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Culture

Cham-pang est le précurseur oublié de la synth-pop québécoise

Le label Tenzier sort des voûtes Tant pis 81-82, qui devait mettre la table pour un premier album qui n’a jamais vu le jour.

Inclassable projet de la vague new wave montréalaise du début des années 80, Cham-pang n'a produit qu'un seul EP, Ne mourrez pas, sorti en 1981 sous YUL Records. Récemment redécouvert par l'entremise du documentaire Montréal New Wave d'Erik Cimon, le groupe mené par la chanteuse Yvel Champagne a eu quelques géométries et a compté, à travers sa courte existence, sur des membres de différents horizons : Allan McCarthy de Men Without Hats, Mario Spezza et Angel Calvo de la formation culte new wave Rational Youth, et on y a aussi retrouvé des tenants reconnus des musiques exploratoires tels que Robert M. Lepage et Bernard Gagnon.

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Cham-pang a connu deux phases : la première, celle du EP, alors que c'était un duo davantage new wave constitué de l'envoûtante Champagne et de McCarthy aux claviers; et la deuxième, plus expérimentale, celle qui devait mener à un premier album, avec Champagne toujours en tête, cette fois-ci appuyée par Gagnon. Les collaborateurs s'y greffaient, formant un collectif aux horizons éclatés dont l'apex s'est dévoilé lors de Tant Pis Pour Les Heures De Sommeil, une performance multimédia qui a eu lieu au Tritorium du cégep du Vieux Montréal le 16 avril 1982.

Aujourd'hui, le label Tenzier fera paraître Tant pis 81-82, une session d'enregistrement inédite de matériel ayant servi de base pour ledit concert (et qui devait aussi mettre la table pour un premier album qui n'a finalement jamais vu le jour), qui a été « bâtardisée » par les interventions électroniques de Bernard Gagnon.

Les membres de Cham-pang le 24 octobre lors du lancement de Tant-pis 81-82: Yvel Champagne, Bernard Gagnon, Angel Calvo et Pierre-Laurier Lamarche (de gauche à droite).

VICE s'est entretenu avec Yvel Champagne, Bernard Gagnon et Pierre-Laurier Lamarche, metteur en scène du spectacle au Tritorium, pour s'éduquer un peu plus sur le projet, carrefour d'avenues pop et expérimentales attaché à des parts importantes de la musique d'ici.

VICE: Les pièces de Tant pis 81-82 ont été composées et enregistrées en amont de Tant Pis Pour Les Heures De Sommeil , un spectacle donné au Tritorium du Cégep du Vieux-Montréal en avril 1982. L'événement semble avoir marqué les mémoires - en quoi était-il déterminant?
Bernard Gagnon : C'était un spectacle multimédia, chose naissante à l'époque, et qui se présentait dans un contexte non académique : il mettait à contribution des artistes qui avaient fait un bout de chemin dans leurs disciplines respectives. Yvel, bien sûr, avec derrière elle le singulier EP que l'on connaît; Georges Lévesque, déjà connu pour son travail chez Scandale, aux costumes; Pierre-Laurier Lamarche, déjà bien en contrôle de matériaux visuels variés, aux décors et à la conception visuelle; et moi-même, connu pour ma participation à l'Atelier de Musique Expérimentale au début des années 70, à la première vague punk montréalaise ainsi que pour mon travail en électroacoustique. Tout ceci a fait qu'un assez grand public s'est présenté, très varié - on y retrouvait tant le public typique new-wave que des gens issus du milieu de la mode, autant le compositeur Claude Vivier que l'extravagant designer Gilles Gagné.

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Yvel Champagne, du groupe Cham-pang / Crédit : Pierre-Laurier Lamarche

Yvel Champagne : On avait ouvert la scène sur les coulisses, on en voyait la structure, puis au fond un énorme escalier montait. Sur scène, trois immenses écrans diffusaient des photos, et un piano à queue libre que jouait l'écrivain Bruno Hébert. Je venais aussi du théâtre, de la poésie et de la chanson, des arts visuels - l'approche multimédia devenait très intéressante, et j'avais réuni un groupe d'artistes de différentes disciplines, qui ne se connaissaient pas tous. Nous étions tous dans la création et liberté d'expression : pour reprendre l'expression de Pierre Boulez, j'exprimais la limite et à l'intérieur du cadre chacun était libre.

Pierre-Laurier Lamarche : Pendant deux mois, les musiciens pratiquaient dans mon loft, pendant que je travaillais mes diapos : des images abstraites, des corps en mouvement, des Rembrandt déformés au xerox. Au-devant, il y avait beaucoup d'éclairage mauve et bleu. Yvel était vêtue de noir des pieds à la tête, promenant une canne blanche pendant que du sable blanc coulait de ses mains. Presque chaque pièce avait sa sculpture, sa mise en scène : des sculptures de verre étaient éparpillées partout sur scène, et des éclairages horizontaux, comme un fil qui traverse toute la scène, se promenaient verticalement. Angel Calvo et ses percussions, Bernard Gagnon et ses synthés, ils étaient sur scène, mais presque invisibles.

