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Music

Un bref historique des maillots NBA dans le rap français

De Busta Flex à Booba en passant par Dadoo, les rappeurs français ont toujours entretenu des liens troubles avec le sport préféré de leurs homologues américains.
Keuj
par Keuj

J’ai deux grandes passions après Castoriadis et Melville, le basket-ball et le rap. J’ai d’ailleurs passé une partie de mon adolescence à chercher des liens entre les deux. Nous sommes d’accord, ils sont nombreux. Le basket influence le rap et vice versa. De « Basketball » de Kurtis Blow en 84 - dont le refrain a été repris comme générique dans 2K, le jeu vidéo de basket de référence – à « White Iverson » du si bien nommé Post Malone plus récemment, l’addiction de bon nombre de rappeurs à la balle orange n’est plus à prouver. Pour Notorious BIG, avoir un bon tir faisait même figure d’unique alternative à la vente de crack pour les kids de Brooklyn, « Either you’re slinging crack rock or you got a wicked jump shoot » rappe(lle) ainsi le plus célèbre gros du rap dans « Things Done Changed ».

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Le rap constitue donc la bande-son officielle du basket aux USA. En France, cette proximité est moins évidente. La faute à une tradition footballistique chez les rappeurs français. Kool Shen et Sefyu auraient pu faire carrière sur la pelouse, IAM est indissociable de l’OM, Rohff a le cœur qui balance entre le PSG de Zlatan et le Real de Benzema, MC Solaar a passé sa jeunesse sur les terrains et Gynéco a troqué la blouse blanche contre les crampons le temps d’un « classique ».

À partir de la deuxième partie des années 90, la donne a un peu changé avec l’arrivée d’une nouvelle génération de rappeurs biberonnée aux caisses claires d’Havoc et aux envolées de Georges Eddy commentant la NBA sur Canal+. Le basket a ainsi réussi à se faire une place à côté du foot sur la scène rap hexagonale. On pense évidemment à Oxmo Puccino dont le frère Mamoutou joue en Pro B à Antibes. Il y a aussi Manu Key qui dit apprécier le côté « glandeur du seul sport avec la pétanque où l'on joue en débardeur ». Puis enfin Busta Flex millésime 98 qui débarque en Jordan XIII accroché au cercle dans le clip de « J'fais mon job à plein temps ». D’autres passionnés comme Booba, Dany Dan, Ol’Kainry ou Zoxea sont devenus au fil des ans des habitués du célèbre tournoi de street parisien, le Quai 54. On les retrouve d’ailleurs sur le titre du même nom.

Mais ce n’est pas le tout de faire des morceaux blindés de références au basket. Encore faut-il aller au bout de la démarche en s’affichant aux couleurs de la NBA dans son clip. C’est là qu’intervient ce que je nommerais la jurisprudence MTV Base 2000, un principe selon lequel tout rappeur fan de basket se doit d’adapter sa garde robe en fonction de cette passion. Ce qui explique en partie pourquoi on a assisté à un défilé de maillots dans la plupart des clips américains à cette période. Faites-le test vous verrez. Nelly, Fabulous, Fat Joe, Cam’ron, Jadakiss, pas un pour rattraper l’autre. Ce marqueur vestimentaire a évidemment complètement changé aujourd’hui, comme on peut le voir dans ce clip de Joe Budden.

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Bref, tout ça pour dire qu’il est temps de faire un bilan des courses de ce côté de l'Atlantique, qui a, comme toujours, un TER de retard. Place à un guide express des maillots de basket dans les clips de rap français.

GRADUR - « Jamais »

On démarre avec l’exemple le plus récent qui m’a donné l’idée de ce bilan. Connu pour ne pas trop calculer, Gradur s‘affiche dans « Jamais » avec le maillot de Kevin Durant d’Oklahoma. On notera sa petite fantaisie de porter le maillot à l’envers avec le numéro 35 du MVP 2014 sur le devant. Dédicace au département breton ou trop de sable dans les yeux pour s’habiller à l’endroit ? Le mystère demeure. Sur le plan physique, il y a peu de ressemblance entre la grande tige ricaine adepte du tir longue distance et l’amateur de tractions nordiste. Gradur serait plus proche, au moins dans l’énergie déployée, du meneur des Bulls Derrick Rose à qui il fait une dédicace à peine masquée dans « Terrasser ».

