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Music

Altern8 croit plus que jamais au pouvoir de la rave

Mark Archer a retiré son masque pour nous parler des raves en Angleterre, des années 1990 à aujourd'hui.

Il fut un temps où les raves ne se résumaient pas juste à une forte concentration de sarouels et de bergers allemands au fin fond de nos régions agricoles. Au début des années 90, pour contrer la rigueur thatchérienne, tranquillement poursuivie par John Major, des hordes d'Anglais surexcités abandonnent leur corps et (surtout) leur esprit à la danse, dans de gigantesques free-parties. Traçant toujours plus vite vers des lendemains meilleurs, les raveurs sillonnent le pays assoiffés de vengeance et d'absolu, sur fond d'acid house, des pilules 100 % sourire plein les poches. A l'occasion de sa venue à la Gaité Lyrique, on a demandé à Mark Archer, leader d'Altern8 (dans lequel il officie désormais seul) de nous raconter les raves anglaise du début 90 et leurs rapports peu courtois avec les autorités. Noisey : Full on… Mask Hysteria est sorti en 1992. Ça ressemblait à quoi une rave à cette époque en Angleterre ?
Mark Archer : C'était totalement illégal. Ce qui explique pourquoi la plupart des raves étaient organisées soit en extérieur, soit dans des lieux désaffectés, comme des entrepôts… Comme aujourd'hui, en fait. Et ce revival ne concerne pas uniquement la musique mais toute la culture rave. Plein de raves s'organisent à travers tout le pays en ce moment. La grande différence c'est qu'à l'époque il n'y avait pas Internet, tout se faisait par le bouche à oreille. Et puis, vu que les raves étaient illégales, personne ne distribuait de flyers. En fait, on te donnait un numéro de téléphone que tu devais appeler un jour donné. Pour maintenir la police dans le doute, la personne au bout du fil te donnait un nouveau numéro de téléphone à appeler un autre jour. Elle te donnait un lieu de rendez-vous, mais ce n'était pas là qu'avait lieu la rave. Ce n'était qu'une fois là-bas qu'on était fixés sur le lieu. Parfois ça prenait plus de temps et on te donnait un deuxième lieu de rendez-vous.

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Il y avait des raves partout en Angleterre ?
Tu pouvais aller en rave dans tout le pays. Le groupe Orbital tire d’ailleurs son nom de l'autoroute M25, la orbital motorway, qui entoure Londres. Il y avait des raves tout autour de Londres et dans la banlieue, tu n'étais pas obligé de traverser la ville pour ça.

Londres en elle-même n'a pas été touchée par la scène rave ?
Non, les plus grosses raves se déroulaient dans des champs, des entrepôts ou dans des clubs. La scène acid house est née en club, à La Hacienda et au Shoom. Tu retrouvais ce genre de clubs dans Londres aussi. J'ai grandi dans les Midlands à Stafford, et je bougeais souvent à Stoke-on-Trent. En 1988, ils ont ouvert le Frenzy. C'est là que j'ai écouté de l'acid house pour la première fois et ils organisaient des soirées tous les mardis soir. À cause du battage médiatique et de la mauvaise image que les journaux donnaient des raves, beaucoup de clubs ont dû fermer leurs portes. Tout allait très vite, un club ouvrait et fermait 6 mois plus tard, puis un autre ouvrait et fermait à son tour. Et ainsi de suite.

Il fallait aller où pour trouver les meilleures raves ?
De 1988 à 1991, des gens des quatre coins du Royaume-Uni débarquaient à Stoke pour aller au Shelleys ou au Leisure Bowl. Après, la plupart des grosses villes ont eut leur propres clubs d'acid house. En fait, le Shelleys et la Hacienda à Manchester étaient deux des plus gros clubs. Il y avait pas mal de clubs dans Londres, aussi.