Cham-pang a permis la rencontre de musiciens aux horizons plus pop (Allan McCarthy de Men without Hats, Mario Spezza et Angel Calvo de Rational Youth) et de tenants de l'exploration (Bernard Gagnon, Robert M. Lepage).

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Comment ses rencontres se sont-elles initiées, et comment les apports de chacun se croisaient pour déterminer les directions possibles du projet?
B. G. : Musicalement parlant, il y a eu deux moutures successives à Cham-pang. Alan McCarthy et Mario Spezza étaient de la première mouture, celle du EP. Quand j'ai été mis en charge de la musique pour la suite des choses, j'ai fait appel à Angel Calvo, qui avait déjà joué avec moi dans le groupe new wave Vex, et à Robert Marcel Lepage, avec qui j'avais souvent contribué dans l'Atelier de Musique Expérimentale, un collectif de musique improvisée très actif dans les années 70. Cham-pang misait beaucoup sur les juxtapositions de contenus en apparence divergents : entre texte et musique, entre genre de chant et genre de musique, entre visuel et musique. Et l'ajout de musiciens fortement associés à la musique expérimentale a exacerbé cette juxtaposition.

Yvel Champagne, du groupe Cham-pang / Crédit : Pierre-Laurier Lamarche

Est-ce que les susmentionnées occupations parallèles des membres ont eu une incidence sur l'évolution de Cham-pang?

B. G. : Oui. C'est ce qui a fait qu'aujourd'hui, Cham-pang ne colle pas vraiment au stéréotype de groupe new wave. Nos influences n'étaient pas Gary Numan ou Human League - ça venait d'ailleurs : le krautrock (surtout Can), la musique tribale, le reggae, le dub et la musique avant-garde (Cage, Stockhausen). J'ai lu quelque part que nous étions maintenant catégorisés comme « no wave » - ce qui se rapproche un peu plus de nous que le new wave, selon moi.

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Y. C. : Moi je savais où je voulais aller : ailleurs que ce qui se faisait ici à l'époque.

Qu'est-ce qui a motivé l'idée des interventions électroniques sur Tant pis 81-82 ?
Y. C. : J'étais ouverte à la musique contemporaine, Bernard faisait de l'électroacoustique, je trouvais ça intéressant d'exploiter cette avenue.

B. G. : Le simple fait que c'était ce que je faisais et que c'était mon unique façon d'appréhender la musique. J'ai touché mon premier synthétiseur en 1975. Ça faisait donc déjà 6 ou 7 ans que ça faisait partie de mon coffre d'outils. Bien que jouant aussi des instruments traditionnels, j'étais en pleine effervescence sur le plan électronique.

Malgré un équipage au probant pedigree, Cham-pang a malheureusement peu d'écho aujourd'hui. Selon vous, quel en est l'héritage, où en trouve-t-on des traces, et quels projets les membres ont-ils eus par la suite?
B. G. : Je ne peux parler que pour Tant pis 81-82, n'ayant pas contribué à ce qui a précédé. Comme ce matériel n'a pas été publié, je doute qu'il ait eu quelque influence. Angel a rejoint Rational Youth puis plus tard a dû cesser ses activités musicales suite à un grave accident. Robert et moi avons formé quelques projets, comme le groupe La Flore Laurentienne qui a évolué dans le circuit de la musique actuelle. On connaît la suite pour Robert, qui est devenu, jusqu'à ce jour, un compositeur de musique de film chevronné. Je ne sais pas si Cham-pang a laissé une marque sur la scène musicale new-wave, car notre musique s'en distinguait beaucoup. Par contre, il y a eu un impact sociologique : tous les autres médias et disciplines qui étaient perçus comme « new wave » connaissaient ou suivaient Cham-pang.

Y. C. : On retrouvait des pièces de l'EP Ne mourrez pas dans des discothèques, des radios et des compilations à Paris, en Allemagne, à Montréal - c'était l'euphorie. Le Billboard en a fait une critique. On volait nos magnifiques affiches en 4 couleurs (très rares à l'époque) créées par Pierre-Laurier Lamarche, qui a aussi conçu la pochette du disque. On volait les disques dans les maisons après l'amour. Il y avait un engouement énorme pour l'EP. Puis j'ai eu un grave accident, une fracture de la colonne, et la convalescence fut très longue - c'est la raison pour laquelle il n'y a pas eu de suite. Plus tard j'ai donné quelques performances à New York et Montréal, puis j'ai poursuivi en vidéo. Est-ce que Cham-pang a laissé une marque? Daniel Bélanger m'a dit que ça faisait partie de ses 10 meilleurs disques à vie - alors peut-être que, comme catalyseur, nous avons suscité des envies, des désirs, des projets de créations.

Tant pis 81-82 peut être commandé sur le site de Tenzier .

Benoit Poirier, lui aussi, aimerait faire partie d'un top 10 de Daniel Bélanger. Il est sur Twitter .