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Music

Arno : « Si on vivait dans un monde parfait, je serais dans la merde »

Le Flamand claudiquant nous parle des Kinks, de sa grand-mère, de sa fascination pour les cocus et de son nouvel album, « Human Incognito ».

Un accent flamand à couper au couteau, des journées promo découpées en rondelles de salami industriel, une fatigue qui commence à sérieusement attaquer un Arno qui sirote un Coca light dans un hall d’hôtel parisien avant de partir gratter quelques morceaux dans un magasin de la capitale : les rapports aux médias ne sont pas de tout repos pour le chanteur du Plat pays qui soufflera ses 67 bougies au printemps, après un trente-quatrième album,

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Human Incognito

, paru en début d’année. Un titre tout aussi codé que son précédent,

Retro Vintage

, qui prouve qu’à défaut de trouver des réponses, le chanteur se pose de plus en plus de questions à mesure qu’il descend le grand fût à bière de l’existence.

De là fleurissent des expressions savoureuses plus drôles à l’oral qu’à l’écrit au cours d’une discussion parfois sans queue ni tête mais toujours avec beaucoup de cœur, expédiée en vingt-deux minutes, à une liste de question sûrement trop gourmande pour l’exercice autorisé ce jour-là. La prochaine fois, ce sera autour d’une cargaison d’Extra Export Stout avec la soirée entière pour lui laisser le temps de refaire un monde où il fut autrefois cuisinier de Marvin Gaye dans sa ville natale d’Ostende, et amoureux transi des Kinks dans une Angleterre qui le narguait de l’autre côté de la Manche. Ou ça ne sera pas.

Noisey : Pour ce nouvel album, vous avez décidé de retravailler avec le producteur John Parish comme sur Retro Vintage, le courant passe donc bien avec lui ?

Arno :

Oui, on se comprend bien sans même avoir à beaucoup se parler. Côté musique, on ressent les mêmes choses. Là, j’ai cherché un son plus organique que sur les disques précédents et j’ai trouvé une ingénieure du son, Catherine Marks, qui a été super vu que je voulais travailler vite. L’album a été enregistré en une semaine dans les studios ICP de Bruxelles que je connais par cœur, où il y a encore les vieux micros d’il y a trente ans. Ensuite, on est partis le mixer chez John à Bristol, une ville que j’adore.

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Ne me dites pas qu’il y fait meilleur temps qu’à Bruxelles.

Ah non, mais il y a un truc là-bas, les gens sont super sympas, il y a une atmosphère. C’est une ville très musicale avec beaucoup de groupes depuis Massive Attack et Portishead. Le graffiti y a une place importante, et puis c’est aussi une ville très étudiante.

Elle vous rappelle votre ville d’origine, Ostende ?

Oui, pour les mouettes. Les mouettes. Quant à l’atmosphère, Bristol rappelle aussi Gand. Mais le plus important, ça reste le studio de John, son matériel. J’avais un type de son en tête que j’étais incapable d’obtenir techniquement et John et Catherine ont bien compris ce que je voulais.

Au niveau de l’inspiration, j’ai ressenti une forme de mélancolie, voire de résignation chez vous vis-à-vis du monde actuel.

C’est possible car j’éprouve sûrement une sorte de nostalgie même si j’ai horreur de ça. Ces dernières années, j’ai bien dû admettre que je devais me confronter à un monde d’aujourd’hui plein de conservatisme. Je suis issu d’une génération dont le père a vécu une guerre mondiale alors que mon grand-père en a vécu deux. Ma famille est allée se réfugier en Angleterre durant la dernière guerre quand les Allemands ont envahi la Belgique. Ils ont mis toutes leurs affaires dans un bateau pour se mettre à l’abri. Mon père a ainsi fait son service militaire dans l’armée anglaise en pilotant des Spitfires.

Moi, je suis de la première génération à n’avoir pas vécu de guerre. Et c’est la première fois que des jeunes créaient leur propre musique, leur mode, leur culture… Je suis né de tout ce bazar qui est issu d’une révolte contre le système alors qu’il n’y avait pas de crise identitaire dans les années 60. Maintenant, on aurait besoin d’une vraie révolte, plus qu’à cette époque, mais tout le monde est en train de dormir.

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C’est vrai que ça ne se bouscule pas au rayon protest-singers dans le rock actuel.

Je dis souvent qu’il y a plus de rock’n’roll dans un salon de coiffure qu’ailleurs. Pourtant, les jeunes sont encore plus touchés par le chômage que sous Margaret Thatcher, ils font des études pour des métiers qui n’existeront peut-être plus dans cinq ans.

Au vu de l’histoire de votre famille, les crises migratoires vous touchent aussi ?

J’ai vécu ça quand j’étais jeune, mes parents parlaient de devoir affronter une guerre. Ça me colle comme un drame, ils en parlaient tout le temps dans ma jeunesse. Je ne l’ai pas vécu mais tout me revient. Aujourd’hui, on est comme dans les années 30. Comme je le dis, notre génération a vécu « avec notre cul dans le beurre ». Ou dans les nouilles, comme tu veux.

En chantant vouloir « vivre dans un monde sans papiers, où les riches et les pauvres n'existent pas », vous tombez carrément dans l’utopie.

Le souci, c’est que vivre dans un monde parfait me mettrait dans la merde. Pourquoi ? Parce que je n’aurais plus d’inspiration, et que c’est l’être humain qui me donne de l’inspiration, grâce à tout ce qu’il se passe dans le monde.

Donc si le monde allait bien, ce serait la fin des cacahuètes pour votre inspiration ?

Exactement. C’est compliqué mais c’est vrai. Quand on remonte aux années 30, beaucoup de choses sont apparues, comme le surréalisme. On peut espérer qu’aujourd’hui, un nouveau mouvement underground se prépare.

