J.G Ballard

FYI.

This story is over 5 years old.

livre

Il y a 30 ans, J.G Ballard prédisait déjà le danger des réseaux sociaux

En 1987, J.G Ballard envisageait déjà le danger imminent de la vie en ligne et des avatars virtuels. Aussi controversé que reconnu, l’auteur faisait preuve d’un fascinant pouvoir de prédiction.

Notre époque ne ressemble peut-être pas à la société décrite par la littérature dystopique du milieu du 20ème siècle, mais cela ne signifie pas qu’elle n’a rien en commun avec elle. Notre société n’est pas aussi brutale et immorale que la concevait Burgess et elle n’est pas gouvernée par un joug aussi tyrannique que celui imaginé par Orwell. En revanche, le flux dévastateur des réseaux sociaux avait bien été prédit dans i-D il y a quelques décennies, par J.G Ballard.

Publicité

« La peur de ce qu’on ignore nous a poussés à créer des illusions que l’on place désormais au coeur de cet inconnu. La vie réelle est devenue un soap opera. Avez-vous peur ? J.G. Ballard oui. » Voilà les mots qui ouvraient l’interview sombre mais prophétique de J.G. Ballard en 1987. Préoccupé par les relations entre conscience humaine et technologie, Ballard évoquait sa peur et prédisait qu’un jour, chacun voudrait devenir acteur, scénariste et réalisateur de son propre show télévisé, faisant figurer ses amis et sa famille au rang de personnages secondaires. Trente ans plus tard, dans une époque gouvernée par les personas virtuelles, son pressentiment laisse sans voix.

En 1987, son roman Empire of the Sun s’apprête à être adapté au cinéma par Steven Spielberg tandis que Crash, son œuvre la plus radicale, fait l’objet d’une ressortie qui conforte sa position d’auteur talentueux et controversé. Sous le titre « Voyageur de l’Hyper Réalité » , Ballard parle avec Jim McCellan et Steve Beard du « paysage médiatique » européen, une expression qui désigne la disparition du « réel » sous un brouillard généré par les médias, un thème qui parcourt largement sa littérature.

D’après Ballard, le « paysage médiatique » européen de 1987 correspond à un sens de la réalité déformé par le divertissement télévisé. The Day of Creation, son livre le plus récent à l’époque de l’interview, fait allusion à la façon dont les Occidentaux ont développé un appétit pour le morbide. Ballard a vu les documentaires traditionnels sur le Tiers-Monde être remplacés par des formats préférant la veine fictionnelle au sérieux et au factuel. La conviction de Ballard que notre désir de divertissement remplacera l’information factuelle résonne avec un public aujourd’hui obsédé par la réalité bricolée des shows télévisés.

Publicité

Chaque maison se transformera en studio télévisé. Nous serons à la fois acteurs, réalisateurs et scénaristes de notre propre soap opera. Les gens commenceront à se mettre en scène. Ils deviendront les propres sujets de leurs programmes télévisés. (J.G. Ballard, 1987)

Le concept d’Internet est seulement effleuré pendant l’interview : « le futur repose sur des courants de données invisibles produisant une boucle de commerce et d’information. » Mais étant donné le manque de compréhension du sujet à l’époque, Ballard montre déjà une conscience aiguë de l’importance fondamentale qu’il va prendre. C’est sa prédiction concernant les liens entre technologie et persona qui se révèle tristement pertinente. « Chaque maison se transformera en studio télévisé. Nous serons à la fois acteurs, réalisateurs et scénaristes de notre propre soap opera. Les gens commenceront à se mettre en scène. Ils deviendront les propres sujets de leurs propres programmes télévisés. » L’obsession du 21ème siècle pour savoir qui s’intéresse à notre vie scénarisée répond parfaitement à cette idée, la preuve en est donnée avec l’énorme succès des YouTubeurs ou les stories Instagram.

La déclinaison de l’identité en ligne a déjà montré son côté sombre à bien des égards, notamment à cause du sentiment de décalage répandu chez les jeunes lorsqu’ils comparent leur profil à celui des autres.

La déclinaison de l’identité en ligne a déjà montré son côté sombre à bien des égards, notamment à cause d’un sentiment de décalage répandu chez les jeunes lorsqu’ils comparent leur profil à celui des autres. La Public Health England (PHE) a d’ailleurs récemment affirmé qu’il existait un lien entre le temps passé sur les réseaux sociaux et « le faible niveau d’estime de soi ». Mais sur un plan plus cérébral, indépendamment de notre ressenti et de nos intentions, le fait de construire une différente version de soi-même est-il nécessairement néfaste? Comme dans beaucoup de ses écrits, l’interview de Ballard publiée dans i-D semble tirer la sonnette d’alarme : « dans le paysage médiatique, il est quasiment impossible de séparer les faits de la fiction » dit-il.

Publicité

L’impossibilité de séparer la fiction du réel affecte inéluctablement notre perception de la réalité. Le professeur psychologue et Prix Nobel Daniel Kahneman affirmait que nous – la « génération Instagram » – étions en train de « vivre le présent comme une forme de mémoire anticipée ». Combien d’entre nous créent des situations de toutes pièces dans l’unique but de faire du buzz ? Ne sommes-nous pas justement en train de perdre de vue l’instant présent, trop occupés que nous sommes à le scénariser?

Ballard est mort en 2009, au moment où les réseaux sociaux et la télé réalité explosaient comme il l’avait prédit. Mais à une plus vaste échelle, les réseaux sociaux n’en sont encore qu’à leurs débuts et leurs effets sur le plus long terme demeurent encore inconnus. Nous n’en sommes peut-être qu’aux toutes premières manifestations de ses effets nocifs… « Je pense donc je suis » avançait Descartes, une affirmation qui lui permettait de prouver son existence, parce qu’il était en mesure de concevoir une pensée. « I think, therefore I (Instagr)am » serait un mantra plus proche de notre génération. Qu’on pourrait grossièrement traduire par l’interrogation suivante : si je n’ai pas de vie sur Instagram, alors, où puis-je réellement exister ?

En 1991, Ballard s’exprimait à nouveau dans les colonnes d’i-D au sujet de l’Identité Fictionnelle. Malheureusement, cette interview a été perdue dans nos archives…

Pour plus de Vice, c’est par ici.