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Music

Arabian Prince est le grand absent de « Straight Outta Compton »

On a demandé au pionnier de l'electro-funk et membre originel de N.W.A. si ça l'ennuyait de ne figurer dans aucune scène du film.

Une boîte à rythme TR-808, une coiffure étudiée pour aimanter les rates et un pseudo solide : voilà ce qu’il vous fallait à L.A. en 1984. C’est ce que le fils maudit de Kraftwerk, Parliament et Rick James (formule ridicule en soit, car jusqu’à preuve du contraire, 2 ou 20 êtres humains mâles ne peuvent pas encore enfanter) avait compris en prenant le surnom The Arabian Prince, après avoir zoné un peu trop longtemps aux côtés de son homie The Egyptian Lover. Dès l’âge de 18 ans, Kim Renard Nazel (son deuxième prénom ne s’invente pas) faisait ses premières scènes au sein d’une troupe de rappeurs-comiques nommée Bobby Jimmy & The Critters avant de sortir ses premières bombes electro-funk en réponse directe à la Miami bass. Une bande-son à 130 bpm destinée à pécho qui n’a pas tardé à remplir les salles et à faire un carton en radio (grâce à Greg Mack, DJ de la station K-Day qui popularise le genre mutant dès 1983).

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Tout se bouscule en 1985 pour celui qui se fait également appelé Professor X. Après deux maxis bien sentis, il rencontre des voisins de Compton, le World Class Wreckin’ Cru. Dre et Yella sont des types comme lui, des mecs doués, un peu nerds, et qui ont des projets. Mais il leur manque la thune, alors ils ajoutent Eazy-E dans l’équation, qui n’a pas besoin de faire du rap pour en gagner, si vous voyez le topo. Ils embauchent en prime un mec du groupe C.I.A., un certain Ice Cube, et c’est parti pour le club des 5 sous le nom de N.W.A. avec un premier missile : « Panic Zone ». Les pieds sont dans le plat mais Arabian Prince est rusé, il se méfie de Ruthless Records et continue à bosser à côté pour le girl-band JJ Fad. Bonne pioche, le trio sera nominé aux Grammys et vendra un million de « Supersonic ». Voyant qu’il peut se faire plus de blé ailleurs que dans NWA, dont le compte en banque semble verrouillé par leur manager Jerry Heller, il quitte le groupe juste avant la sortie de Straight Outta Compton à l’été 1988.

De gauche à droite : Arabian Prince, Diplo, Ren, Dre, Cube, Eazy.

Voilà pourquoi, malgré son rôle déterminant dans l’aventure Niggaz With Attitude, vous ne verrez le Prince Arabe dans aucune scène du film de F. Gary Gray sorti hier (un film qui tait encore beaucoup de choses). L’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, ouais. Mais Kim Nazel est loin d’être un perdant. Le type s’est toujours intéressé à la technologie, il a appris à programmer, s’est pris de passion pour ColecoVision dans les 90’s et est devenu testeur de jeux vidéo. Il est aujourd’hui à la tête de sa propre boîte, Hypnotic FX, qui a produit des films d’animations en Corée et des effets spéciaux pour des films comme Independence Day. Et attention, il travaille actuellement sur un album EDM « avec des gros noms, un truc top-secret. » En attendant le machin, on lui a demandé si ça le faisait chier d’avoir été mis de côté de la sorte par ses anciens potes et pourquoi tous les mecs de l'electro étaient obsédés par le Moyen-Orient.

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Noisey : Des tas de fans se sont empressés de t’écrire sur Twitter pour exprimer leur incompréhension suite à ton absence du film Straight Outta Compton, ça t’a touché toute cette attention ?
Arabian Prince : Oui, bien sûr. Les gens m’envoient des messages tous les jours depuis la sortie du film. J’apprécie vraiment tout cet amour qu'on me transmet, que ce soit de la part de ceux qui me suivent depuis toujours ou de ceux qui viennent de me découvrir.

Bon alors, pourquoi ils t’ont zappé du film ? Ca t’a fait mal que ton rôle dans l’histoire du groupe soit réduit à néant ?
J’ai ma théorie concernant mon évincement du film, c’est certainement dû aux démêlés judiciaires que j’ai eu avec Ruthless Records par le passé, au sujet des royalties et des droits d’édition. Si c’est une histoire de vengeance de la part de Tomica Woods-Wright [veuve de Eazy-E et productrice du film] envers nous, c’est bien con. Dre et Cube en savent sûrement plus que moi, en tous cas, personne ne m’a contacté ni quoi que ce soit. Pour ce qui est de me sentir mal, ce n’est pas du tout le cas. J’ai quitté le groupe à l’époque parce qu’on n’était pas payés correctement, donc j’ai été mis de côté pendant des années. Le seul truc étrange c’est de voir que dans certaines scènes du film, j’étais présent au moment des faits, mais je suis totalement invisible à l’écran.

Parle-moi des débuts du groupe, comment as-tu sauté le pas de Bobby Jimmy & The Critters à N.W.A. au milieu des 80’s ? Et ce nom, il vient d’où ?
Le nom Arabian Prince vient en fait d’une meuf lambda que j’avais rencontré au cours d’une soirée où j’étais DJ, à l’époque on organisait plein de trucs avec mon poto Egyptian Lover. D’ailleurs on fait toujours de la musique et des tournées ensemble. Bref, on se sapait comme Prince et à cette période, le look Prince/Michael Jackson était la tenue idéale pour ramasser des meufs. La fille en question m’avait dit que ce serait cool si je me surnommais Arabian Prince parce que je traînais tout le temps avec Egyptian Lover, et qu’on faisait la paire. Il n’y avait pas vraiment de fascination pour le Moyen-Orient de notre part, c’est juste ce que les meufs kiffaient, lol.