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Mais la police pouvait plus facilement exercer son contrôle dans les clubs.
Ouais, et ils ont finalement réussi à faire fermer le Shelleys. C'est la même chose aujourd'hui quand les autorités administratives essayent de retirer leurs licences aux clubs. S'il arrive quoi que ce soit à un client et qu'ils trouvent de la drogue, ils font fermer le club. Ça arrivait déjà à l'époque. Si tu compares ça au nombre de personnes qui décèdent chaque année du tabac ou sur la route, c'est presque rien, mais c'est toujours un prétexte pour fermer les clubs. Dans les années 90, les médias bataillaient pour tout faire fermer. En 1994, le Parlement a fait passé le Criminal Justice And Public Order, une législation répressive sur les free-parties. Beaucoup de raves organisées en extérieur n'y ont pas survécu. Ça a fait évoluer la scène, les raves se sont déplacées à l'intérieur de clubs encore plus importants que leurs prédécesseurs, le Ministry Of Sound à Londres par exemple.

Ceux qui fréquentaient les free-parties ont accepté d'aller dans des clubs et d'être plus encadrés ?
À chaque genre de musique son genre de soirée. Tu n’aurais jamais croisé des fans de Spiral Tribe et de techno au Ministry, ils ne passaient pas du tout ce genre de son. La scène était très différente en club, la police veillait au grain

Altern8 a eu des problèmes avec la police ?
Une seule fois, en 1991. On était en train de filmer un clip devant le Shelley’s, sur le parking. Les soirs de rave, après la fermeture tout le monde s'agglutinait sur le parking, mettait de la musique et dansait autour des voitures. Un week-end on s'est installés sur le parking, dans un énorme camion. On y avait disposé des enceintes et on a attendu la fermeture du club. On a joué à 3 heures du matin en plein milieu du parking, avant que quelqu'un n'appelle la police. Ils ont radiné et nous ont ordonné d'arrêter. On a continué tant qu'on a pu, jusqu'à ce qu'ils menacent de nous coffrer.

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Génial. C'était quoi l'âge moyen des gens qui se pointaient en rave ?
J'avais une petite vingtaine d'années à ce moment là. Certaines personnes n'avaient rien à faire là, ils n’avaient même pas 16 ans mais ils faisaient beaucoup plus vieux. Plus généralement, c'était à peu près la même tranche d'âge qu'on trouve aujourd'hui en club. Il y a pas mal de ressemblances entre les années 90 et aujourd'hui, même si la musique et l'ambiance sont différentes. Au début des années 90 c'était tout nouveau, il y avait une certaine innocence autour de cette scène.

Tu as senti une évolution du statut du DJ depuis vingt ans ?
L'acid house a commencé à la fin des années 80. Parfois tu étais en club et tu ne savais même pas où se trouvait le DJ. On ne le voyait pas, sa cabine était d'un côté mais le son était relayé aux quatre coins de l'entrepôt avec des enceintes. Au fur et à mesure des années 90, les DJ ont bénéficié de plus en plus d'attention. C’est lorsque les raves ont été déplacées à l'intérieur de gros clubs que les DJ ont pu devenir célèbres. Mais avant ça, personne ne savait vraiment qui jouait, on ne venait que pour la musique.

Durant vos lives, vous portiez d’ailleurs une combinaison de protection chimique de la RAF. C'était pour déconner ou pour ne pas être reconnu ?
À ce moment là, Chris Peat et moi étions dans deux groupes différents et on avait un projet commun, beaucoup plus techno-bass, Nexus 21. Altern8, à l'origine, était un projet parallèle. The Eclipse, un club de Coventry, nous avait booké pour un live sous le nom de Nexus 21. Quelques mois plus tard, ils nous ont recontactés pour qu'on joue cette fois-ci en tant qu'Altern8. La combinaison et le masque nous ont servi à brouiller les pistes et à cacher le fait qu'on avait déjà d'autres projets. Ce soir, je porterai la même combinaison que celle de notre premier concert en 1991. J'en ai qu'une seule, et elle n'est plus en très bon état.

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Vous dansiez aussi sur scène.
Ouais, la Electrified Monkey Dance. Quand on a commencé avec Nexus 21, on ne faisait que du live. On était à fond sur nos boîtes à rythmes et nos synthés…. Un jour, un type nous a dit que c'était hyper chiant de voir deux types derrière leur table passer leur soirée à tourner des boutons. Quand on a fondé Altern8, on voulait aussi en profiter pour faire le show. Donc on a pré-enregistré les principales boucles sur cassette pour pouvoir matraquer nos claviers, sautiller et faire du karaté.

