FYI.

This story is over 5 years old.

Music

« Beyond Clueless » s’annonce comme la nouvelle bible du teen movie

La chanteuse de Summer Camp et le réalisateur Charlie Lyne ont discuté longuement de la décennie 90, la plus prolifique en matière de films pour ados.

Les films qu’on voit quand on est ados nous marquent à vie. On s’identifie à tout ce qui sort de l’écran : on tombe amoureux de certains personnages, on s’habille comme eux et on écoute les morceaux dont ils parlent ou la bande-son des films, pour les plus flemmards. Chaque génération a ses films de prédilection. Vous êtes plutôt John Hughes ? American College ? Vous avez monté une radio après avoir vu Pump Up The Volume ? Les dialogues de Fatal Games n’ont aucun secret pour vous ? Vous êtes fiers de posséder tous les volets d’American Pie, même les productions affiliées ? Chronicle vous a mis une claque ? Vous venez de créer un tumblr dédié à Cher Horowitz de Clueless ?

Publicité

Ne bougez pas, Beyond Clueless, un documentaire de Charlie Lyne sorti fin janvier au Royaume-Uni (pas encore de date pour la France), replonge dans tous les films qui ont marqué sa jeunesse, et la votre. 89 minutes qui retracent une des décennies les plus prolifiques du cinéma pour ados : 1994 - 2004. Sa bande-son a été réalisée par le duo anglais Summer Camp, dont je fais partie. Travailler sur ce film a été une grande joie puisque toute cette phase nostalgique et romantique de l’existence a directement influencé et influence toujours notre musique. Même si nous ne sommes plus des teenagers, on est toujours captivés par ce mélange de passion et de naïveté.

Depuis nos premiers échanges avec Charlie Lyne il y a deux ans, le film a beaucoup évolué. Je m’attendais plutôt à un truc comique mais j’ai revu ma copie quand j’ai reçu les premiers rushes du film : bordel, c’était une véritable œuvre d’art ! Sérieux, élégant, léché, enfin le document que méritait cette étrange décennie qui marquait « la fin de tout et le début de quelque chose ». Et dans le rôle de la narratrice : ni plus ni moins que Fairuza Balk, l’actrice marquante de Dangereuse Alliance et American History X !

On a discuté longuement avec Charlie, de la pertinence de Save Ferris et John Hugues en 2015, de Tumblr, de sa rencontre avec son idole, de fringues, de féminisme et de l’impact qu’a eu la tuerie de Columbine sur le teen movie contemporain.

Publicité

Elizabeth Sankey : Ca nous a fait extrêmement plaisir de faire la B.O. du film, vraiment. Mais une question me taraude : pourquoi n’as-tu pas opté pour une musique plus proche de l’époque, avec des trucs comme Save Ferris ou Mighty Mighty Bosstones ?
Charlie Lyne : J’avais en tête, autant pour le soundtrack que pour le film, de remplir deux critères spécifiques : évoquer différentes caractéristiques spécifiques des teen movies, mais aussi prendre du recul et faire allusion à tout ce qui n’allait plus dans ce monde. Mighty Mighty Bosstones auraient peut-être répondu au premier critère, mais je doute qu’ils auraient pu apporter quelque chose au second. Alors que Summer Camp a su se créer un propre univers, qui peut parfois atteindre un côté un peu sordide.

Au niveau du style vestimentaire, j’ai l’impression qu’avant, on s’habillait en fonction de ce qu’on voyait dans des films comme Empire Records et Clueless. Aujourd’hui, les ados s’habillent avec ce qu’ils voient sur Tumblr.
Je me demande si le fait que les ados imitent souvent ce qu’ils voient dans les films donne aux réalisateurs la possibilité de faire ce qu’ils veulent. Ils doivent se dire « Bon, aujourd’hui ça n’aura pas énormément d’impact mais quand le film sortira en DVD, ça influencera assez de jeunes de quinze ans pour que l’effet soit réussi. » Les teen movies représentent à la fois un cercle vicieux et vertueux qui informe sur la culture des ados et se base sur ce qu’est la culture ado. Mais, comme tu dis, c’est de moins en moins vrai car des sites comme Tumblr proposent aux teens des millions d’autres définitions de l’adolescence.

