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Young Dolph est le rappeur le plus responsable de Memphis

« Dans la rue, soit on te respecte, soit t'es une victime. Et les victimes de la rue finissent toujours par se foutre en l'air. »

Le rap a toujours été déterminé par l'élément psychogéographique, plus que tout autre type de musique. La musique et les thèmes abordés laissent rarement place au doute quant à la provenance d'un rappeur. Avec Internet, ce constat s'estompe lentement : un artiste peut s'inspirer de sons produits à 10 000 km de chez lui et se faire des fans partout dans le monde. C'est donc encourageant de voir que Young Dolph est un rappeur dont la carrière est profondément ancrée et attachée en des lieux précis. Sa voix traînante, typique de la région de Memphis, est familière et rassurante, comme s'il rappait la bouche pleine. Le plus important le concernant, c'est peut-être ses tournées où il écume des villes qui n'ont, à première vue, que peu de liens avec le rap, comme Pensacola, Birmingham et Indianapolis. Et c'est là que Dolph se fait la plus grande partie de ses revenus. Les tactiques de Dolph sont spéciales (il distribue toujours ses CD's lui-même, ville par ville), ce qui explique sûrement pourquoi l'industrie ne l'a pas accueillie avec le même enthousiasme que ses pairs. On ressent dans ses mixtapes comme South Memphis Kingpin, et plus récemment High Class Street Music 4, un amour pour le gros son de club mais également un sens de l'humour corrosif et un soucis du détail. Dolph est un type qui rappe à la fois sur la rue et les rapports compliqués qu'il entretient avec ses parents. Qui bouffe de la junk food en portant une montre sertie de diamants. Qui se plaint des meufs trop chiantes en sortant des trucs de type : « she like to argue so I sent that bitch to law school » sur des prods méga-lourdes signées Drumma Boy, Zaytoven, Metro Boomin ou encore DJ Squeeky.

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Dans ses réponses comme sur ses mixtapes, Young Dolph se dégage rapidement du lot et se révéle être un type accueillant, sympa, réfléchi et ouvert d'esprit. Il nous a parlé de sa famille, de son sens des responsabilités et de ses concerts tarés, ceux de ses débuts, au cours lesquels il balançait des dollars au public. Voilà « Preach », un nouveau morceau de Dolph en avant-première juste en dessous, suivi de quelques réflexions personnelles sur sa vision du monde.

Noisey : Des gens de Memphis en particulier t'ont guidé ou inspiré ?

Young Dolph :

Tout vient de la rue et des gens qui y traînent. Je suis de la rue, elle m'a vu grandir et évoluer au sein de ma musique, pour enfin percer et faire de plus gros trucs. Ce sont ces gens là qui me motivent le plus, qui me poussent vers l'avant. Ils veulent me voir gagner. Et même vis-à-vis de l'industrie musicale, ils me disent que j'ai travaillé dur pour obtenir ce que j'ai finalement obtenu, j'y ai mis du temps et de l'argent mais j'ai cru en moi et j'ai tout donné. Ça c'est le vrai Young Dolph. Tout le monde te le dira.

Tu es monté tellement vite que les gens n'ont pas pu te louper.

Ouais, exactement. Pour le premier concert que j'ai donné à Memphis, j'avais prévu cinq groupes à l'affiche. Quand je suis monté sur scène, j'ai balancé des billets dans la foule. Tu connais qui à New-York qui est capable de booker 5 groupes pour son premier concert ? Tout est dit… J'ai la rue sous contrôle. Quand les promoteurs ont essayé de me faire jouer, ils m'ont demandé de venir seul, ils m'ont dit que je ne pouvais pas me ramener avec cinq groupes. Et puis ils ont finalement accepté. Je suis monté sur scène avec un sac Ferragamo sur l'épaule, dans lequel j'avais mis la thune du concert et j'ai balancé tous les billets dans le public. J'ai reversé l'argent à la rue, aux gens qui s'étaient pointés au club et à ceux qui écoutaient

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vraiment

ma musique. Toute cette thune ne veut rien dire pour moi.

Tu avais déjà sorti des productions pour récolter un tel succès d'entrée ?

