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Music

L'incroyable résurrection de Carcass

Le légendaire groupe metal de Birmingham revient sur l'année qui l'a vu renaître de ses cendres et sortir le monstrueux Surgical Steel.

2013 a été une année record pour Carcass, un truc qui paraissait totalement impensable il y a encore quelques années. Même si le groupe s’était reformé pour la première fois en 2007, onze ans après leur séparation, personne n’attendait vraiment un nouvel album de leur part : les deux membres principaux, le bassiste-chanteur Jeff Walker et le guitariste Bill Steer, avaient toujours dit que ça n’arriverait jamais. Ils ont finalement changé d’avis pour sortir

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Surgical Steel

, un disque qui a réduit en miettes trois générations de fans de metal extrême.

Pour ceux qui ignorent encore l’importance de Carcass dans le monde du metal, sachez qu'il s'agit d'un des groupes qui a défini les contours du grindcore au milieu des années 80, aux côtés de Napalm Death et Extreme Noise Terror, qu'ils ont influencé un gazillon de groupes, de Cannibal Corps à Nasum, et qu'ils tiraient leurs paroles et les titres de leurs morceaux de livres de médecine, comme par exemple « Swarming Vulgar Mass of Infected Virulency » ou « Lavaging Expectorate of Lysergide Composition ». Après deux albums bourrés d'excrétions volcaniques lo-fi,

Reek of Putrefaction

et

Symphonies of Sickness

, Carcass est devenu un monstre death metal ultra véloce, comme en témoignent l'immense

Necroticism – Descanting the Insalubrious

de 1991 et le plus mélodique

Heartwork

en 1993.

Carcass ayant radicalement bouleversé leur musique entre l’année de leur formation en 1985, et leur split en 1995, le seul moyen d'assurer leur retour était que chaque membre y aille petit à petit, telle une personne âgée entrant dans une mer à 18°. S’acclimater, se réadapter, et avancer, jusqu’à être de nouveau immergé dans la matrice. Jeff Walker a raconté à Noisey comment il a remis Carcass en route et fait de nouveau tourner à plein régime l'impressionnant méchanisme d'acier d'un des meilleurs groupes metal de l'Univers connu.

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Noisey : Tu as reformé Carcass en 2007 après un break de 12 ans, pour une tournée qui a plutôt bien marché. J’imagine que tout le monde n’était pas très chaud au départ, non ?

Jeff Walker :

Ouais, j’avais ouvertement dit que ça n’aurait jamais lieu – principalement parce que notre batteur Ken Owens ne pouvait plus jouer dans le groupe. L’affaire était classée pour moi.

Qu’est ce qui t’a fait changer d’avis ?

Je jouais avec Brujeria depuis 2006, je voyageais et voyais de mes propres yeux l’ampleur que la scène avait prise, et j’ai commencé à réaliser que, même si je m'amusais beaucoup avec Brujeria, j’avais moi aussi un passé au sein d’un groupe plutôt populaire. Mais je me reposais tout le temps sur l’idée que Bill Steer refuserait systématiquement mes propositions, donc je n’ai jamais songé à lui en parler. Celui à qui on doit cette reformation, c’est notre ancien guitariste, Mike Amott. Il voulait le faire à tout prix. Il a pris l’initiative d’aller rendre visite à Bill, qui vivait à Halstead, comme lui. Bill était là, à jammer avec Ludwig Witt, le batteur de Spiritual Beggars et Firebird. Mike a invité Bill chez lui et lui a foutu une guitare dans les mains, et les deux se sont mis à jouer de vieux morceaux. Et tout est revenu dans la tête de Bill. Mike m’a dit plus tard que Bill était chaud – c’était un piège.

Comment êtes vous passés de cette jam à une vraie reformation ?

Au cours d’une tournée avec Brujeria, j’ai vu Emperor au KeyClub d’Hollywood, et j’ai envové un texto à Bill qui disait -avec tout le respect que j’ai pour Emperor- : « Allez ramène-toi, reformons-nous. On est Thin Lizzy comparé à ces mecs. » Mais ce n'était vraiment pas par arrogance que je voulais le faire. Je pensais juste au fond de moi : « Nom de dieu, Carcass est tellement vénéré et respecté. » Je voyais tous ces groupes se reformer les uns après les autres et ça marchait bien pour eux, alors je me suis dit que Carcass pouvait facilement faire aussi bien, si ce n'est mieux. Il suffisait juste de convaincre Bill.

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Quelle technique de manipulation mentale as-tu utilisé pour le convaincre ?

J’ai attendu, tout simplement. On a commencé par quelques concerts en 2008, et Bill s’est retrouvé emporté par l'enthousiasme général. Je ne crois pas qu’il se doutait une seconde de l’impact que Carcass avait sur la scène metal. Il ne pensait pas qu’on puisse attirer autant de monde, et ça l’a un peu choqué d'ailleurs, mais il a kiffé.

C’était bien de se retrouver tous ensemble ?

