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Music

Le label Anywave va là où les autres n'iront jamais

Shoegaze égyptien ? Goth-wave italienne ? Ambient composé par des hackers finlandais ? Pas de problèmes, on a ça.

Aurélien Delamour, l'un des trois fondateurs du label Alors que la concurrence à les yeux rivés sur le terroir et les micro-scènes locales, le label Anywave trace depuis le début de la décennie les cartes d'un post-punk hors-cadre, aux horizons aussi larges qu’illimités. De la goth-wave italienne de Schonwald aux synthés de cathédrale de Fléau, en passant par la pop composée en zone de guerre avec Bad News From Cosmos, Anywave a composé un catalogue en forme de pochette surprise pour amateurs de musique dark. La sortie récente du quatrième volume de leurs compilations Wavecore – spécialité du chef, cuisinée à base de hackers finlandais et de shoegaze égyptien, tous inconnus au bataillon – et surtout l'annonce d'une soirée à l'International le 30 Juillet étaient deux bonnes occasions pour aller enfin poser quelques questions à Aurélien Delamour, l’un des trois fondateurs du projet. Noisey : Avant toute chose, reconnais-le, tu inventes des groupes sur les compilations Wavecore. Ce truc du hacker finlandais là, c’est pour le storytelling ?
Aurélien Delamour : [Rires] Oui, il y a des tas de groupes imaginaires. Bon, là, tu es mal tombé, Jari Pitkänen existe vraiment, il a sorti des tas d’albums, de l’ambient dark à des choses très pop 80's à brushing déviante . Il symbolise ce qu’on recherche dans Anywave, mélanger des univers mentaux, artistiques, des scènes différentes, sur une ligne générale plutôt minimaliste, radicale, froide, répétitive. D’où le grand écart entre Zanye East, qui déconstruit la pop-music contemporaine, et Leave The Planet qui font des pop-songs parfaites. Des groupes inventés, il n’y en a pas. Il y a des groupes qui n’ont sorti qu’une poignée de morceaux, d’autres qui ont disparu. Tu n’es pas vraiment un teenager. Qu’est-ce qui t’a poussé à monter un label à l’âge où la plupart gens s’épuisent au bureau pour rembourser leur emprunt immobilier ?
Déjà, Anywave a été fondé en 2001, j'étais alors un post-teenager. On est restés en sommeil pendant 10 ans. Stéphanie, la cofondatrice du label, a relancé l’affaire en 2010, Myriam et moi avons donné un coup de main, puis on a fini par prendre le label en main et le réinventer. J'ai fait les choses à l'envers puisque j'avais un job sans rapport avec la musique. J'ai profité d'une période de chômage pour tenter de développer ça. Au départ, il n’y avait pas d’idée de monter un vrai label dans la durée. On a commencé à prendre du plaisir à faire les choses, à soutenir des projets, à faire passer des choses confidentielles. Sur les toutes premières sorties, PanSTARRS et Gast, deux projets égyptiens, on ne s'occupait même pas des artworks, on galérait parce qu'on ne savait pas faire de la promo, on ne connaissait rien. Ensuite Yann est arrivé avec beaucoup d’enthousiasme, d’idées, ça nous a poussé à continuer l’expérience. Cela dit, on n'est toujours pas une machine de guerre, loin de là. On est plutôt un laboratoire. As-tu une méthodologie précise pour aller chercher les groupes qui déposeront des morceaux sur les compilations Wavecore ?
Pas vraiment. C'est de la pure prospective, la seule contrainte que je m'impose c'est de prendre du plaisir à écouter tel ou tel groupe sur la durée. On a commencé avec des gens qu'on connaissait personnellement, puis on a été cherché de plus en plus loin – depuis mon pote Tropical Horses qui ouvre la première compil jusqu'à Dully sur le dernier volume, qui lui est indonésien. On voulait faire une sorte de manifeste musical, dire qu'on aime la cold/shoegaze avec plein de reverb, mais aussi l'ambient, l'IDM, les field recordings – si on tombe sur un groupe de doom génial ou sur le nouveau Mad Professor, on ne dira pas forcément non. Ensuite, chaque volume a son histoire, son orientation propre.