La scène rave s'est morcelée au fil des années. Pourquoi, selon toi ?
Énormément de monde fréquentait les free-parties et les raves, et au début, on appréciait tous la musique qui passait. Au fur et à mesure, ceux qui préféraient tel ou tel style de musique, des trucs plus rapides comme la jungle, ont quitté le groupe pour organiser leurs propres fêtes. Ceux qui aimaient la house se sont orientés vers les clubs. À partir de 1991, la scène rave s'est complètement fragmentée.

Malgré tout, il y avait des idéaux communs au sein de la culture rave ?
Les années 80 ont été une période très difficile en Angleterre, je pense que la scène rave représentait un acte de rébellion face à la rigueur et à l'autorité. Tout ce que les gens voulaient à l'époque c'était danser et prendre du bon temps. Certains avaient peut-être des opinions politiques marquées, mais la plupart ne participaient aux raves que pour sortir et s'amuser. Ça se reflète bien dans la musique, il n'y a aucun message derrière. À l'époque, dans les interviews, on nous demandait tout le temps quel était le message qu'on cherchait à faire passer avec notre musique. On voulait juste faire danser les gens et produire de la musique qui nous plaisait. Aujourd'hui, on ne cherche plus qu'à reproduire ce qui se faisait dans les années 90. Tout a déjà été fait, ça fait 20 ans que ça dure. Il y a d'abord eu un revival des années 80 puis un revival des 90’s, mais je suis content que l'acid house revienne. C'est encore pertinent aujourd'hui. Les DJs aujourd'hui ne se contentent pas de régurgiter bêtement ce qui se faisait dans les années 90, ils font avancer le genre, même si le passé les influence clairement.

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Peut-être qu'on va bientôt revenir aux années 2000. Il y avait ce groupe de néo metal français très populaire à l'époque, Mass Hysteria. T'as déjà entendu parler d'eux ?
Sans rire ! Non je ne connais pas du tout. Cet titre, ça vient des journaux, ils semaient la zizanie et l'hystérie collective autour de la scène rave. Mask Hysteria était un bon jeu de mots.

En décembre dernier, Altern8 a atteint le sommet des charts avec « Activ-8 (Come With Me) », un morceau initialement sorti en 1991. Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ?
C'est l'initiative d'un fan de Brighton, qui a voulu relancer le morceau. Il a lancé une campagne sur Facebook. Quand je l'ai vu pour la première fois, il y avait environ 600 likes. Quelques jours plus tard, il avait atteint les 2000 likes et ça n’a fait ensuite qu'augmenter, jusqu’à atteindre 20 000 ! Il a fallu ressortir le single donc on a contacté le label, et on en a profité pour y ajouter des remixes. Mais c'est la version originale qui a été numéro 1. C'était étrange d'entendre un de nos morceaux à la radio.

La radio ne diffusait pas d’acid house à l’époque, je suppose ?
Non, sauf si on avait un morceau dans les charts, et quelques fois le dimanche. Finalement, ce n'était pas si différent d’aujourd'hui. L'année dernière, ils ont diffusé « Activ-8 » mais en pleine nuit. Étrangement, on a quand même réussi à passer devant un titre que Radio 1 avait diffusé toute la semaine. En 20 ans, c'était la première fois qu'on était diffusés. On s'est sentis soutenus. C'est cool d'avoir enfin un titre classé dans les charts et pouvoir toujours faire des sets dans le monde entier après 20 ans d'activité.

Depuis quelques années, la rave music excite à nouveau la masse. Votre public a beaucoup changé ?
Le public est globalement assez âgé, la plupart du temps ce sont des gens qui ont eux-mêmes grandi avec l'acid house, voire leurs frères et soeurs. Parfois, leurs enfants viennent aussi s'ils ont été élevés avec cette musique. Mais ces dernières années, de plus en plus de kids se sont intéressés à la rave et sont revenus à la source, 20 ans auparavant. Des kids de 18-19 ans se pointent alors qu’ils n’étaient même pas nés à l'époque. Ils aiment vraiment ça. Après mes sets, on m'a même déjà demandé quel genre de style je passais, certains pensaient que c'était un tout nouveau genre de breakbeat… Sarah Mandois respecte le dancefloor. Elle est sur Twitter.