Juste une mixtape, en 2009, juste pour le fun. Tout le monde me disait que je devais la sortir, parce que j'étais jeune, j'avais assez d'argent pour, peu importe si elle marchait ou non. J'ai finalement sorti cette mixtape ainsi que 20 000 CD's distribués dans la rue. J'avais mis mon propre fric pour le pressage des CD alors j'avais plutôt intérêt à les vendre. Je veux que chaque personne qui sorte dans la rue puisse entendre le son du quartier. Je ne l'ai pas fait pour l'écouter chez moi, je sais ce que c'est, je l'ai enregistré, donc j'ai demandé à tous mes potes qui s'occupaient de petits comme de gros clubs d'insister auprès de leur DJ pour qu'ils passent mon disque. Tous les DJ de Memphis te le diront : « Dolph était partout ». Ouais, j'étais partout, je traçais au volant de ma décapotable et tout le monde savait déjà qui j'étais. Vrais reconnaissent vrais, si Memphis t'aime, c'est pour une raison sincère. Memphis ne soutient pas n'importe quel mec du coin.

Il t'a suffit de distribuer tes CD's dans la rue pour en arriver là ?

Je passais ma vie dans la rue, je faisais ma propre promo, je prenais des photos. Peu importe ce que les gens veulent, je suis prêt à leur donner. Donc quand j'ai sorti ma première mixtape en 2009, c'était pour m'amuser et aussi pour prendre la température

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Et les réactions ont été super encourageantes, il y avait cette espèce de « Dolph mania » et tout le monde s'est mis au courant de ce qui se passait.

Vers 2010-2011, j'ai décidé de vraiment me lancer, de choper des feats, une putain de prod et j'ai demandé à DJ Scream de diffuser le tout. Pour tout le monde,

Welcome to Dolph World

est ma première vraie mixtape. Quand je l'ai sortie, elle a mis Memphis et toutes les villes du coin à l'amende. Je suis allé à Chicago, à Los Angeles, à San Francisco et à Oakland pour écouler tous mes CD's.

Tu as conservé la même approche aujourd'hui ?

Ça n'a pas changé, il faut toujours faire presser ses disques et aller les écouler soi-même. Mais il y a une différence, aujourd'hui tout le monde a un téléphone pour écouter de la musique. Même les bébés savent s'en servir. Maintenant tu peux brancher ton téléphone directement sur un ampli. C'est là qu'est le game aujourd'hui, mais je continue quand même de sortir des CD's.

Tu te souviens de la première fois où tu as entendu un de tes morceaux en club ?

Pour être honnête, la première fois que ça s'est produit c'est parce que j'avais conclu un deal. Un vendredi soir, je me suis pointé dans un club où un de mes potes était DJ. Lui et moi, on était du même quartier, donc on s'est mis bien dans le coin VIP. Tout le monde nous connaissait, ils étaient tous hyper excités que Dolph soit là, dans le même club qu'eux. J'ai demandé au DJ de passer mon morceau, je lui ai filé 100 balles et je me suis cassé. Et il l'a passé ! Dans le game, t'as beaucoup de mecs qui ont de la thune mais qui font une musique nase, et tu as les mecs qui font des trucs cool mais qui manquent de thune. Moi, j'ai tout simplement bossé dur pour en arriver là.

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Mais t'es quand même prêt à mettre un peu plus de thune pour y arriver.

Je ne prends rien à la légère, je ne lui ai pas filé 100 balles comme ça, pour qu'il joue mon truc. Quand je faisais ma promo, j'organisais toujours un truc le vendredi, les gens le savaient, on chillait tous dans le coin VIP. On organisait une sorte de fête itinérante, on commandait 200 ailes de poulets et 20 bouteilles pour tout le monde. Memphis le savait, le vendredi soir c'était la soirée de Dolph. Mais tout ça se passait au tout début. C'était mon tout premier morceau, et je voulais vraiment qu'il le passe, et je ne lui ai pas laissé le choix. J'obtiens toujours ce que je veux.