Ouais, c’est pour ça qu’on l'a fait hein, au-delà de l’argent. Les gens pensent évidemment qu’on l’a fait pour la thune. Bien sûr, c’est très attirant, mais on ne fait jamais les choses en se forçant. On a arrêté un moment en 1986, parce qu’on se marrait moins. C'est primordial qu'on prenne notre pied en jouant. Après le dernier concert de notre tournée de 2010 à Atlanta, Mike nous a fait explicitement savoir qu’il ne jouerait plus avec Carcass, parce qu’il voulait à son tour ressusciter Arch Enemy. C’était OK pour nous, on n’avait rien d’autre de prévu de toute façon. Mais l’étape logique après la reformation, si on voulait que Carcass revive vraiment, c’était d’écrire un nouvel album.

Tout le monde était d’accord pour composer Surgical Steel ?

Deux mois après la fin de cette tournée, en 2010, Bill m’a appelé en me demandant si ça me disait qu'on répète ensemble. Je n’ai jamais tenté de forcer Bill à faire quoi que ce soit, parce que je sais que ça n’aurait jamais marché. À ce stade, j'ai eu besoin de prendre un peu de recul. Parce que, pour moi, il était impossible de faire un

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vrai

album de Carcass sans notre batteur Ken, qui était un élément déterminant de notre son. En fait, quand on s’est reformé la première fois, la justification morale pour moi était de dédier ces concerts à Ken, parce qu’on n’avait jamais rien fait pour lui lorsqu’il est tombé malade [et a été victime d’une hémorragie cérébrale en 1999]. J’ai harcelé Earache pour qu’ils filent tout ce qu’ils devaient à Ken, jusqu’au dernier centime, mais de notre côté, on n’a jamais organisé de concert de soutien. Je m’étais donc mis dans l’idée qu’on allait lui donner sa part de l’argent généré sur cette tournée, que ce serait un acte cool et charitable. C’est donc ce qu’on a fait, et c’est ce qui rendait cette reformation acceptable pour tout le monde.

Est-ce que Ken a toujours un suivi médical ?

Il a une amie qui est payée pour s’occuper de lui. C’est comme une infirmière à domicile. Ken s’est acheté une maison avec la thune qu’on lui a filée, on s’est arrangé pour qu’il soit en sécurité.

Ken est affaibli à quel point ? Il peut marcher ? Il peut jouer de la batterie ?

Son choc cérébral a endommagé sa mémoire à court terme. Il peut très bien se rappeler de choses qui se sont passées il y a dix ans, mais il a dû mal à se rappeler de ce qui s’est passé depuis son coma et ses opérations. Et physiquement, il n’est pas à 100 %. C’est comme un AVC. Il ne pourra jamais rejouer dans Carcass.

Quand l’accident est arrivé, Carcass n’existait plus mais vous jouiez ensemble dans Blackstar. Comment tu as appris la nouvelle ?

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C’est notre ancien manager Martin qui m’a appelé. J’étais sous le choc, même si je suis un fils de pute avec un cœur de pierre [

Rires

]. On est allé le voir à l’hôpital, il était dans le coma et on aurait vraiment dit qu’il allait mourir. J’ai dû pleurer tout ce que j’avais comme larmes ce jour-là, alors tout ce qui est arrivé après ça ne pouvait être que positif, parce qu’il était toujours vivant. Il a subi deux opérations du cerveau, puis est sorti du coma. C’est toujours le même mec, sa force mentale et physique sont simplement diminuées. Mais c’est toujours la même personne.

Revenons au présent. Pourquoi Mike Amott a préféré rejoindre Arch Enemy plutôt que de continuer avec Carcass ?

En fait, après la tournée, il nous a dit ceci : « Je vais être trop occupé pour accorder du temps à n’importe quoi d’autre. Faites ce que vous voulez les mecs. » À ce moment là, on ne parlait pas encore d’un nouvel album. Si ça avait été le cas, je suis sûr qu’il nous aurait convaincu de ne pas le faire, genre « ça donne envie, mais ne ruinons pas notre nom en sortant un nouveau truc. » Et j’aurais été d'accord avec ça. Je suis un idéaliste. Je n’ai jamais voulu que Clash se reforme. J'imagine que ça fait de moi un putain d’hypocrite [

Rires

]. Mike a eu ce qu’il voulait avec cette reformation : l’argent et la crédibilité. On ne s’était pas du tout projetés au-delà de l’été. Bill était dans un trip musical qui l’avait conduit dans les années 20 et 30, aux origines du blues et du rock’n’roll. Il est maintenant de retour avec son mental d’adolescent. C’est un

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born-again

de la New Wave Of British Heavy Metal ! Il a réalisé une boucle musicale, avec un timing parfait. Alors, quand il a soumis l’idée d’écrire un nouveau disque, j’ai été direct partant.

Carcass sont les pionniers de ce qu’on appelle le gore-grind. Vous avez inspiré un tas de groupes à écrire des lyrics absolument dégueulasses. Vous êtes fiers de ça ?