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Pour ce qui est des Critters, jai connu Bobby Jimmy grâce à Russ Parr, quand j’ai sorti mon premier disque [Strange Life] sur son propre label [Rapsur Records]. J’ai ensuite produit des morceaux pour lui, et on a fait pas mal de dates avec le World Class Wreckin Cru dont étaient membres Dr Dre et Yella, voilà comment tout est arrivé. On vivait dans le même quartier en plus, South Central, Compton. On allait ensemble au Skateland, on bougeait à la plage, chasser des meufs, etc.

À cette époque, l’electro-funk passait à la radio où c’était un truc underground qu’on entendait seulement en club ?
L’electro-funk était méga-chaud au début des années 80 en Californie, c’était le premier type de rap, avant qu’Ice-T et NWA ne viennent changer la donne à la fin de la décennie. Le style s’est ensuite évaporé pour laisser place à la house et à la musique de club, pendant que tout le monde se convertissait au gangsta rap. Les gens ont d'ailleurs dit que le gangsta rap avait tué l’electro-funk, mais je crois plutôt qu’il a juste évolué pour donner la pop et l'EDM. Beaucoup de beats qu’on utilisait à l’époque ressucitent aujourd’hui.

Parle-moi de JJ Fad. Est-ce que « Supersonic » était un coup marketing de Ruthless et Atlantic Records ? Le disque est sorti un mois avant Straight Outta Compton, et certains disent qu’il a ouvert la voix au succès planétaire de NWA.
En fait, j’avais enregistré Supersonic avant qu’on ne décide d’un deal avec Ruthless. Il est sorti sur un autre label indépendant l’année d’avant [Dream Team Records]. Puis Dre est venu me voir en me disant que Eazy fournissait les fonds pour créer un label et qu’on en serait les producteurs, tel une grande famille, qu'on partagerait les profits générés, etc. J’ai donc proposé de sortir l’album pour lancer la boîte. Finalement, ça ne s’est pas vraiment passé comme prévu…

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Tu as quitté NWA en 1988. Ca chauffait entre toi et Ice Cube ?
Nan, ce n’était pas pour ça, c’est écrit sur Wikipedia mais c’est une erreur. Si j’ai quitté le groupe c’est parce qu’on touchait que dalle. On faisait des tas de concerts, on touchait la moitié de l’argent et l’autre moitié disparaissait dans la nature. J’ai commencé à questionner Jerry Heller sur les ventes de disques et tout, il avait toujours une excuse, aucun truc n'était écrit noir sur blanc. Je me faisais plus de ronds en sortant des disques sous le nom The Arabian Prince qu’en faisant partie d’un groupe qui vendait des millions d’albums, y’avait un problème… Voilà la seule et unique raison. Les gens ont dit que j’étais débile d’avoir quitté le groupe avant qu’il explose, mais Dre et Cube ont suivi, j’étais juste le premier. Et sinon, Moi et Cube avons toujours été en bons termes, et c’est pareil avec les autres membres. Quand tout le monde s’est ligué contre Cube lorsqu’il a quitté le groupe, j'ai fait en sorte de rester en dehors de ça.

À la base tu es producteur, qu’est ce qui te pousse à sortir Brother Arab, ton album solo de rap, en 89 ?
J’aime faire les deux, j’ai sorti un paquet de trucs avant de former NWA donc je suis simplement revenu à ce que j’avais toujours fait : créer de la musique. L’album n’a pas été un gros carton comme le premier Ice Cube, mais au moins c’était le mien, et j’ai été payé pour. Et puis j’aime repousser les limites et concrétiser tout ce qui me passe par la tête, je ne me cantonne jamais à un genre ou un style précis.

Tu es resté en contact avec tout le monde après l’explosion du gangsta rap dans les années 90 ?
Après mon départ, je suis resté en bon terme avec chaque membre. D’ailleurs, j’ai continué à bosser sur quelques projets pour Ruthless mais je me suis rendu compte que ce n’était pas vraiment ce que je voulais faire. Quand on a créé NWA, c’était une famille, on se connaissait tous, là, avec Suge Knight et tous ces gars, je ne savais pas où je m’aventurais. J’ai donc surtout taffé dans mon coin, je me suis plongé dans la technologie et me suis mis à investir dans le jeu vidéo.

Près de 20 après la sortie de la compilation Situation Hot, Stones Throw a publié une rétrospective de tes meilleurs morceaux des années 80 intitulée Innovative Life. T’as vécu ça comme une consécration ? Tu penses avoir été trop novateur dans le game ?
Que mon gars Peanut Butter Wolf soir béni pour cette compile, c’était une tuerie. Pour ce qui est de l’innovation, c’est peut-être vrai, je regarde toujours vers l’avant et jamais le présent…

Tu penses quoi de la production rap aujourd’hui ?
Pour moi, la musique reste la musique, il n’y a pas de critère bon ou mauvais que ce soit au niveau du son ou de la production. Parfois, un morceau on ne peut plus basique et élémentaire cartonne à un niveau international. Le seul truc, c’est de capter ce sur quoi les gens ont envie de groover au bon moment. Rod Glacial ne veut plus entendre parler de NWA pendant au moins 27 ans. Il est sur Twitter.