Hooligans en France : un commentaire des matchs « à risques » de l’Euro 2016

FYI.

This story is over 5 years old.

Sport

Hooligans en France : un commentaire des matchs « à risques » de l’Euro 2016

Angleterre-Pays de Galles, Ukraine-Pologne – des mecs bourrés sont susceptibles de se bagarrer près de chez vous.

Un groupe de hools anglais en train de foutre un dawa impossible devant un bar de Francfort. Photo de Francisco Gonzalez, via Flickr.

L'Euro 2016 de football a débuté hier soir avec France-Roumanie. En prévision de celui-ci, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve avait présenté la semaine dernière le dispositif de sécurité déployé durant la compétition. État d'urgence et sinistrose ambiante obligent, le déploiement des forces de l'ordre est impressionnant. On comptera quelque 42 000 policiers, 30 000 gendarmes et 10 000 soldats aux abords des stades, lesquels patrouilleront dans les différentes villes hôtes de rencontres.

Publicité

Évidemment, certains matchs de cet Euro 2016 seront plus surveillés que d'autres. Sur une échelle allant de un à quatre, cinq rencontres ont été classées « niveau 3 », c'est-à-dire présentant un risque sérieux de troubles à l'ordre public. Si les organisateurs n'ont pas rendu cette liste publique, une source confirmée par l' AFP avance que les matchs concernés sont les suivants : Angleterre-Russie (ce soir 11 juin, à Marseille), Turquie-Croatie (demain 12 juin à Paris), Angleterre-Pays de Galles (le 16 juin à Lens), Allemagne-Pologne (le 16 juin à Saint-Denis) et Ukraine-Pologne (le 21 juin à Marseille). Pour ces rencontres, une surveillance accrue et des zones tampons plus nombreuses sont prévues pour éviter tous risques de débordements. Contactée par VICE, la DNLH (la Division nationale de lutte contre le hooliganisme) explique que ces matchs ont été sélectionnés sur une base « de supporters dont la réputation est connue, et par une collaboration avec nos collègues européens. »

Si les hooligans des nations concernées par cette liste n'ont pas forcément bonne réputation, la grande majorité des supporters qui voyageront en France en juin pour soutenir leur équipe nationale le fera dans un esprit festif et bon enfant. Pourtant, la DNLH reste prudente : « le total cumulé des supporters à l'Euro est de 7 millions, et seuls 2 millions d'entre eux ont des billets. Cela fait 5 millions de supporters en plus à surveiller dans les fan-zones, les centres-villes et autres. »

Publicité

VICE a tenté d'expliquer pourquoi ces rencontres ont été catégorisées comme « risquées ». De fait, de nombreux facteurs tels que l'histoire contemporaine, la géopolitique et les différents contextes socio-économiques, sont à prendre en compte dans ce genre de décisions.

Angleterre-Russie, Stade Vélodrome, Marseille, 11 juin

Depuis la Coupe du Monde 1998, la ville de Marseille ne garde pas un bon souvenir des supporters anglais. À l'époque, de sérieuses échauffourées avaient émaillé l'avant-match de Tunisie-Angleterre au cœur de la cité phocéenne. Nicolas Hourcade, sociologue à l'École Centrale de Lyon et spécialiste des supporters, se souvient de ce jour où « les supporters anglais avaient affronté la population locale », et plus particulièrement des jeunes des cités voisines, venus défendre des supporters tunisiens agressés par les Anglais. Au terme d'un déferlement insensé de violence, dans lequel la police est finalement intervenue, de nombreux Britanniques avaient été arrêtés et certains condamnés à diverses peines : prison, interdiction de pénétrer sur le territoire français, entre autres.

Parmi eux, James Shayler, également appelé « the pig of Marseille » pour son comportement particulièrement violent ce jour-là. Récemment interrogé par le Daily Mail, il affirme vouloir revenir en France pour achever son « œuvre » commencée il y a près de 18 ans. Et cette fois-ci, il compte bien sur l'aide des Russes, leurs adversaires du jour. Selon lui, « Ils [les Russes] les détestent (les musulmans), non ? L'Angleterre sera avec la Russie contre les musulmans ».

Publicité

Toujours dans la même entrevue, Shayler explique ne pas être interdit de territoire français et affirme même posséder une place pour le match. Un sésame obtenu avec l'aide du leader du Zénith Saint-Pétersbourg Landscrona, un groupe d'ultras russes, réputés pour leur xénophobie . « En principe, je vais pouvoir assister au match dans leur tribune. »Une alliance qui a de quoi, et à raison, inquiéter les autorités françaises.

Combien de James Shayler existent aujourd'hui en Europe ? Difficile de répondre, mais le ministère de l'intérieur affirme posséder près de 3 000 interdictions d'entrée sur le territoire.

