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La fabuleuse histoire de l'espion brésilien qui avait infiltré Tinder

La prochaine fois que vous swiperez vers la droite, vous aurez une bonne raison de frémir.

Le capitaine Willian Pina Botelho personnifiant sa couverture, « Balta », au milieu de manifestants arrêtés. Image: Ponte.org

Le 4 septembre 2016, de jeunes militants avaient prévu de manifester contre le président par intérim (qui deviendra président en exercice) du Brésil, Michel Temer, au cœur de São Paulo. Ils n'ont jamais réalisé leur projet : le groupe avait été infiltré par un militaire, le Capitaine Willian Pina Botelho, via Tinder.

La surveillance et l'infiltration ne sont pas des stratégies nouvelles, mais l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a révélé le mois dernier que Twitter, Instagram et Facebook avait transmis des données au service de surveillance Geofeedia, nous rappelant par la même qu'Internet est devenu un terrain intégralement miné. La fabuleuse histoire de « l'infiltré Tinder » servira d'avertissement à la nouvelle génération de militants, qui s'organisent essentiellement par Internet : n'abandonnez pas vos activités, mais restez vigilants.

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Tinder COINTELPRO

En 2013, des milliers de Brésiliens ont exprimé leur frustration et leur colère dans la rue. La police et l'armée ont contenu ces manifestations de manière violente, et depuis, la répression politique n'a fait que se renforcer dans le pays.

Botelho travaillait pour le service de renseignement de l'armée brésilienne lors de ces manifestations. En décembre 2014, il a créé un profil Facebook sous le nom de Baltazar Nunes. Il a également créé des profils Instagram et Tinder, ornés de fausses citations de Karl Marx et de photos de lui jouant de la guitare. « Le profil typique d'un gauchiste macho », selon lui.

« Balta » ne faisait pas seulement office de lurker. Il s'engageait dans des conversations suivies avec de militants, dont l'activité repose essentiellement sur Internet. Sur Tinder, il disait aux femmes qu'il était à la recherche de « nanas de gauche » avec qui il pourrait s'entendre. En fait, c'est une femme avec qui il avait flirté de manière prolongée qui l'a intégré au groupe de militants arrêtés le 4 septembre : les individus souhaitaient se rencontrer en personne avant le jour J.

Cette malheureuse réunion aura causé l'incarcération de 21 jeunes adultes. Ils ont d'abord été arrêtés sur le prétexte qu'ils « avaient l'air louche ». Plus tard, la police affirmera qu'ils avaient commis des actes de vandalisme. De fait, il n'y avait rien à leur reprocher, même si selon l'une des personnes incriminées, la police aurait placé une barre de fer sur l'un des manifestants. Un membre du site brésilien Ponte.org, fait remarquer que la police avait déclaré que la barre de fer était portée par un type qui n'avait même pas de sac à dos sur lui. Dans ces conditions, on peut se demander comment il aurait seulement pu prendre le métro ou le bus avec une barre de fer bleue à la main. Botelho aurait lui-même suggéré un lieu de la réunion, avant d'avertir la police.

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Le profil Tinder de « Balta. » IImage: El Pais

Après avoir été arrêtés, les militants ont été interrogés par une unité spéciale chargée des enquêtes, puis ont été détenus sans recours possible à un avocat, et sans le moindre contact avec l'extérieur jusqu'à ce qu'un juge ordonne leur libération de manière un peu musclée. Seul « Balta » a été libéré immédiatement. Il a affirmé sur les réseaux sociaux qu'il avait payé un pot-de-vin aux policiers, mais quelques jours plus tard, il a été identifié comme un officier de l'armée par Ponte.org.

Malgré les démentis répétés du gouvernement, l'armée a confirmé cette semaine que Balta travaillait en collaboration avec le gouvernement de l'État de São Paulo.

« Exposer, perturber, détourner, discréditer, ou simplement… neutraliser. »

La manipulation et l'infiltration sont monnaie courante et, comme l'affirme l'ancien directeur du FBI, J Edgar Hoover, « exposer, perturber, détourner, discréditer ou neutraliser » les dissidents politiques a été le sport favori des gouvernements tout au long du siècle dernier, de la Syrie à l'Afrique du sud.