Tu te souviens du premier rap que tu as enregistré ?
C'était sur le beat de « White Girl » de Jeezy. Un de mes potes m'avait invité dans son studio, j'avais pas prévu d'enregistrer quoique ce soit, on s'amusait c'est tout. J'ai commencé par un freestyle et j'ai enregistré. À ce moment-là, Jeezy était le mec à suivre, tout le monde l'écoutait. J'ai rappé dessus et tout le monde a vite été obsédé par mon morceau, ils le voulaient tous sur leur mixtape. J'ai donc sorti ma propre mixtape et le buzz a été instantané.

Tu peux nous parler de tes parents ?

Mon père et ma mère viennent aussi de la rue. Ma mère est de Chicago et mon père de Memphis. Il se sont rencontré quand mon père a quitté l'école. C'étaient des

hustlers

, ils vivaient de trafic. Dans la rue, soit on te respecte, soit t'es une victime. Et les victimes de la rue finissent toujours pas se foutre en l'air. Mes parents ont eu cinq enfants, j'ai deux frères et deux soeurs. Ma grand-mère pensait qu'ils n'étaient pas assez matures pour avoir des enfants et de vraies responsabilités et qu'ils ne seraient jamais capables de nous élever. Alors ma grand-mère de Memphis a pris les garçons et celle de Chicago s'est chargée d'élever les filles.

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Tu les voyais quand même ?

Ils étaient là sans vraiment être là. Ma grand-mère ne voulait pas qu'on finisse comme eux. Je viens peut-être de la rue, j'ai fait certaines choses, mais ça aurait été bien pire si j'étais resté chez eux. J'ai appris certains trucs, comme respecter ma grand-mère, et à en éviter d'autre. Il fallait que j'aille à l'école sans décrocher sinon je me prenais une torgnole direct.

Dans le morceau « At The House » sur South Memphis Kingpin, tu dis que ton père habite toujours dans le sud de Memphis et qu'il ne le quittera jamais.

Mon père s'appelle Dolph. Dolph c'est mon vrai nom, pas un nom de rappeur ou un pseudo, c'est vraiment mon nom. Je suis du même quartier que mon père, on est allé dans la même école, on a fait les mêmes choses. Mes parents ne vivent plus dans le quartier depuis un bon bout de temps, j'ai préféré les installer en banlieue. C'était une de mes priorités. J'en étais arrivé à un point où je voulais juste couper toutes les relations que j'avais avec eux, je ne voulais plus repenser à tout ça. Mais je les ai pardonnés, ma grand-mère m'a dit que peu importe la façon dont ils s'étaient comportés envers moi, ils resteraient toujours mes parents, et je n'en aurai jamais d'autres. Ma grand-mère était fâchée avec eux depuis bien plus longtemps que moi, mais j'ai finalement réalisé que c'est elle qui avait raison, donc dès que j'en ai eu la possibilité, je les ai emmenés loin du sud de Memphis. Quand je sors dans le quartier, voir mes potes, je croise toujours les potes de mon père. C'est comme ça, c'est chez lui ici et c'est chez moi aussi.

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Il se passe quoi en ce moment à Memphis ?
En swag rap, pas grand chose. Y'a des trucs cool hein, tu peux en entendre partout, mais nous, on fait de la musique ancrée dans la réalité. C'est pour ça qu'on nous écoute, on fait de la vraie musique sur des sujets réels

Ca se passait comment à l'école ?

Je ne suis pas allé à la fac, mais j'ai fini le lycée, ça me va. Je ne pensais jamais avoir mon diplôme mais j'y suis finalement arrivé. C'était surotut pour faire plaisir à ma grand-mère. Après le lycée, je me suis fait de l'argent assez rapidement, je n'avais pas besoin de l'école pour ça.

Quels sont les morceaux dont tu es le plus fier ?

Mes deux morceaux préférés sont « At The House » et « Dream ». J'aurais dû attendre avant de sortir « Dream », mais le son était si bon que j'ai voulu la sortir immédiatement. À l'époque, je ne savais pas encore ce qui m'attendait.

Qu'est-ce que tu racontes de si important dans ces morceaux ?