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Vous sortez beaucoup de CD-R, quelques vinyles de temps en temps et maintenant des cassettes. Qu’est-ce qui décide le format d’une sortie ?
Les ronds ! On sort aussi du digital. Si on devait suivre toutes nos envies, on sortirait 50 vinyles par an. On n'est pas fétichistes de tel ou tel format. Fléau par exemple, j'ai écouté les morceaux, j'ai immédiatement dit qu'il fallait que ça sorte en physique et de préférence sur un format analo. On avait pas de quoi faire un vinyle, donc cassette. Idem pour Bad News from Cosmos, c'était impensable de ne pas les sortir, il n'y aucun groupe qui sort un maxi de shoegaze, puis un maxi de dark electro puis un maxi moitié folk moitié drone tout en maintenant un tel niveau à chaque fois. Quand on sort un vinyle, en principe, c'est en co-production, soit avec le groupe, soit avec d'autres labels. Il ne faut pas oublier que ça fait moins de deux ans qu'on sort régulièrement des disques, on en est encore au stade où on formule des hypothèses les unes après les autres.

Avec ce catalogue en forme de Légion Étrangère, quel genre de public touches-tu ?
Un public en forme de Légion Étrangère aussi – enfin, quelques bataillons dispersés, surtout en Europe, en Amérique latine, un peu aux States, au Canada. Ça donne forcément une audience protéiforme. Disons que ça va du fan de Xymox allemand au shoegaze-nerd brésilien. On a le public qu'on mérite, en somme.

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Quelle vision as-tu de la musique en France?
Déjà, je n’ai pas spécialement de vision de la musique en France, j’ai plus une vision globale de la musique qui m’intéresse. Ici, on est un peu nombrilistes, dans l’auto-célébration permanente, mais on ne propose pas de disques plus cruciaux qu'ailleurs. Je regrette toujours la segmentation entre les artistes français et étrangers, t’as l’impression qu’il y a, même dans le monde indé, des quotas à respecter, 50 % France et 50 % reste du monde. En 2015, c’est absurde. On est dans l'ère de Snowden-Assange, on en pense ce qu’on veut, mais ils ne bossent pas que pour leurs compatriotes - là je parle de construction d’un patrimoine culturel et intellectuel commun, pas de l'administration de territoires. La démarche de Syrphe Records, par exemple, je trouve ça admirable.

Les visuels de Myriam Barchechat sont à tomber. Quel est sa ligne directrice pour le label ?
Comme pour le reste, la direction artistique s’est imposée au fil des sorties. Les Wavecore, les flyers, notre site, ça a créé un univers esthétique qui répond parfaitement à nos préoccupations en terme de son, un côté un peu glacial et tendu, beaucoup d’intérêt pour les matériaux – d’où par exemple l’utilisation de la sérigraphie pour certains projets. Myriam a réalisé une bonne partie des pochettes, elle a un travail cérébral dans sa conception, très technique dans sa mise en œuvre, serré. Sur chaque projet, elle développe un processus spécifique, dont le moteur est plutôt conceptuel, ça donne des images à multiples niveaux d’interprétation, comme la pochette de Dream For The Fall de Schonwald, ou celle d’Onlooker de AVGVST, qui ont des sens cachés. Elle invite parfois d’autres artistes à travailler avec elle comme Julien Carreyn, Damien Lafargue ou Grégoire Belot.

