À la fin des années 90, toutes les filles pré-pubères se foutaient bien de savoir si elles étaient une Carrie, une Samantha, une Charlotte ou une Miranda. Elles avaient bien autre chose à faire de leur temps libre, comme de savoir si leur personnalité était plutôt proche de celle de Ginger ou de celle de Baby. Comme bon nombre de mes consoeurs nées au milieu des années 80, l'année 1996 a sonné le début de mes goûts musicaux et le début de la perte de dignité que j'avais pour moi-même. Heureuse détentrice d'une chaine hifi, d'un peu d'argent de poche pour m'acheter des CDs deux titres, une nouvelle vie et une nouvelle personnalité - la mienne - s'offraient dorénavant à moi. Un peu perdue dans cet océan de possibles, un refuge s'est pourtant rapidement trouvé au sein d'un clan de cinq petites filles martelé à la télé par l'émission Hit Machine et les clips du matin. Un premier vrai gang, une sisterhood puissante qui passait son temps à hurler en marchant sur les tables, poussant toutes les 4 secondes le cri de guerre de mes dix ans : GIRL POWER.
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À cette époque, les garçons étaient tous petits et cons - en tout cas ils en avaient l'air. Alors qu'ils passaient leur temps à claquer les brassières des 5e année, alors qu'ils n'avaient toujours pas mué, je me plaisais à rêver d'un monde prochain et possible où j'aurais une répartie similaire à celle de Geri (j'étais évidemment Ginger, tu crois quoi ?) pour leur dire que je me foutais d'eux, que les amies il n'y avait que ça de vrai, et que non, ce n'était pas « poche » d'être une fille. C'était la classe d'être une fille. La grosse classe.Le groupe, résultat d'une petite annonce passée dans le magazine The Stage, n'a pourtant à l'époque que deux ans. Réponse avec des boobs aux boys band qui fleurissaient à la même époque, le groupe se retrouve rapidement formaté par les grosses machines de l'industrie musicale UK. Les Spice Girls réussissent le pari de signer rapidement un contrat bien lourd chez Virgin et montrent d'emblée de quel bois elles sont faites en virant leur premier manager Chris Herbert pour le remplacer par Simon Fuller (qui, en digne émissaire de Satan, ira ensuite monter S Club 7 et tout le dispositif télé-réalité Idols). On est bien loin de leurs homologues masculins, dont les burnes sont souvent restés coincées dans des pantalons trop serrés.
En 1996, quand « Wannabe » inonde - voire pollue - les ondes, avant la sortie du premier album éponyme des Spice Girls, les cinq filles deviennent les fers de lance d'un vrai mouvement qui se balade en minijupe et laisse sur son passage une effluve puissante d'eau jeune. À grand coup de poses énervées dans les numéros de Cool où elles répètent à cors et à cris leur « Girl Power » (un slogan qui servait à l'origine de nom au fanzine de Kathleen Hanna, leader de Bikini Kill), Geri, Mel B, Mel C, Emma et Victoria « politisent » les gamines de mon âge qui se trouvent à prôner une sororité toute neuve tout en rêvant de mettre cette petite robe ultra moulante aux couleurs de l'Union Jack dès qu'elles auront une vraie paire de seins. On regarde plus nos copines comme des possibles rivales pour le coeur de Maxime, mais comme des partenaires de galère, un truc cu-cul du genre « on est toutes différentes mais on se complète quand même ».
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Plus loin que moi et mes copines, le monde entier tombe ainsi sous le charme des Spice Girls. Légères mais authentiques, féminines mais féministes, jolies mais avec un vrai tempérament. Pas nian-nian mais pas tarées, elles servent de modèles à toute une génération de petites meufs qui ne savent pas encore où se placer sur le grand échiquier de la vie. Du côté des chiquitas, pardi. Ce qui n'empêchera néanmoins pas bon nombre de parents de vouloir se boucher les oreilles avec de l'amiante pour ne plus jamais réécouter un nouveau « zig-a-zig-ah », (la seule partie qu'on avait retenue quand on était pas encore en anglais débutant).
Les Spice Girls étaient évidemment calibrées pour plaire. Les ados au coeur de midinette pouvaient choisir celle qui leur ressemblait le plus, comme quand elles sélectionnaient quelques années auparavant la meilleure copine de Barbie. Tu es du type à faire souvent la gueule ? T'es Posh. Tu es immature ? Sois Baby. Tu parles fort ? Pas de doute, tu es Scary. Tu fais du sport, t'es un peu garçon manqué ? Tu es Sporty. Tu es exubérante ? Bim, team Ginger. Une fois que tu as trouvé tous les membres de ton groupe « épicé » (et que tu as, accessoirement, forcé quelqu'un à être Mel C.), il ne te reste plus qu'à répéter la choré de Wannabe pendant la récré. Un premier single qui reste encore plus de 20 ans plus tard un putain de hit (j'en tiens pour preuve le fait qu'on m'ait tippé 5 dollars une fois en soirée pour que je le passe), et le message qui en ressort, super positif.