Je dis que le game, c'est comme la vie. Si tu veux quelque chose, il te faut la motivation pour l'atteindre. « At The House » parle de la famille, les valeurs et les situations que tu peux traverser. Et les responsabilités. Quand tu sors de chez toi pour aller travailler, ou que tu rentres de club, tu te dis toujours qu'il faut que t'arrêtes de dépenser de l'argent. C'est très dur de parler de « Dream », c'est de là d'où tu viens, c'est ton futur et c'est toutes ces choses que tu as à faire.

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Il y a des principes qui guident ta vie ?

La famille. Dieu en premier, et la famille ensuite.

Où en sont les membres de ta famille aujourd'hui ?

Ma grande soeur vient d'avoir une fille, ça faisait 30 ans que ça n'était pas arrivé dans notre famille.

[Rires]

Mes frères habitent dans le coin et ma soeur est revenu s'y installer. Mes petits frères sont à Memphis aussi, on s'éclate bien en ce moment.

Quel âge a ton fils ?

Un mois. Il passe sa vie à téter et la seule chose qu'il veut c'est sa mère.

[Rires]

Et ça te fait quoi d'être père ?

Je suis hyper heureux. T'es devenu un homme, t'as pris tes responsabilités, et tu en veux encore. Maintenant j'ai mon propre enfant… C'est marrant.

Peu d'artistes abordent la responsabilité, toi tu en parles beaucoup. C'est intéressant.

Je garde un côté tenace, mais j'en oublie pas les responsabilités pour autant. On veut tous sa propre maison, sa voiture, traîner avec des gens friqués mais pour ça, il faut qu'on puisse compter sur toi. Si ta petite soeur te demande un peu d'argent, tu dois être ferme et lui dire « je veux bien te donner de l'argent, mais tu dois te donner du mal parce que je ne serai pas toujours là. »

Tu faisais quoi avant de te lancer dans la musique ?

Je zonais dans la rue. C'est là d'où je viens, on faisait ce qu'on avait à faire. Ma grand-mère avait trois garçons à élever. T'imagines toi, à 77 ans, devoir élever trois gamins en plein milieu d'une cité, avec toutes ces histoires de gangs et de drogues ? Ça a dû être très dur pour elle. Et puis j'ai réalisé que j'avais des responsabilités, qu'elle ne pouvait pas se charger de tout. J'ai toujours aimé l'argent, donc quand j'ai eu 15-16 ans j'ai plongé la tête la première dans la rue. Je me faisais de l'argent, je m'occupais des devoirs de mes frères, pour ne pas qu'ils finissent dans la rue à tapiner ou à s'éreinter dans un boulot de merde. C'est comme ça qu'un homme devrait réagir, les femmes de ta vie ne devraient pas avoir à travailler aussi dur, c'est toi l'homme et c'est à toi de prendre tes responsabilités.

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Tu as des regrets ?

Putain, ouais. Un jour tu ne peux plus te contenter de la rue et de te faire de l'argent. Tu en veux toujours plus, c'est comme ça. Tu ne seras jamais satisfait. Tu peux dédier tout ton temps à te faire de la thune, mais à un moment, tu réalises que ta famille et tes enfants te manquent et tu ne peux plus revenir en arrière. Rien n'est plus précieux que le temps, car tu ne pourras jamais le récupérer.

Mon oncle et ma grand-mère sont décédés aujourd'hui — j'étais très proche d'eux — et j'aurais aimé passer plus de temps à leurs côtés. J'ai aimé partager leurs vies, mais ils sont partis pour toujours. Et tout ce que tu peux faire, c'est regretter. Tu te dis que tu aurais aller moins aux putes, et rester plus longtemps auprès d'eux. Mon oncle fumait de la weed, j'aurais aimé qu'on en fume plus ensemble.

[Rires]

Mon cousin me disait qu'il était cool, mais je ne faisais pas attention, et pourtant il avait raison. A l'âge de vingt ans, j'ai tenté de m'éloigner de lui tandis qu'il continuait à me dire : « je suis passé par là aussi. Mesure les conséquences de tes actes, tu es un homme maintenant. »

Toutes les photos sont de Kyle Kramer.

Kyle Kramer ne pèse rien dans la rue mais il a côtoyé Young Dolph. Il est sur Twitter - @KyleKramer

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