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Music

On a discuté musique et cinéma avec Nicolas Winding Refn à l'occasion de la sortie de la B.O. de « Bronson »

De « Pusher » à « Drive », le réalisateur danois a toujours tapé juste rayon bande-son.

De tous les réalisateurs en place aujourd’hui, peu sont capables de jongler entre son et image avec autant de style et de dextérité que Nicolas Winding Refn. Grâce au succès planétaire de Drive en 2011, Refn a accédé aux hautes sphères et il n'est plus possible d'avoir une discussion sur le cinéma sans que la pignole de service vienne vous les briser avec ce Danois installé aux USA depuis le début des années 80. Outre le fait d’avoir relancé la carrière de Kavinsky, Drive a aussi marqué la qualité de curateur de Refn – la bande originale ayant été pressée, repressée et re-repressée jusqu’à atteindre la 31ème du Billboard – et le moins qu'on puisse dire c'est que Drive n’était pas un coup de chance isolé.

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Depuis Pusher en 1996, Refn s’est imposé comme un réalisateur sans compromis, cherchant à casser tous les schémas préconçus, mélangeant tout et son contraire, mais jamais n’importe comment. C’est avec Bronson que Refn a pu tester les limites de cette juxtaposition au rayon musical, en balançant à la fois des morceaux new wave et des pièces de musique classique, créant à l'arrivée quelque chose qui ressemble à un chaos harmonieux. Dès le début du film, le spectateur est soumis à des images ultra violentes au son rêveur de « The Electrician » des Walker Brothers. C’est devenu le plan de référence du film, et Bronson le plus pur exemple de l’« esthétique mixtape » de Refn.

Après avoir travaillé sur plusieurs disques par le passé, Refn a refait équipe avec le label californien Milan Records afin de sortir, pour la première fois, la bande originale de Bronson. On a profité de l’occasion pour demander à Nicolas comment il s’y prenait pour taper aussi juste à chaque fois.

Noisey : Le fil conducteur de tes films a toujours l’air d’être la musique, à quel moment de ta vie tu as pris conscience de l’importance de cet élément dans le cinéma ?
Refn : Depuis que je suis né. J’ai toujours aimé ça. Certaines personnes sont venues à la réalisation par la photographie, d’autres par l’écriture, et d’autres par la musique, comme moi – même si je suis incapable de jouer une seule note de quoi que ce soit. Je n’ai aucune habilité musicale.

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Tu fais partie de ces réalisateurs qui savent parfaitement utiliser de la musique pré-existante dans leurs films, et à partir de là, créer quelque chose d’unique. Comment tu te débrouilles pour trouver le morceau qui collera parfaitement aux scènes de ton film ou à tes personnages ?
Généralement, si la musique est capable de me donner une sorte d’image, cette image fera partie du film. La musique m’aide à définir une image. Je peux écouter un morceau de musique et me dire, « tiens, ce serait parfait pour cette scène parce que ça créera encore plus de sous-texte que s’il n’y avait rien ». Dans Drive par exemple, j’avais eu l’idée, pour la scène de l’ascenseur, de la tourner au ralenti avec le Driver qui éclate la tête d’un mec à l’intérieur, juste après avoir écouté « An Ending » de Brian Eno. Donc la musique est vraiment une source d’inspiration pour moi. Je ne consomme plus de drogues, donc je dois puiser mon inspiration ailleurs. Et la musique est idéale pour mettre les émotions en valeur.

Outre les compositeurs avec qui tu as collaboré, comment t’y prends-tu avec les producteurs ou les superviseurs pour obtenir le son que tu veux ?
C’est très simple, ça ne concerne que moi et mon éditeur, Mat Newman. Mat bosse avec moi sur tous mes films depuis Bronson. On met simplement en commun nos bibliothèques musicales et on essaie différents trucs. Je n’ai jamais employé de superviseur musical. J’aimerais beaucoup hein, mais actuellement, tu vois, j’ai juste besoin d’ouvrir mon iTunes et ensuite je teste le maximum de trucs.

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La B.O. de Bronson me rappelle pas mal celle de 2001, où la musique est presque un acteur à part entière du film. Est-ce que Kubrick t’a influencé pour cette bande-son ?

Alors, ce n’était pas aussi évident que ça, mais probablement plus que

, j’ai été plus inspiré par le boulot de Kubrick avec Wendy Carlos sur

Orange Mécanique

. Cette façon de superposer de merveilleuses références classiques sur des images pour créer une nouvelle sensibilité… avec

Orange Mécanique

, il a révolutionné l’utilisation de ce genre de musique.

Quels autres films et/ou réalisateurs t’ont inspiré côté bande-son ?
La meilleure prouesse en la matière est évidemment Il était une fois en Amérique. Ce mélange orgasmique de musique et d’images est incroyable. Tu te dis juste « Putain, comment on peut faire ça ? » Ensuite, tu as La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo et Ennio Morricone. Il y a aussi Psycho d’Alfred Hitchcock et Bernard Herrman et même si La Mort aux trousses, Fenêtre sur cour et Sueurs froides ont de meilleurs soundtracks, Psycho représente une alliance vraiment unique des deux éléments. Bien sûr, tu as aussi Fellini et les vieux films de Dario Argento, surtout son boulot avec Goblin. Suspiria est merveilleux. Sans oublier évidemment l’oreille de Martin Scorcese. Je me souviens avoir vu Mean Streets, à l’âge de 9 ans, et je me rappellerai toujours de cette scène, quand Robert De Niro débarque sur « Jumpin’ Jack Flash » des Rolling Stones. Je me suis dit « bordel de merde, maintenant je sais comment ça marche. »

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Absolument. Scorsese a en quelque transformé l’utilisation de la musique pop au cinéma.