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De façon plus générale, ça va paraître prétentieux, on a eu le temps de réfléchir à ce qu’on veut voir et proposer. Le monde est envahi par la médiocrité. Le monde est laid, dans l’ensemble, non par nature mais parce que sa transformation est sensée plaire au plus grand nombre. Or, qui décide? Des gens qui ont foi en leur propre jugement, même s’ils sont parfaitement incompétents – ce qui est le cas de la plupart des pros de la communication et de la pub, qui nous font payer le prix de leur inculture, de leur soif de contrôle, de leur complaisance. On est un peu condamnés à vivre dans le mauvais goût de gens qu'on ne connaît pas, dans leurs mauvais choix, leur négligence. Tu regardes le logement, l’urbanisme, la publicité, ce qui passe à la radio ou à la télé, tout ça est dénué de beauté, le design de ce qu’on appelle les produits culturels n’y échappe pas – en particulier en France où on a abandonné toute ambition graphique… On devrait, collectivement et individuellement, remettre en question notre confort moral et culturel, vouloir abattre l’ordre des choses, ou au moins interroger et casser les codes – voilà, on ne prône même pas la révolution partout et tout de suite, on est déjà gentillets.

Pour revenir au disque en particulier, Saville, Malcolm Garrett, Vaughan Oliver, pour prendre des exemples un peu connus et liés à des labels indé, c’était créatif, ils ont vraiment réinventé quelque chose, en 79 la pochette d’Unknown Pleasures, c’était du jamais vu – et pourtant personne ne disait à Saville ce qu'il devait faire. Chacun son domaine d’excellence. C’est ce qui a donné des disques intemporels à tous les niveaux. Je grossis le trait à mort, mais c’est quand même majoritaire, y compris dans l’underground : un mec qui fait du shoegaze va te foutre une image floue et de préférence à dominante fuchsia, un groupe de post-rock, c’est forcément une photo de paysage désertique en noir et blanc… merci bien, mais on n’est pas obligé d’envisager le monde comme un rayon culture chez Leclerc. C’est dommage, tout sent le calculé. Aujourd’hui, si tu veux frapper fort, tu as dans les 5 minutes, après quoi les gens zappent sur un autre truc encore plus frappant, parce que forcément choquant ou rigolo, ou alors on fait dans la nostalgie, le syndrome rediff' de la finale de 98. Évidemment, on est totalement en réaction contre le calcul marketing niais. Quels sont les projets du label pour la suite ?
On a programmé deux sorties à la rentrée, le premier vrai album de Heather Celeste, qu'on fait avec Lentonia, et qui fera 2 heures, bien dark avec des morceaux de 10 minutes. Et le premier 7” de Hørd, avec Stellar Kinematics et Ol Dirty Dancin, plus concis mais tubesque. On prépare aussi quelque chose pour la plage du Glazart. Il y a d'autres sorties prévues mais il est un peu tôt pour en parler. Et, plus immédiatement, on organise une soirée avec Fléau, AVGVST et Froe Char à l'International le 30 Juillet. Pour terminer, parle-nous justement de ton projet perso, AVGVST. C’est en sommeil depuis près de 2 ans. On pensait que c'était fini ?
C’est un peu mon journal intime donc impossible d’en finir avec ça. Il y a un album en gestation. Il faut quelque chose à raconter, sinon ça ne sert à rien. Je voudrais faire un équivalent musical du Dossier 51 de Michel Deville, multi-focal, narratif mais quand même un peu conceptuel. Onlooker m’a installé dans un truc particulier, j’ai l’impression d’avoir fait des concessions, je l'ai fait trop vite, ça part dans tous les sens. L’an dernier, j’ai décidé de jouer seul sur scène, dans des contextes variés, j’ai pu proposer des choses très différentes, parfois juste avec un ordi et une table de mix. On a aussi fait des expériences visuelles avec Laura Gozlan, avec qui je partage certaines préoccupations esthétiques et intellectuelles, tout ça est nourrissant, j'ai besoin de sources extérieures pour avancer. J'aime bien l'idée du work-in-progress, qu'il y ait de l'instantané – même si j'aime toujours faire des sets frontaux plus classiques. Donc je travaille à la fois à reformuler ma vision intime, et à la façon de la mettre en scène. En fait, je ne suis plus pressé.

Anywave proposera un grand raout estival à l'International à Paris, ce jeudi 30 Juillet. Ça commence à 19h, l'entrée est gratuite et toutes les infos sont ici.