HIFI – « J’anticipe »

Première hypothèse pour ce choix de Hifi, il ne connaît pas trop le basket et s’est procuré le seul maillot disponible dans les anorexiques rayons basket de Super Sport ou de Décathlon de l'époque. Deuxième hypothèse, cet hommage à Tony Parker relève d’une sorte d’exception culturelle française voire de patriotisme au nez et à la barbe des Américains, le meneur de l’équipe des Spurs symbolisant la réussite made in France. Troisième hypothèse, le titre s’appelle « J’anticipe » et force est de constater que c’est une qualité principale du jeu de Tony Parker. Dernière hypothèse, l’ancien X-Men a vu une similitude entre leurs deux statuts de prospect confirmé. Le morceau sort en 2004 à l’époque où TP se voit offrir un gros contrat après trois années convaincantes et un premier titre NBA. Rappelons qu’il lui en faudra encore deux pour prétendre « manger des steaks grand comme la Croatie ». La structure familiale des Spurs fait de lui l’un des piliers de l’équipe, un peu à l’image de 45 Scientific avec Hifi. Mais la comparaison s’arrête là vu les trajectoires très différentes des deux hommes par la suite. Hifi, reviens !

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SAT feat. MATT HOUSTON – « Hotel Motel »

Dans cette première des deux collaborations entre l’artificier et le prince du R&B de rue, Sat porte le maillot de Fred « Curly » Neal, ancien joueur des Harlem Globetrotters adepte de la booty pass. On comprend tout de suite mieux la phase de l’artificier : « Cette fille est une vraie poupée montée comme une jument ».

BOOBA

Difficile de passer à côté de l’ourson national qui entretient un rapport privilégié avec le basket, dans sa version exclusivement NBA bien entendu. Les références dans ses textes sont nombreuses. J’en retiendrai ici trois. « T’approches pas de mon panier, plus de trois secondes dans la raquette » dans Gun in Hand », « J’fais le taf comme Rony Turiaf » dans Bad Boy Street ». « Tony dis-leur que j’gagne que j’dunke sur Tim Duncan » dans « Top of the Game ». Sa passion pour le basket est d’ailleurs proportionnelle à son indifférence pour le football. « J’ai rarement joué au foot. À part une fois, on m’a fait rentrer à dix minutes de la fin, sous la pluie, j’ai mis quelques tacles et je suis sorti » racontait-il dans une interview aux Inrocks en novembre 2010. Concernant le basket français, rappelons que Booba semble également peu emballé comme il l’expliquait dans l’Equipe : « Ils jouent du tambour et de la clarinette dans les tribunes. Les joueurs ont Prisunic et Brioche Dorée sur leur maillot. Je n’aime pas. Faut venir avec sa corde ! »

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« Numéro 10 »

QLN, que la NBA. Comme souvent chez Monsieur Yaffa passion rime avec excès quitte à s’accaparer tous les signes distinctifs de l’amateur de NBA. C’est le cas du clip « Numéro 10 ». Booba s’y affiche avec une sorte de maillot de foot américain orné d’une palanquée de logos old school correspondant à plusieurs franchises NBA. On distingue entre autres les Knicks, les Bullets, les Rockets, les Warriors, ou encore les Blazers : « C’qui nous pousse la gourmandise pas la faim ».

Mais pourquoi une telle surcharge ? Complétée en plus d’une casquette siglée NBA ? On pourrait penser que Booba cherche par là à s’imposer comme l’incarnation de la culture US dans le rap français, au travers de la NBA. Quitte à jouer le porte-manteau ambulant ou à passer pour un mec incapable d’être fidèle à une équipe. Sans jouer les Thomas Ravier de service, cette attitude renverrait davantage à une tactique courante dans un contexte de compétition. On hyperbolise en quelque sorte ses attributs pour mieux euphémiser les atouts de l’adversaire. « Je suis tout, tu n’es rien » pour le dire plus simplement.

« Corner »

Booba s’est aussi illustré avec un maillot de Kobe Bryant dans le clip « Corner », une ode à la chille à grand renfort de parties de dominos. Désormais à Miami, Booba aurait pu choisir la facilité en choisissant un maillot de la franchise du Heat dans laquelle il aurait investi en 2013. Pourquoi pas avec un flocage de son joueur préféré, Lebron James. Mais c’est mal connaître l’animal qui fait preuve de ressources en optant pour le maillot d’un joueur avec lequel il partage pas mal de points communs : ils sont de la même génération – 37 piges pour Kobe et 38 pour Booba - celle qui a bousculé l’ordre établi dans sa discipline à la fin des 90’s. Ni old school ni new school, entre deux feux comme dirait la Fonky Family. Des débuts en duo gagnant - Ali d’un côté, Shaquille O’Neal de l’autre - alors que ce sont fondamentalement deux solistes. Un talent énorme reconnu de tous et proportionnel à leur ego surdimensionné. Un statut de référence dans leur discipline avec des skills qui ont inspiré la jeune génération, jusqu’au plagiat maladroit parfois. L’éternelle soif de victoires malgré les années qui passent et la concurrence des jeunes pousses. Des dernières performances qui font tâche dans le tableau d’ensemble. Mais en même temps difficile de faire bonne figure quand tu es accompagné sur le terrain de Nick Young et sur le refrain de Rockin Squat. Le « j’traine seul ou mal accompagné » de Booba prend alors tout son sens.