Jusqu’à une certaine mesure, oui. Mais il y a des gens qui n’ont rien compris, qui sexualisent la violence et deviennet hyper vulgaires, au premier degré. Tout ce qu’on a fait avec Carcass avait plusieurs niveaux de lecture. C’est tellement facile d’être choqué, non ? Très facile de dire des choses horribles. Nous on l’a fait avec notre propre sens de l’humour.

C’est quoi le truc le plus affreux que tu aies vu durant Carcass ?

Rien ne me vient à l’esprit. Rien de très horrible. Notre premier album,

Reek of Putrefaction

, était, faute de moyens, tout à fait épouvantable. Il me paraît totalement inoffensif maintenant. La culture est devenue tellement extrême que les gens sont insensibles à tout ce qui est de l’ordre de l’image. Et s’ils veulent voir des choses vraiment extrêmes, ils peuvent regarder des vidéos de mecs se faisant décapiter sur internet. On voit beaucoup de choses médiocres, mais elles ne sont pas forcément choquantes. C'est facile d’écrire des morceaux sur un mec poignardant des meufs dans le vagin, mais c’est juste débile. La vie réelle est bien plus troublante.

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En parlant de vagin, à quoi ressemble une groupie de Carcass ?

C’est plutôt gros et mâle. Tu n’as pas vraiment envie de la ramener dans ton pieu.

Donc à l’inverse de Lemmy et de Gene Simmons, vous n’avez jamais été là-dedans pour la chatte ?

Nah, quel idiot formerait un groupe de death metal pour serrer des meufs, à moins qu’il y en ait dans le groupe ? Tu le fais parce que tu es un putain d’inadapté social et que tu adores l’énergie dégagée par la musique. Les gens de notre génération étaient vraiment immergés dans la musique. On était là, assis dans nos chambres, alors qu'on aurait pu avoir des vies sociales. Triste, non ?

Beaucoup de groupes des années 80 se sont reformés et ont sorti des albums médiocres. Chose qui n’est pas arrivé à Carcass. Surgical Steel est un monstre de brutalité technique. Tout ça s’est fait naturellement où vous vous êtes assis en vous disant : « bon, qu’est ce qu’on va putain de faire ? »

Non, ça a été facile. Si on avait lutté pour le faire, ça aurait été la preuve que ça ne servait à rien. Le processus créatif ne doit pas être un combat. Si c’est le cas, ça veut dire que t’es à court d’idées. En fait, on était pratiquement dans le même état d’esprit que pour notre premier album. On avait la dalle, on avait un truc à prouver. On ne voulait pas trahir notre passé. Je considère Bill comme le meilleur guitariste de notre génération, et dès que je l’entends jouer un riff, je suis comme un fan, ça m’inspire. Certains riffs qu’il a trouvés sur cet album m’ont collé un méchant frisson.

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C’est Dan Wilding, le batteur de The Order of Appollyon et

Trigger The Bloodshed, qui joue sur Surgical Steel. Comment l’avez-vous trouvé ? Il s’est facilement intégré à Carcass ?

Il jouait avec Aborted quand il avait 18 ans, et il nous avait déjà proposer de jouer avec nous, lors de notre première reformation. Bill aimait la façon dont il jouait, alors, lorsqu’on s’est décidé à enregistrer ce nouvel album, le choix s’est fait naturellement. Il convenait parfaitement. Il n’a pas grandi en jouant du Carcass, mais il a su adapter son jeu au groupe. Il est incroyable. Il a 20 ans de moins que nous, mais ce n’est pas un suce-boules pour autant. Il a été déterminant dans la réussite de

Surgical Steel

.

Vous n’aviez aucun deal nulle part quand vous avez commencé à composer l’album ?

Non. Je pense que ça a donné d’autant plus d’impact et de crédibilité à cette reformation. C’était une sorte de

statement

, comme pour dire qu'on faisait ça parce qu'on en avait vraiment envie, et pas parce qu'il y avait une carotte au bout. On aurait facilement pu trouver un label. Mais mon côté cynique savait pertinemment qu’on aurait été en position de force avec du matériel à faire écouter aux gens. On ne voulait pas sortir une merde comme certains groupes qui attendent juste d’avoir leur cachet. J’aime à penser qu’on aurait simplement pu sortir ce disque nous-mêmes, et qu’on se serait fait encore plus de blé. Mais le plus important est que les gens entendent le disque, et la distribution via un label est bien meilleure. Tout n’est pas une question d’argent. J’ai un ego aussi. Je veux voir où cet album se situe dans les charts. Je vois que d’autres très bons groupes sont plus bas que nous, et je me dis : « Eh bien les gars, on vient juste de sortir un putain de bon album. »

Jon Wiederhorn n’a pas choisi d’écrire sur le death metal pour choper des meufs. Mais ce n’est pas si socialement inadapté que ça. Il est sur Twitter - @louderthanhell