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Comment ne pas être d'accord avec un message qui disait en substance « soyez toutes des copines » et « ne sortez pas avec des idiots » ? Et qu'on retrouvera en filigrane, tout au long des 9 autres titres de Spice, sorti en novembre 1996. Un truc global mais rassurant, des grandes soeurs pas trop présentes qui te balancent des « mettez des condoms », « vos mères vous font peut-être chier mais quand même elles vous ont donné la vie » et « pour qui tu te prend gros narcicisste ? » (peut-être pas le plus rassembleur, ok, mais c'est celui sur lequel j'ai le plus dansé devant ma glace).En 1997, fortes d'un succès international, de cet album qui se vend encore mieux que des petits pains à la coke, les cinq britanniques se plaisent à secouer la planète pop avec véhémence, et se mettent à manger à tous les râteliers. Minijupes supra courtes, comportement un peu vulgaire mais pas trop (elles tirent la langue à la caméra ! Elles ont pincé les fesses du Prince Charles ! Elles parlent de sexualité mais font la bise à Nelson Mandela ! Whoo !), elles pourraient fièrement continuer sur leur lancée et pourtant, le mouvement commence lentement et gentiment à s'essouffler. Trop vite, trop haut, les Spice Girls maîtrisent mal une carrière qui a décollé comme une fusée.
Comme tous les jeunes groupes qui pensent être les seuls responsables de leur succès, elles virent assez rapidement leur manager, Simon Fuller, l'homme à l'implantation capillaire parfaite qui, avant de partir, remplit copieusement leur agenda, à coups de tournée, de tournages et d'enregistrements d'albums. Sans oublier des contrats publicitaires, qu'elles signent à la chaîne : les Spice Girls semblent ainsi accepter tous les partenariats qu'on leur propose. On parle ainsi de 300 millions de livres, rien que sur l'année 1997, ce qui leur vaut une montée de critiques en Grande-Bretagne. Parce que même si c'est chouette de se proclamer et de revendiquer son féminisme, si c'est juste pour pouvoir vendre du Pepsi et des chips aux kids, c'est pas forcément nécessaire…
1997, année WTF
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Poussée par leur maison de disques qui n'a surement pas envie de voir la source de cash se tarir, le groupe lance à peine un an après Spice leur deuxième album, Spiceworld. Enregistré à la va-vite l'été 1997, sorti encore plus à l'arrache deux mois plus tard, Spiceworld n'est pas un four total, mais le disque commence à montrer que le concept Spice Girls n'est pas aussi bien conçu qu'il en a l'air. Il semble même s'éloigner des thématiques « féministes » qui avaient pourtant marqué leur premier disque et qui avaient apporté une vraie différence à ce groupe formé sur catalogue. Sérieux, que dire d'un truc comme « Spice Up Your Life » dont les auteurs avaient clairement abusé de taurine et de Guronsan ?Ou de « Too Much », dont la production semble pompée sur les bandes annonces des films que diffusent TVA à des heures plus que tardives ?Sans parler du sirupeux « Viva Forever » (sérieux, plus jamais de la guitare espagnole dans un titre pop, c'est IN-TER-DIT) et son clip guimauve où les membres du groupe sont grimées en petites fées. Please, n'en jetez plus.Mais la pire surprise de leur année 1997 reste à venir. Elle surgit à la fin de l'année avecSpice World - The Movie,long-métrage quand même présenté en mai au Festival de Cannes. In your face, Xavier Dolan. Ce film infernal, détenteur du pouvoir magique de rallonger le temps, se voulait l'équivalent du
Spiceworld, The Movie, horreur sur grand écran
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A Hard's Day Nightdes Beatles. Peine perdue, ça ne se regarde même pas saoul, même pas pour rigoler, rien.Spiceworld - The Moviese subit et mérite vingt ans plus tard d'être en intégralité sur Youtube, parce que ça serait manquer de respect au plastique de le graver sur DVD.Finalement, le film sonne aussi creux que le message délivré un an auparavant, et le public, même mineur, commence à se demander ce que font ces cinq meufs de toute évidence un peu incomfortables. Les super-héroïnes qu'on avait découvertes un an plus tôt ont désormais l'air de nunuches, et le fait qu'Elton John soit impliqué dans le projet n'arrange rien. Le film, irregardable, lance une vraie question : que sont en train de foutre les Spice Girls ? Personne n'a la réponse, mais en tout cas, le petit bus rouge dans lequel voyagent les cinq filles semble s'éloigner à vitesse grand V des problématiques féministes.Même si la présence d'un groupe :
Les Spice Girls sont-elles militantes ?
- intégralement composé de filles
- menant leur vie et leur carrière comme bon leur semble
- connaissant un succès international
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