Publicité

En fait, à l’époque, et contrairement à aujourd’hui, personne ne s’habillait comme dans Clueless, J’ai du mal à trancher, à savoir si ces films reflétaient vraiment ce qu’on était en tant qu’ados ou en livraient une représentation fantasmée. Il y a des trucs que tu as vus au ciné qui t’ont vraiment marqués ?
Les films avec lesquels j’ai grandi mettaient en avant des mecs super drôles mais dont on ne voulait pas s’inspirer. Quand tu vois le style de Jim dans American Pie, par exemple, tu ne veux surtout pas ressembler à ça ! Dans ces films, c’est l’anxiété inhérente à l’adolescence qui ressort souvent, les réalisateurs ne cherchaient pas forcément à nous présenter ces gars comme des modèles. De Pump Up The Volume jusqu’à la fin des années 90, il n’y a pas eu de « nouveau Christian Slater ».

Fairuza Balk est la narratrice de ton film. Tu te sentais comment avant d’aller enregister au studio avec elle ?
J’étais terrifiée. Surtout au sujet de cette narration qu’on ne pouvait strictement plus modifier après l’enregistrement. Donc les peurs que j’éprouvais à l’idée de la rencontrer, et le souhait de rester pro, étaient amplifiés par l’angoisse d’avoir quelque chose que je ne voulais pas dans la narration.

Comment s’est passée la rencontre ?
Fairuza est comme à la télé mais c’était super bizarre. J’ai essayé de la jouer professionnel mais au son de ma voix, elle a bien dû voir que j’étais super excitée. Comme toute l’équipe d’ailleurs. Et j’étais en quelque sorte l’ambassadrice de tout cet enthousiasme et cette excitation. La veille du départ, j’avais fait encadrer une superbe illustration de Fairuza qu’avait fait Hattie Stewart. Ca lui a énormément plu, elle était très reconnaissante. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, elle voulait faire imprimer l’illustration sur des T-shirts. Mais sur le moment, j’ai vraiment dû passer pour une méga-fan attardée ! Je lui ai même offert vos albums. Tout le monde m’avait donné tellement de cadeaux à lui transmettre.

Publicité

Donc elle a fait l’enregistrement et… ?
Et elle est partie avec un sac plein de cadeaux. Je ne sais pas si elle a écouté vos álbum par contre…

Oh, pas grave.
Elle ne l’a probablement pas fait. Elle les a sûrement aussitôt donnés à une boutique de bienfaisance.

Oui, à ces magasins de LA.
Ils doivent être dans une friperie à l’heure qu’il est.

fairuza balk beyond cluless

Fairuza Balk tenant son portrait-libre réalisé par l'équipe du film.

On a tous des films fétiches avec lesquels on s’est construit.
Oui, à l’époque, je pensais que les films que je regardais allaient m’apprendre la vie et me montrer ce qu’était vraiment le monde. Aujourd’hui, je réalise qu’en fait, la manière que j’avais de percevoir les choses dans ces films m’en apprenait surtout plus sur moi. Je me rappelle qu’à 14 ans, j’ai vu The Girl Next Door et c’était passionnant pour plusieurs raisons. Je me disais : « ok, je suis comme ce gars : frustré sexuellement et pas sûr de moi. Peut-être que quelqu’un va arriver, me fouetter les pieds et m’ouvrir sur le monde ! » Quand je revois ce film aujourd’hui, je le trouve surtout bizarre et misogyne. Quand t’es ado, tu mates ces films sans y réfléchir profondément, ça les rend encore plus puissants et c’est encore plus flippant de les regarder à nouveau.

La pop culture de l’époque que tu décris dans ton film est un peu dépassée aujourdhui. Il n’y a que des blancs, tout le monde est hétéro, on naborde à peine le transgenre, ou alors implictement comme dans Toi, c’est moi.
Je suis assez d’accord avec l’idée d’envisager Toi, c’est moi comme un film trans. C’est indéniable, les jeunes ont de gros problèmes avec ça. Certaines personnes considèrent que Beyond Clueless est sexiste, raciste ou encore homophobe, et c’est dur de répondre à toutes ces attaques. On fait plein d’allusions au sexisme, à l’homophobie et au racisme. Mais comme on ne condamne pas directement ces phénomènes, les gens pensent qu’on ne les aborde pas du tout. Je ne crois pas que prendre ces sujets au premier degré et les aborder frontalement soit la bonne solution car dans toute « œuvre engagée » la philosophie de l’histoire en pâtit. L’implicite est plus intéressant.