Les possibles tensions entre les deux pays ne sont pas ici un facteur déterminant dans la classification de cet Angleterre-Russie comme rencontre à risques. Comme l'affirme Paul Dietschy, historien français spécialisé dans le football, « il n'existe pas d'antagonismes récents entre Russes et Anglais ; en revanche, il existe dans ces deux pays une tradition de violence, teintée par un hooliganisme encore assez présent. » À cela, on peut rajouter une forte propension au nationalisme, qui peut facilement mettre le feu aux poudres. Les déclarations de James Shayler, bien qu'elles puissent être considérées comme de l'intox, font craindre aux forces de police des alliances de circonstances entre supporters des deux nations.

––––

Des supporters de l'équipe d'Allemagne, se définissant eux-mêmes comme « patriotes ». Photo via Flickr.

Publicité

Turquie-Croatie, Parc des Princes, Paris, 12 juin

Là encore, cette rencontre est à classer parmi celles où les antagonismes entre deux pays ne sont pas à l'origine de la classification du match « à risques ». Si les supporters turcs ont la réputation d'être « extrêmes » selon Paul Dietschy, le danger pourrait bien venir d'autre part.

Nicolas Hourcade explique qu'il « existe un contentieux fort entre les hooligans parisiens et les supporters turcs depuis les incidents de 1996 et 2001. » Et il est vrai que le match de 2001 entre le PSG et Galatasaray avait laissé d'impressionnantes images de bataille rangée dans les tribunes du Parc des Princes. D'un côté, les hools parisiens de la tribune Boulogne brûlaient des drapeaux du club turc et de l'autre, les supporters stambouliotes avaient envahi une bonne partie du stade afin d'en découdre.

Depuis, la rancœur vis-à-vis de cet événement ne s'est jamais tarie. Selon une note des renseignements généraux récupérée par Le Point, certains groupuscules identitaires d'extrême droite, dont font partie d'anciens membres du Kop of Boulogne (association aujourd'hui dissoute), auraient les supporters turcs dans leur viseur. De quoi créer un climat de tensions autour du Parc des Princes ? Pas vraiment, selon la DNLH qui affirme « suivre le dossier de près, mais nous ne disposons pas d'assez d'éléments pour affirmer qu'une confrontation aura lieu ».

Côté croate, un contentieux existe également avec des supporters du PSG. Nicolas Hourcade se rappelle qu'en « 2012, des hooligans parisiens s'étaient frotté à des ultras croates [contre le Dinamo Zagreb]. » En marge du match opposant les deux clubs en Ligue des Champions, des affrontements avaient en effet éclaté du côté de Bastille. Malgré leur statut de persona non grata sur le territoire français, les supporters croates avaient pu se rendre à Paris en voiture.

Publicité

Pour l'historien Paul Dietschy, « le sport est un moyen d'identité fort pour des pays jeunes comme la Croatie », et il est donc compréhensible qu'une énorme délégation de supporters se déplace pour encourager l'équipe nationale, en particulier dans une compétition de ce genre. Au cœur des années 1900, une forme violente de hooliganisme s'est développée en Croatie. Une de ces factions les plus célèbres reste les Bad Blue Boys (BBB), célèbre groupe de hooligans reconnus pour leur nationalisme exacerbé et dont certains membres pourraient se trouver en France au mois de juin.

––––

C'est l'Angleterre qui nous intéresse avant tout. Là, c'est le match d'une vie : les joueurs n'ont pas intérêt à l'oublier. Nous, nous ne l'oublierons pas. » ––Un supporter du Pays de Galles.

Angleterre-Pays de Galles, stade Bollaert, Lens, 16 juin

« Angleterre-Pays de Galles est l'un des affrontements les plus emblématiques du rugby, mais le football est en train de gagner du terrain chez les Gallois », affirme Paul Dietschy. Si les matchs de rugby se passent dans la très grande majorité des cas sans heurts, il pourrait bien en être autrement pour ce derby qui se disputera au stade Bollaert de Lens. « La manière de supporter au football est bien différente de celle des autres sports, plus violente, et où les supporters viennent le plus souvent des mêmes milieux sociaux. »

Et il est vrai que les relations entre ces deux nations constitutives d'un même pays, le Royaume-Uni, ont parfois été houleuses. Si les envies d'indépendance sont un peu moins fortes qu'en Écosse, les Gallois jouissent d'une identité forte et dont ils sont fiers. Cette qualification pour une compétition internationale (la première depuis le Mondial 1958) et de surcroît ce match contre les Anglais est une aubaine de se venger du voisin honni. Dans une interview parue sur le site Breizh-Info, Neil, supporter de 42 ans, est déjà très chaud : « C'est l'Angleterre qui nous intéresse avant tout. Là, c'est le match d'une vie : les joueurs n'ont pas intérêt à l'oublier. Nous ne l'oublierons pas. […] On ne va quand même pas s'écraser devant les Anglais. » Toujours plus loin dans la provocation, le même Neil lance un petit tacle aux autorités françaises : « Chez nous, la police contrôle et verrouille, ils savent faire. En France vous vous souvenez de 1998 ? La loose, vos autorités », a-t-il déclaré.