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Avec TC Matic, vous chantiez il y a 35 ans « Putain putain, c’est vachement bien, nous sommes quand même tous des Européens ». Vous y croyiez vraiment à l’Europe ou il y avait déjà une part d’utopie, voire d’ironie ?

C’était un peu tout ça à la fois. L’Europe existe encore mais dans cinq ans, je ne sais pas, surtout quand on voit tous les partis extrémistes qui s’y opposent. J’habite Bruxelles qui est la capitale européenne et je vois bien tous les Européens qui travaillent là. Je vis avec eux. Et comme on dit, « quand on vit avec un chien, on attrape ses puces ». Mais sans l’Europe, la Belgique n’existe pas.

On parle d’Europe mais c’est quand même le rock et le blues américains qui vous ont le plus marqué culturellement.

A seize ans, j’étais fan des Kinks et un jour, un jeune prof m’a donné cinq disques : Fred McDowell, Sonny Boy Williamson, Muddy Waters, Howlin’ Wolf et Robert Johnson. Il m’a dit : « Ecoute les tous. Tu aimes les Rolling Stones ? Eh bien ils leur ont tout pris ». Et c’est vrai. Le blues, c’est la base de tout, du jazz et même de la techno. C’est très bizarre parce que quarante-huit ans plus tard, j’ai eu un coup de téléphone. « Allo, my name is Ray. Ray Davies ». C’était Ray Davies des Kinks qui m’appelait pour chanter un titre avec lui. Et je l’ai fait pour son prochain disque, c’est fou non ?

Mais mon influence, c’est aussi le blues effectivement, en particulier quand j’ai commencé la musique avec le groupe Freckleface. Dans les années 70, je suis allé en Amérique pour la première fois, à New York et Los Angeles. Là-bas, j’ai ressenti un truc et je me suis dit : « Mais je suis un Européen ». Ensuite j’ai joué dans le groupe Tjens Couter dont les disques se sont retrouvés dans le juke-box du CBGB, le club punk rock culte de New York. Quand j’y suis revenu, j’ai encore ressenti que j’étais européen, que j’avais une autre culture plus riche que celle des Américains. C’est là que j’ai formé le groupe TC Matic sur un son très européen, une sorte de mélange de blues et de krautrock. La Belgique est proche de l’Allemagne et on s’inspirait de groupes comme Can. J’ai d’ailleurs travaillé avec Holger Czukay, son bassiste.

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Finalement, vous avez partagé des inspirations assez proches de celles d’Alain Bashung qui était votre grand ami ?

Oui, déjà il a toujours pris mes musiciens. Et puis il a aussi beaucoup enregistré au studio ICP, il habitait d’ailleurs à Bruxelles.

Concernant Bruxelles, les attentats de novembre à Paris vous ont aussi fait mal à votre ville ?

Les conséquences ont été pires à Paris qu’à Bruxelles… mais il faut faire attention à ce que racontent les médias. Un samedi soir il y a trois semaines, un journaliste hollandais faisait un direct à la télévision dans la rue, juste en bas de chez moi. Je regarde ça. Et le gars raconte qu’il est là, et que tous les bars et restaurants du quartier sont fermés, là, à 18 heures. Et c’est totalement faux, du grand n’importe quoi. Le temps que je descende, le gars était parti. Le problème, c’est que pépé et mémé prennent ce que dit la télé pour la vérité. Il faut faire attention.

Dans la chanson

«

Santé

»

, vous évoquez « les cocus du monde entier », c’est une image pour tous ceux des médias ou de la politique ?

Pas du tout, c’est une chanson d’amour qui parle des cocus quand ils sont amoureux. Alors oui, ça pourrait parler des cocus au sens large. Mais en fait, non, on ne peut être cocu que quand on est amoureux. Et tu ne peux pas imaginer comme ils sont nombreux, les cocus !

J’aime beaucoup le morceau

«

Never Trouble Trouble

»

qui est assez nerveux, c’était quoi l’idée ?

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Ça vient de ma grand-mère. Elle disait toujours « never trouble » : il ne faut pas créer de problèmes car ça va te retomber dessus. Et elle avait raison. D’ailleurs, beaucoup de phrases des anciens de chez moi me sont revenues des années plus tard et m’inspirent. Toutes celles de ma grand-mère me reviennent par flash. Mon inspiration vient des êtres humains. Sans eux, je ne suis rien.

J’imagine que ce n’est pas elle qui disait « I’m just an old motherfucker ».

Elle aurait aussi pu le dire ! Mais c’était une femme, donc plus compliqué pour elle. Non, cette déclaration, c’était pour dire que j’étais né vieux mais que j’allais crever jeune. Mais je ne veux pas crever maintenant parce que les fleurs sont trop chères. Je pense donc aux autres.

Vous restez toujours aussi attentifs aux autres musiques ?

J’aime la musique et j’en écoute toujours aussi pour ne pas copier les autres.

Ah, souvent c’est l’inverse chez d’autres artistes qui préfèrent ne plus rien écouter pour ne pas risquer d’être trop influencés.

Je suis très curieux et ne veux pas copier, ce serait trop compliqué d’être accusé de copier.

Tout à l’heure je parlais de Bashung et la scène avec vous deux dans le film J’ai toujours rêvé d’être un gangster (2008) reste mythique. C’était de la pure improvisation ?

On avait reçu le scénario mais le jour du tournage, on nous a dit d’oublier le texte. On a donc improvisé et ça a donné ce résultat. Mais j’ai pas vu le film. Ce serait bien que je le voie.

Pascal Bertin est Européen, il est sur Twitter.