Cadence Weapon nous explique ce que c’est de faire du rap d’adulte
Crédit photo: Mark Sommerfeld

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Musique

Cadence Weapon nous explique ce que c’est de faire du rap d’adulte

Et ce n’est pas du rap de vieux.

Gentrification, rapports hommes-femmes et racisme dans l’industrie de la musique figurent parmi les sujets abordés dans le quatrième album du rappeur de 31 ans Cadence Weapon. Un album synonyme de maturité qui lui aura pris cinq années à créer et qui sort ce vendredi. Une attente qui lui aura permis de renouveler sa vision artistique et d’obtenir des productions des étoiles montantes Kaytranada, Jacques Greene et Harrison. VICE est allé rencontrer le poète primé pour qu’il nous explique pourquoi cet album éponyme, mélangeant trap, grime et house, est une véritable renaissance pour lui tant sur le plan artistique qu’humain.

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VICE : Pourquoi as-tu attendu autant pour sortir cet album?

Cadence Weapon : J’ai rencontré des difficultés avec mon ancien label et sortir de cette situation a pris du temps. Aussi, dans les dernières années, je me suis concentré sur la poésie, j’ai sorti un recueil, j’ai écrit beaucoup d’articles pour plusieurs publications différentes et j’ai été très actif en tant que DJ. Durant cette période, j’ai bien sûr également fait beaucoup de musique. En cinq ans, j’ai dû enregistrer près de 80 chansons qui ne sont pas sorties. J’ai toujours été perfectionniste, un peu à la manière de D’Angelo, qui a laissé s’écouler une dizaine d’années entre deux albums.

Au cours des dernières années, tu as vécu à Edmonton, Montréal et Toronto. Que retiens-tu de ton passage dans ces trois villes?

Venant d’Edmonton, je sais ce qu’est le sentiment de se sentir ignoré en tant qu’artiste : peu de monde s’intéresse à la scène locale et tu dois redoubler d’efforts pour te faire remarquer. Déménager à Montréal m’a permis de développer mon identité artistique à son plein potentiel. J’ai pu créer un tas de connexions avec des artistes, certains sont même devenus de très bons amis comme Jacques Greene. C’est à Montréal que je suis devenu véritablement un artiste. Toronto a apporté au contraire un côté beaucoup plus business à ma musique. Signer sur le label eOne m’a donné les clés pour mieux mettre en marché ma musique.

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On sent qu’il s’agit de ton album le plus mature. Est-ce que c’est du rap d’adulte?

Ha, ha! On peut dire ça! Par contre, ce n’est pas du rap de vieux, c’est juste différent de ce que fait la scène « Xanax rap » qui occupe une grande place dans les médias en ce moment. Dans un certain sens, cet album se rapproche davantage de la vibe du dernier Kendrick Lamar. Musicalement, c’est très dansant, mais les paroles sont très engagées. Il y a un niveau d’introspection qui reflète bien l’âge que j’ai. Comparé à mon album précédent, je suis beaucoup plus mature et j’ai davantage confiance en moi, ce qui m’a permis d’essayer de nouvelles approches.

Justement, dans la chanson Destination, tu évoques les problèmes de racisme dans l’industrie de la musique au Canada. Un sujet que tu n’abordais pas avant…

Dans mes précédents albums, j’étais plutôt réticent à l’idée de parler de racisme, j’étais davantage concentré à faire de la musique axée sur le turn up. En vieillissant, c’est devenu un sujet que je voulais aborder dans ma musique. Dans cette chanson, j’explique qu’on ne peut pas échapper au racisme, c’est présent dans n’importe quel domaine d’activité à différentes échelles. J’essaye d’utiliser la musique pour me permettre de dépasser ça, mais là encore, c’est un milieu où il y a plein de micro-agressions, qu’elles soient racistes ou sexistes. Si on prend l’exemple du nightlife : le dancefloor est censé être un échappatoire à tes problèmes du quotidien, mais, parfois, c’est le contraire qui se passe. Finalement, le nightlife reproduit exactement le même schéma dominant dans notre société, c’est-à-dire un white boys club. Il y a beaucoup de DJ et promoteur qui vont porter des chemises tropicales et jouer beaucoup de musique liée à la black culture, mais ils ne vont jamais engager un DJ noir. Sans parler de la sous-représentation des femmes…