Publicité

Toujours est-il qu’on peut regarder ces films et les aimer, même s’ils ne reflètent pas du tout la réalité. C’est la force du cinéma.
Récemment, lors d’un débat, des gens ont dit ne pas aimer Shes The Man car c’était un film homophobe, et que la pièce dont il était tiré, La nuit des Rois de Shakespeare, n’avait rien d’homophobe. Mais ça vous choque que ce film qui transpose l’histoire de Shakespeare dans un lycée américain en 2006 aborde ce thème ? Je me souviens que lorsque j’étais en cours, dans le sud de Londres, deux de mes camarades avaient annoncé ouvertement qu’ils étaient gays. Et quoi ? Il n’y a pas eu de soulèvement à l’école. Pourtant le terme « gay » semblait toujours toucher un interdit. Il est logique que ces films de dépeigner ces situations et de s’interroger sur ces phénomènes, mais je ne sais pas si c’est le le rôle de ces films de servir d’exemple en représentant un monde idéalisé où ces choses n’existent pas.

Carrément. Dans 21 Jump Street (trop récent pour figurer dans Beyond Clueless), Channing Tatum et Johan Hill retournent à l’université en pensant que rien na changé. Mais ils ont tout faux, les gays s’assument, les sportifs s’entraînent dur et défendent l’environnement. C’est un peu pervers mais j’ai trouvé ça dommage qu’aujourd’hui, le monde retranscrit dans les anciens teen movies ne soit plus le même.
Mais dans 21 Jump Street, on voit aussi que les différentes cliques sont toujours présentes, elles ont juste évolué. J’aime les teen movies qui balayent tout ce qu’on a pu voir précédemment pour nous montrer un monde parsemé d’embuches, pas idéalisé du tout. C’est brillant de dire « Tu sais quoi ? Être gay n'est plus un problème chez les ados d’aujourd’hui. Ça, c’était il y a 20 ans. Alors vous pouvez prendre vos films de John Hughes et les renvoyer dans les 80’s, car aujourd’hui, que vous le vouliez ou non, les gays existent. »

Publicité

Tu n’aimes pas les films de John Hughes ?
Si, mais je ne les montrerai pas à mes enfants quand ils seront ados.

Pourquoi ?
Je préfère laisser faire mes enfants, je leur donnerai ce qu’ils veulent. Beaucoup de gens qui ont grandi avec ses films m’ont dit « J’ai montré Breakfast Club à mon fils de 13 ans et maintenant il est d’accord pour dire que c’est le meilleur teen movie jamais réalisé. » Hey, ce film n’est pas un passage obligé, ni un truc « ultime ». Montrez leur plutôt des choses récentes comme Chronicle ou Nos Etoiles Contraires. Même John Hughes a dit que ses films étaient destinés aux ados.

C’est le premier réalisateur à avoir fait ça.
Il n’aurait sûrement pas voulu que ses films deviennent des symboles intouchables pendant des générations et des générations. Les teen movies devraient avoir une date de péremption d’ailleurs. Dans Pitch Perfect — et Dieu sait à quel point j’aime ce film— il y a une scène où le mec attiré par Anna Kendrick la fait s’assoir, lui montre Breakfast Club et lui sort avec beaucoup de sérieux : « C’est tellement beau et triste en même temps. » Sérieusement. Un américain de 19 ans ne dirait jamais ça aujourd’hui.

La première fois que j’ai vu Breakfast Club, j’étais dans l’incrédulité totale. Je l’ai regardé avec plusieurs personnes qui ont toutes été chamboulées. Je me suis dit que le problème venait de moi car je n’ai strictement rien ressenti
Pourtant, ça représente tous les ados ! À condition qu’ils soient blancs, hétéros et qu’ils appartiennent à l’une des cinq cliques représentées dans le film.

Publicité

Je dois quand même avouer que le reste de sa filmographie m’a plu, et m’a rappelé la beauté de l’adolescence. Mais bon, les teen movies ne devraient pas être reconnus par les adultes et diffusés dans les cinémas d’art et d’essai.
Lors de leur sortie en salle, les films de John Hughes étaient de bons films pour ados et en portaient toutes les caractéristiques, malgré les différents articles de l’époque de type « Ils fument de la weed, nous devrions bannir ce film. » Comme tous les teen movies, avec le temps, ces films ont tendance à ne plus parler qu’aux adultes à qui ils s’adressaient à l’époque. Ce qui est normal, sinon nous devrions tout arrêter tout de suite.

