux et des choses beaucoup plus intenses, avec des fans qui nous demandaient des autographes sur leurs bras et qui allaient ensuite se les faire tatouer. Là, il y a une partie de moi qui se dit « Sérieusement, vous êtes dingues, il faut vous calmer là ». Mais une autre partie de moi se retrouve totalement dans cet enthousiasme, je jusqu'au-boutisme. À leur âge, si j'avais grandi à notre époque, j'aurais sûrement fait la même chose. Mais ça reste quelque chose d'assez bizarre.

Tu serais fan de qui aujourd'hui ?
Kendrick est génial, mais je dirais sans doute Young Thug ou Meek Mill.

Tu es plutôt team Meek Mill ou team Drake ?
Plutôt team Drake, en fait. Je préfère l'album de Drake. Même « Hotline Bling », j'adore. C'est un morceau génial. Mais je pense vraiment que Kendrick a sorti le meilleur disque hip-hop de cet année. Tu aimes Big Sean ? Quand je suis en tournage pour Portlandia, je n'écoute que ça. Ça et Tame Impala. J'adore leur dernier album. Et le nouveau Kurt Vile aussi. J'aime beaucoup Rihanna également. J'aime son côté « je ne suis pas Taylor Swift, je ne suis pas un modèle pour la société ». On n'a pas a être ce qu'on ne veut pas être. On demande beaucoup à toutes ces pop stars. L'autre soir, j'ai vu Grace Jones à une présentation de son autobiographie. Elle s'est pointée avec deux heures de retard, a juste raconté 2-3 trucs et dédicacé des livres. Mais on leur demande tellement de choses. Elles doivent être belles, sexy, talentueuses, accessibles. Ce n'est pas possible. J'aime bien le fait que Rihanna se rebelle contre ça, qu'elle dise ce que personne n'ose dire.

Bryn Lovitt iest sur Twitter.