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Crédit: Coey Kerr

D’ailleurs dans The Host, tu abordes le thème des inconduites sexuelles dans le monde de la nuit. De qui parles-tu exactement?

C’est un DJ-promoteur à Montréal qui m’a donné l’idée de faire cette chanson. J’ai aussi rencontré beaucoup de personnes similaires dont je me suis également inspiré. Je souhaitais mettre en lumière ces DJ, promoteurs et autres artisans du monde de la nuit qui abusent pas mal de l’aura que peuvent engendrer leur statut. Malheureusement, ça a conduit à des comportements d’inconduites sexuelles envers de nombreuses femmes. Ce sont un peu les Weinstein des clubs, et c’était important pour moi de dire que ce genre de choses existe, surtout pour que les gens puissent se protéger des dangers que cela implique.

Dans High Rise, tu parles d’un sujet peu discuté dans le rap : la gentrification. J’ai écrit ce morceau lorsque j'ai déménagé à Toronto avec ma petite amie, nous avons eu du mal à trouver un appartement. Nous avons visité des dizaines d'endroits, mais chaque fois il y avait un problème : soit le propriétaire était raciste, soit il y avait plus de 80 personnes qui faisaient la file pour visiter une maison. On était dans une impasse, et il semblait inévitable que nous finissions par emménager dans l'une de ces tours à condos sans âme. C’est à ce moment-là que j'ai écrit High Rise, une chanson qui parle de l'embourgeoisement du point de vue d'un agent immobilier vénal qui veut détruire le tissu social de tout un quartier. L’ironie dans tout ça, c’est qu’avec Jacques Greene on a créé cette chanson dans un studio où il y avait une tour à condos en construction de l'autre côté de la rue!

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Comment penses-tu que cet album va être reçu?

Je suis assez optimiste, les gens connaissent mon potentiel depuis longtemps. Avec cet album, c’est comme si je leur montrais tout ce dont je suis capable. C’est pour ça que je l’ai appelé Cadence Weapon : parce que ça me représente bien. C’est comme une renaissance artistique, un peu comme une réintroduction de ma vibe au public.

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D’ailleurs ça fait plus de 10 ans que tu es dans le rap. Que penses-tu de son évolution au Canada?

C’est très excitant! Toronto est vraiment devenue une mine d’or en termes de rap et de RnB; tu peux croiser un rappeur à chaque coin de rue! Je me souviens encore du temps pas si lointain où les gens trouvaient le rap canadien weird et que ce n’était pas cool d’en écouter. Aujourd’hui, lorsque tu vois le succès d’artistes comme Drake, The Weeknd, PartyNextDoor ou encore NAV, c’est très inspirant, et tu mesures le chemin accompli par la scène canadienne. Il y a du rap différent partout au pays, chaque ville à son propre son. Les gens ont arrêté d’imiter les Américains et écoutent leur propre vibe.

Et toi, tu te situes où dans tout ça?

J’estime avoir une carrière intéressante pour le moment, j’ai tout de même été nommé deux fois au Prix Polaris et été élu le rappeur le plus créatif au Canada. Pourtant, je n’ai pas sorti de musique depuis cinq ans, et c’est comme si j’avais de nouveau tout à prouver. Je pense que la phrase qui me définit le mieux est le nom d’un album de Three 6 Mafia : Most Known Unknown. Je pense d’ailleurs que ce quatrième album va avoir une grande importance pour définir ma place dans le rap canadien actuel.