Summer Camp en live.

C’est marrant de voir à quel point ces films ont pu éduquer les ados. Je matais Dangereuse Alliance en secret, on me l’avait interdit à cause de la scène de viol. À l’époque je ne savais même pas ce que c’était. Le truc dingue avec ce genre de films c’est qu’une fois que tu as le thème central — et la reine du bal à la fin— tu peux moduler l’histoire et lemmener où tu veux.
Oui, surtout avec un truc qui sort de nulle part comme cette tentative de viol, un acte violent qui a encore plus d’impact quand tu le vois à un âge où tu te sens en sécurité. Si tu en parles encore quinze ans après, c’est que la scène t'a marqué.

J’ai l’impression que les teen movies ont beaucoup changé depuis la tuerie de Colombine et les attentats du 11 Septembre. Tu es d’accord ?
C’est vrai, ces événements ont clairement eu un impact. En temps normal, le monde est à des années lumières des préoccupations des teen movies, mais ce qui s’est passé à Colombine par exemple, ou la mort de Kurt Cobain, ont certainement eu un impact sur le succès du film. Il n’y a pas longtemps, je me demandais si le problème du viol dans les campus universitaires — qui concerne essentiellement les ados ou les jeunes adultes— serait un jour abordé dans ces films, qui passent souvent à côté. C’est désormais un problème de notoriété publique donc il serait temps d’en parler.

Publicité

Je me demande comment le féminisme va être abordé dans le teen movie, surtout qu’il a pris une ampleur considérable auprès des jeunes filles, ce qui n’était pas forcément le cas en 1999.
Ok, c’est un film plein de défauts, mais Easy A est bluffant parce qu’il reconnait l’existence de certaines idées féministes au sein des différentes communautés d’ados d’aujourd’hui. Même si dans la manière d’aborder les choses, le film est un peu vieillot, il a eu un impact énorme. À sa sortie en 2009, tout le monde en parlait alors que 100 Girls, qui est sorti en 2000, n’a pas marché du tout.

Ça a l’air pas mal comme film.
Ça a l’air super bien même non ? Ca parle de 100 filles qui cherchent à en finir avec l’autorité parentale. Non, je plaisante. C’est l’histoire d’un ado qui couche avec une fille dans un ascenseur plongé dans l’obscurité, qui se réveille seul et qui cherche à retrouver la fille avec qui il a perdu sa virginité parmi les 100 filles de la fac. Mais ce qui est vraiment étrange, c’est la campagne anti-féministe menée par le personnage principal. À la fin, on le voit faire un long discours pour dire que nous n’avons pas besoin des féministes mais de gens qui se battent pour l’égalité de tous. C’était une bonne initiative en 2000, ma is aujourd’hui, ça ne veut plus rien dire.

beyond clueless

Le public teen de Beyond Clueless.

J’ai été impressionnée par les réactions provoquées par Beyond Clueless. Les gens sont venus aux séances habillés en jupes à carreaux, en vestes de baseball et autres tenues caractéristiques des films d’ados. Le public avait l’air vraiment à fond.
Oui. Les films pour ados sont très populaires et ils ont quelque chose de très intime en même temps, ce qui est assez rare. Un teen movie numéro un au box-office peut te toucher très profondément, comme si ce film avait été fait pour toi. C’est assez incroyable d’ailleurs. Mais il y a quelque chose de passionnant dans l’idée de rassembler les gens dans un même lieu pour regarder Beyond Clueless. On a l’impression de casser les codes en transportant les gens d’un lieu intime à un cinéma. Mais en même temps, voir ces 200 personnes communier devant un film, ça a été une révélation. Une partie de moi voudrait demander à chaque personne ce qu’elle espérait en venant à la projection. J’imagine que beaucoup m’auraient répondu la même chose: « Je pensais être le seul à avoir autant apprécié Idle Hands. »

Elizabeth Sankey est sur Soundcloud et sur Twitter Soyez bien sûrs d'ajouter Ultraculture, le site de Charlie, à vos favoris.