Ouais, c’est exceptionnel mais tu sais ce qui est bizarre, c’est que tous (que ce soit Kubrick, Scorsese, voire même ce que Pino Donaggio a fait avec Brian De Palma — et on ne parle même du cinéma asiatique et de du rôle des compositeurs japonais), tous ont été inspirés par le même film :

Scorpio Rising

de Kenneth Anger. C’était la première fois qu’un cinéaste utilisait de la musique pop de son époque pour souligner les émotions de son film. C’est intéressant de voir que tout revient à ce film.

Finalement, la composition d'une bande-son a l'air d'être un exercice très libre pour toi, que tu collabores avec un musicien ou non.

J’adore bosser avec Cliff [Martinez]. Vraiment. Je pense qu’il apporte autant de choses au film que n’importe quel acteur le ferait ; c’est un élément déterminant, il élève les films. J’adore aussi sélectionner des chansons que j’écoute pendant que je développe un film et finir par les utiliser. Parfois ça ne fonctionne pas, d’autres fois si. J’adore faire des combinaisons mais le plus important c’est qu’il y ait un fil rouge, il ne faut pas en mettre partout. Il n’y a rien de plus désagréable que lorsque la musique devient un simple arrière-plan.

Pour rester sur Bronson, il y a une sorte de clash entre la new wave et la musique classique dedans, c’était nécessaire pour ce film ?
Bronson était un film très autobiographique. J’étais ado dans les années 80, voilà d’où vient mon identité musicale, de New York, j’ai toujours adoré le son abrasif et synthétique. Ce qui est intéressant là-dedans c’est que ce son était moderne mais composé de manière classique. Ca consistait à créer des mélodies avec des instruments qui allaient se substituer au violon, par exemple. Tu pouvais même le manufacturer, un peu plus tard, donc tu n’avais même pas besoin de savoir comment te servir d’un synthé du moment que tu arrivais à en sortir des mélodies. Tout le monde avait les mêmes opportunités. Bronson est vraiment un mélange de la musique avec laquelle j’ai grandi et de la nature classique de son lyrisme. Depuis, j’utilise quasiment que de la musique électronique.

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Tu aimes toujours débusquer de nouveaux groupes ?
Je le fais tout le temps. Je ne suis pas de ceux qui connaissent chaque nom de chaque artiste et de chaque morceau, mais je suis capable d’entendre un truc à la radio ou de voir un truc chez un disquaire et de me dire « j’aime ça ». J’ai une habitude, chaque fois que je suis à Londres, je vais chez Rough Trade et j’achète des tas de CDs d’artistes inconnus, ensuite je vois ce que j’arrive à en tirer. C’est comme jouer aux dés. Parfois ça tourne comme tu veux, d’autres fois non. J’aime tout, et si je ne suis pas capable de comprendre un truc, je trouve toujours un moyen de le définir.

C’était un choix esthétique ou financier de tourner Bronson sans compositeur ?
Esthétique. Je n’avais pas besoin de compositeur pour ce que je recherchais. J’ai rencontré les Pet Shop Boys en leur demandant s’ils étaient partant pour composer, en gros, prendre les références musicales des influences classiques et en faire quelque chose de nouveau, ils m’ont répondu « certainement, mais tu n’aurais pas le budget pour nous » [Rires] et c’était vrai. Mais ils ont été très sympas avec moi et m’ont laissé utiliser une de leurs chansons.

La façon dont tu utilises la musique met toujours le son en conflit avec l’image, c’est ce contraste qui t’inspire ?
Tout est une question de contraste. J’aime cette zone floue entre le sexe et la violence, entre la démence et la normalité, entre la romance et la peur. Je n’aime pas l’entre-deux. J’aime les extrêmes, et j’aime différents extrêmes en même temps parce que ça m’évoque des émotions qui ne sont pas identifiables. Ca devient plus subliminal, le subliminal conduit à la pénétration ; la pénétration conduit à l’expérience ; et l’expérience conduit à la réflexion.

Ta collaboration avec Milan Records marque l’importance de plus en plus accordée au rôle du soundtrack. Et je crois aussi que ça a un effet positif sur le futur de la composition, surtout avec des sorties comme It Follows. C’est pour cette raison que tu fais en sorte de sortir physiquement toutes tes B.O. ?
Ouais, et surtout parce que c’est un combo fantastique. Que ce soit It Follows, qui est un superbe film avec une superbe bande-son ; Robocop (dont je m’occupe aussi avec Milan) ; Battle Royale, dont le mélange son et musique est imparabale ; ou The Dead Zone qui est ce que Michael Kamen a fait de mieux, la musique parle à nos émotions, c’est une part indéniable de notre création. Alors pourquoi ne pas l’exploiter au maximum.

La bande-originale de Bronson est désormais disponible sur Milan Records