Publicité

Le risque de hooliganisme n'est pas le seul problème pour cette rencontre. Le fait que le match se joue à Lens, l'une des plus petites villes à accueillir l'Euro cette année, est un facteur important. En effet, Anglais et Gallois vont se déplacer en nombre (on parle de plusieurs dizaines de milliers de supporters pour chaque pays) et la ville de l'Artois n'est pas forcément habituée à une telle situation. Pour Nicolas Hourcade, il faudra se méfier de la « gestion des mouvements de foule : il peut y avoir des hooligans présents même si ce n'est pas le plus gros problème de cette rencontre. » En effet, ce match Angleterre-Pays de Galles est unique en son genre puisque ce sont ici deux nations du même pays qui vont s'affronter.

––––

Des supporters anglais de Lutton prennent la pose, dans la nuit. Photo via Flickr.

Allemagne-Pologne, Stade de France, Saint-Denis, 16 juin

Allemagne-Pologne est un match à forte portée émotionnelle. « Historiquement, les choses sont très claires : si l'Allemagne a reconnu ses torts pendant la Seconde Guerre mondiale et a tout fait pour réparer ses fautes, il reste malgré tout une forte connotation nationaliste, en particulier chez les supporters polonais », selon Paul Dietschy. Comme le confirme Pierre Vuillemot, fondateur du site spécialisé dans le football d'Europe de l'est Footballski, « les Polonais n'aiment pas les Allemands, et c'est vrai qu'il y a une recrudescence de hooligans côté allemand ces dernières années. » Parmi les cinq matchs sélectionnés comme « à risque », cette rencontre semble pourtant la moins à même d'être touchée par des violences et des débordements.

Malgré tout, les supporters allemands n'ont pas forcément bonne réputation en France depuis 1998. En effet, de nombreux hooligans d'outre-Rhin s'étaient alors violemment opposés à des dizaines de hooligans serbes à la fin de la rencontre qui se disputait à Lens. Très vite, les forces de l'ordre avaient pris part à la bataille. L'un des leurs, le gendarme mobile Daniel Nivel, fut violemment pris à partie et roué de coups. Après six semaines de coma, le gendarme s'était finalement réveillé, malgré de graves blessures qui l'ont laissé infirme. Pour éviter ce genre d'épisodes, les supporters sont entourés de « spotters » (guetteurs), des policiers en civil spécialistes du fonctionnement des mouvances hooligans et des tribunes. Ils sont chargés d'empêcher tout débordement.

Publicité

Toujours selon Paul Dietschy, ce match aura également une portée symbolique puisqu'aujourd'hui, « les frontières sont poreuses et les liens sont forts entre les deux pays. Par exemple, l'un des meilleurs joueurs de Bundesliga est un Polonais qui joue au Bayern Munich [ Robert Lewandowski, N.D.L.R. ] »

––––

Ukraine-Pologne, Stade Vélodrome, Marseille, 21 juin

La rencontre Ukraine-Pologne est un derby d'Europe de l'est. Historiquement, « il existe quelques tensions entre les deux pays pour la revendication de quelques territoires frontaliers ».

Aussi, les hooligans de ces deux pays sont réputés pour leur appétence à la violence et aux bagarres, ces fights organisées loin des regards et où plusieurs règles sont de mises : se battre à main nue, ne pas frapper un homme à terre, etc. De cette version du Fight Club dans la vraie vie, les supporters des deux pays en ont donné une belle illustration en 2015 : « Lors d'un match à Kiev qui opposait le Zorya Louhansk et le Legia Varsovie, des hooligans du Dynamo Kiev s'en sont pris à ceux de la capitale – il n'est pas impossible qu'un match retour soit organisé. » Mais dans un milieu fermé et inaccessible comme celui des hooligans, il est bien difficile de démêler les intentions réelles et la provocation.

Quoi qu'il en soit, il faut malgré tout rappeler que ces deux pays n'ont pas de groupes de supporters officiels pour encourager leur équipe nationale – à la différence de l'Albanie par exemple.

Cela signifie que les supporters vont pour la « majorité se déplacer par leurs propres moyens », ce qui n'est pas donné à tout le monde. De plus, des centaines d'Ukrainiens n'ont pour le moment pas obtenu le visa qui leur permet de pénétrer sur le territoire français. Hors de l'espace Schengen, les ressortissants ne peuvent voyager à travers l'UE sans le précieux sésame. De fait, très peu d'Ukrainiens ont pu rejoindre Paris, ce qui pour le moment met de côté tout danger potentiel.

Si les supporters ukrainiens et polonais ont leur petite réputation à travers l'Europe, il faut rappeler qu'à l'heure actuelle, absolument rien ne permet de penser que des fights sont prévues. À la vue de certains événements qui se sont déroulés dans les championnats polonais et ukrainiens, il est compréhensible que les autorités aient décrété cette rencontre comme risquée, mais comme aime à le répéter la DNLH, « très peu de supporters viennent pour se battre : l'Euro est un événement festif. Si des débordements ont lieu, ils seront isolés. »

Hugo est sur Twitter.