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Société

Squats, clubs échangistes et bagarres : dans le Londres lesbien des années 1980

Siobhan Fahey a vécu de l'intérieur l'évolution de la communauté LGBT.
La Cérémonie, Peri & Robin, 1988. Photo : Del Lagrace Volcano

Il y a 30 ans, Londres était une ville bien différente pour la communauté LGBT. Les gays étaient concentrés autour de King's Cross, tandis que les lesbiennes commençaient par gérer leurs propres clubs BDSM – et tout ce beau monde cruisait sans avoir recours à des applications. Aujourd'hui, un groupe Facebook réunit d'anciens adeptes d'un pub de King's Cross, The Bell. Tous partagent leurs vidéos de soirées et leurs photos de l'époque. Encore plus parlant, ils diffusent les photos d'appartements luxueux ayant remplacé leurs tanières d'autrefois.

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L'artiste et cinéaste Siobhan Fahey est actuellement en plein développement d'un documentaire traitant de cette époque. Rebel Dykes évoquera un gang de lesbiennes anarchistes évoluant dans le quartier de Brixton et le milieu des squats. Elle-même lesbienne ayant connu cette époque, Siobhan Fahey cherche à immortaliser une communauté qui s'est régulièrement opposée au féminisme « traditionnel » et bourgeois, tout en montrant à quel point la société était hostile envers les lesbiennes et gays. J'ai eu l'opportunité de croiser Siobhan pour lui parler d'un âge révolu.

Bear & Peri, marche de la fierté lesbienne, 1989. Photo : Del Lagrace Volcano

VICE : Rebel Dykes évoquera un lieu spécifique, à une époque donnée. Pouvez-vous nous décrire l'atmosphère, vous qui l'avez connue ?
Siobhan Fahey : Eh bien, Thatcher était au pouvoir, on peut donc dire que le climat politique ressemblait à celui d'aujourd'hui, et que les mesures d'austérité peuvent être comparées. Tout semblait froid, agressif. Nous vivions dans des squats de Brixton, et bougions à chaque fois que l'on nous jetait dehors. On participait à des manifestations tous les samedis – c'était un outil de socialisation très fort, et un moyen d'être au courant de ce qui se passait dans le monde.

Et à quoi ressemblait la vie d'un membre de la communauté LGBT ?
C'était dangereux – les gens devenaient hyper agressifs quand ils voyaient des gays s'embrasser ou se tenir la main en public. Je me souviens que des lesbiennes se faisaient souvent agresser. Malgré ça, on ressentait tous une forme d'excitation à l'idée d'être des marginaux, des outsiders. Avec mes amies, on traînait ensemble tout le temps, on portait du cuir, des énormes bottes – un truc nous permettant d'être identifiées en tant que gang. On était en marge de la société mais aussi de la communauté lesbienne.

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À quel niveau ?
Il y avait une énorme cassure entre nous et des femmes qui se désignaient comme « lesbiennes politiques ». Elles détestaient tout ce qui avait à voir avec la « masculinité », et les hommes en général. Elles étaient opposées aux godemichés, à la pornographie, etc. Elles étaient radicales, et chiantes, inspirées par les idées de Sheila Jeffreys. Aujourd'hui, l'ennemi, ce sont les trans – à l'époque, c'était nous.

Qu'en était-il du milieu des clubs lesbiens ?
1987 a été une année clé. À cette date, une soirée ouverte aux « lesbiennes punk » a vu le jour. Ça s'appelait Chain Reaction, et c'était tous les mardis dans un bar gay de Vauxhall, The Market Tavern – qui a disparu depuis un moment. J'étais strip-teaseuse la première nuit, et je me souviens que tout le monde baisait avec tout le monde, et que les pratiques BDSM étaient omniprésentes. Le cuir était partout ! Aujourd'hui, ça serait impossible. Sur place, on rencontrait des filles qui sont toujours nos amies ou amantes aujourd'hui.

Et que pensaient les « lesbiennes politiques » de cet endroit ?
Le premier soir, elles ont manifesté devant le pub. Une semaine plus tard, elles ont envahi les lieux pour tout démolir. Des lesbiennes en cuir les ont fait fuir, elles ne sont jamais revenues. Tout ça a contribué à la popularité de cet endroit et de ces soirées.

Et la vie dans les squats, ça ressemblait à quoi à cette époque ?
J'ai traîné de squat en squat pendant des années, jusqu'au début des années 1990 en fait, quand j'ai quitté Londres. Lors de ma période squats, je changeais d'endroit tous les six mois, à peu près. On chopait l'électricité chez les voisins, par exemple. Aujourd'hui, nos anciens squats ont été remplacés par des appartements luxueux.

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Un flyer d'une soirée Chain Reaction, et un article de presse traitant des manifestations des « lesbiennes politiques »

Et viviez-vous uniquement avec des lesbiennes ?
Nous visions uniquement avec des femmes, mais toutes n'étaient pas lesbiennes. On cuisinait ensemble, ce genre de choses, et on pouvait installer une salle de répétition dans un sous-sol pour que des groupes punk se ramènent et répètent. Les squats pouvaient même servir de crèche, de café, de librairie anarchiste, etc.

La plupart des femmes n'avaient pas de job, n'est-ce pas ?
Vous savez, rien n'était informatisé à l'époque. Du coup, on trichait pour tout, et notamment pour la Sécurité sociale. Il nous arrivait de porter des perruques pour passer pour l'une ou l'autre. Je ne me souviens pas avoir déjà eu un « job » à cette époque – j'étais strip-teaseuse lors des soirées, et certaines de mes amis bossaient dans la charpenterie, ou la plomberie.

On peut dire que la situation économique a soudé les liens à l'intérieur de votre communauté ?
Tout à fait. Nous sommes restées ensemble, coûte que coûte. Après, on a constaté à quel point la gentrification a été rapide dans Londres, en passant des squatteurs aux artistes et aux créatifs. À l'époque, Brixton était une zone qui craignait, où la police ne traînait pas beaucoup. Du coup, l'endroit où étaient concentrées les lesbiennes est rapidement devenu l'épicentre de la gentrification.

J'ai quitté Londres quand la ville est devenue beaucoup trop chère. Aujourd'hui, je vis à Manchester, et j'ai la sensation qu'une vie DIY est toujours possible par ici, ou du côté de Glasgow. On vit encore en communauté, par exemple.

Pom devant un squat. Photographe inconnu

Avez-vous des souvenirs des « Pride » de l'époque ?
Ça n'avait rien à avoir avec aujourd'hui. La première Pride a été organisée à côté de la Tamise, sur un carré d'herbe, avec des groupes locaux. C'était top. Quand nous avons défilé dans la ville, il n'était pas vraiment question de drapeaux – la simple vue de nos bottes et de nos chaînes terrifiait les passants.

À vos yeux, quel est le changement majeur qui a touché la communauté lesbienne au cours des 30 dernières années ?
Vous savez, je n'ai pas l'impression que les choses aient véritablement changé. L’opposition à l'intérieur de la communauté existe toujours. On trouve toujours des squatteurs, des groupes punk, etc. Après, la société s'est aseptisée, et ça touche indirectement notre mouvement, qui se revendique extrême. Aujourd'hui, par exemple, il arrive que Facebook censure le mot « gouine ». Du coup, j'aimerais que tout le monde écrive gouine tout le temps.

Amelia est sur Twitter.