Au final, le choix du maillot de Kobe est complètement validé, davantage que dans « Jean talons » de Driver en tout cas. On ajoutera au passage que cette pièce est assez prisée car elle peut aussi se décliner en version féminine. Les fans d’Iverson se rabattront eux sur Kayliah. Mais on s'égare.

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Ol’KAINRY feat. RAEKWON – « De Park Hill à 91 Pise »

Ol Kainry devait sans doute se demander comment faire le poids en featuring avec Monsieur Ice Cream. Du coup il enfile un maillot des Denver Nuggets. Vous me direz c’est vrai qu’on imagine plus l’apprenti boxeur devant un saut de Tenders qu’une assiette de quinoa. Le maillot sans flocage est plutôt de bonne facture, preuve que le gaillard s’y connaît en sport américain. Reste à savoir si le choix de l’équipe de Denver lui a été soufflé par Jango Jack après « Pom Pom Pom » ? Et si le Chief a validé.

DADOO - « Les Sales gosses »

Comment passer à côté ? Les mots viennent presque à manquer devant un tel spectacle. Au delà du maillot de Paul Pierce sur les épaules de Joey Starr, on retiendra le bon goût de Naughty J arborant le maillot de l’efficace numéro 20 des Knicks, Allan Houston. Le casting exceptionnel et la menace de mort d’un Dieudonné encore fréquentable sur Jamel viennent ajouter une pincée de sel sur ce plat déjà très savoureux des années 2000.

Hors compétition : Le cas des Celtics de Boston

Une énième insulte à la NBA lorsque des parodies de rappeurs se déguisent aux couleurs de la Green Team. D’accord pour le second degré mais Bill Russell, Larry Bird ou Kevin Garnett méritent un peu de respect messieurs.

MANAU - « Celtique d’aujourd’hui »

Martial Tricoche n’a pas eu à se fouler pour trouver un maillot raccord avec l’identité musicale du groupe. Direction l'Intersport de Quimper pour trouver le maillot de Rajon Rondo. À noter que le Breton récidive dans « Le Chant du coq » où l’on aperçoit un T-shirt de Derrick Rose des Bulls sous le manteau. La fidélité celtique a ses limites.

FATAL BAZOOKA - « Fous ta cagoule »

D’accord, il ne s’agit pas de maillots de basket mais des complets du même style que ceux portés par les joueurs lors de l’échauffement. Qu’importe. Mickaël Youn remet ça avec les Celtics de Boston à la toute fin du clip « Mauvaise foi nocturne », impardonnable. Et que dire de « J’aime trop ton boule », pire dédicace à l’ancien ailier des Celtics Paul Pierce, aka The Truth et futur Hall of Famer. Famille monoparentale, enfance à Inglewood, 11 coups de couteaux reçus à la sortie d’un bar en septembre 2000 qui ne l’empêchent pas de jouer les 82 matchs de la saison. Loin, bien loin du background de Michaël Benayoun.

Bonus : JAY-Z - « I Can’t Get With That »

L’exception qui confirme que le rap français n’a pas le monopole de l’erreur de casting. Le patron pris en flagrant délit de trahison. Pourquoi le maillot de Reggie Miller quand on connaît l’opposition féroce entre la hype new-yorkaise et les rednecks de l’Indiana au milieu des 90’s ? On mettra ça sur le compte de la jeunesse à moins qu’il faille chercher plutôt du côté du triptyque talent-insolence-maitrise commun aux deux hommes. L'explication la plus simple serait d'insister sur le côté knick killer de Shawn, natif de Brooklyn devenu actionnaire des Nets. Sauf que l'intéressé a été vu plusieurs fois avec un maillot des Knicks. Notamment lors de cet hommage à l'excellent Latrell Sprewell (frère caché de Yerim Sar selon certains).

Il en manque sûrement mais je ne mettrai à jour cet article que le jour où Jul portera un maillot de Stephen Curry. Flamen Keuj est sur Twitter.