Hoover a règné sur la fameuse unité COINTELPRO du FBI (pour Counter Intelligence Program). COINTELPRO, lancé en 1956 et « abandonné » en 1971, est un exemple emblématique en espionnage car ses activités sont particulièrement bien documentées. En utilisant des techniques d'infiltration et de manipulation des mouvement sociaux et de surveillance des militants, elle s'est toujours ingéniée à contrôler les effets des rassemblements de personnes à des fins politiques. Le FBI s'est penché tout particulièrement sur les mouvements pour les droits civiques, et Black Panther Party.

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La tactique de COINTELPRO comprenait : l'infiltration d'agents, l'envoi de lettres anonymes encourageant la violence inter-gangs, le déclenchement de conflits internes au sein du Black Panther Party, le travail en collaboration avec les services de police dans le but de harceler les sections locales du parti (raids, saisie de véhicules), la propagande. Le FBI a même créé de faux documents de propagande du Black Panther Party, donc un livre à colorier illustrant la résistance armée :

L'une des actions les plus célèbres de COINTELPRO était sans doute la « lettre de suicide » envoyée à Martin Luther King Jr. Le FBI avait observé que King constituait une menace de plus en plus importante pour la sécurité nationale, et l'a donc soumis à une surveillance permanente assorti de manœuvres de harcèlement. La lettre anonyme le poussait explicitement à se suicider.

Quand la manipulation se dote des outils de surveillance modernes

« Je ne croyais pas qu'ils iraient si loin, je ne pouvais même pas imaginer que ce que faisais puisse intéresser quelqu'un. Il est important que les gens sachent que ça peut arriver à tout le monde. »

Ce sont là les mots prononcés au Chaos Communication Camp en 2015 par Kate Wilson, victime d'infiltration à visée politique. Elle a vécu pendant deux ans avec un homme appelé Mark Kennedy. En 2010, elle a appris qu'il s'agissait d'un flic infiltré travaillant à espionner et influencer le mouvement environnementaliste britannique.

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Wilson explique que Mark « était un homme charmant, désarmant qui partageait mes intérêts et ma passion pour la politique. » Son histoire illustre de quelle façon le gouvernement exploite des relations romantiques afin de placer des agents infiltrés. Ce genre de tactique est d'autant plus inquiétante dans le sens où les agences de renseignement sont dominées par des hommes, qui obtiennent des rapports sexuels après manipulation - ce qui rejoint la définition du viol, comme l'admet la police qui a retiré sa défense dans un procès contre Wilson. C'est en cela que la surveillance moderne est particulièrement funeste, d'autant plus qu'elle exploite ma mince frontière entre le virtuel et le réel.

Bien sûr, pour un flic, Internet est un rapidement en termes de collecte et de croisement d'information. Une slide de 2012 conçue par l'agence d'espionnage britannique GCHQ, et divulguée par Edward Snowden, décrit de quelle façon « elle a réussi à infiltrer un chan de discussion IRC et à identifier des hackers. » Enfin, la surveillance en temps réel des réseaux sociaux inaugurée par ACLU semble se généraliser.

Tout aussi préoccupante est la perspective que le gouvernement utilise la surveillance pour compléter ses techniques de manipulation des mouvements sociaux. Le gouvernement peut obtenir une quantité incroyable d'informations utiles en parcourant les messages Facebook d'une personne, ce qui n'est pas vraiment surprenant. Des mouvements comme le Dakota Access Pipeline utilisent exclusivement les réseaux sociaux pour communiquer. Cependant, les personnes ne publient pas seulement des messages politiques ; elles partagent également des espoirs, des craintes et des détails personnels sur les réseaux sociaux. Or, plus une information est intime, plus elle sera utile à l'espion soit se rapprocher d'une cible, la mettre dans l'embarras ou lui faire du chantage.

« J'espère ne pas devenir complètement paranoïaque. »

Si le fait de partager tout et n'importe quoi sur Internet fait le bonheur des agents de renseignement, les progrès technologiques sont au cœur des nouvelles stratégies de surveillance. La falsification de messages et l'usurpation d'identité est plus facile que jamais. La police a aujourd'hui accès à une myriade d'outils de surveillance au sein même des lieux publics (caméras, lecteurs de plaques d'immatriculation automatisés, tracking des téléphones cellulaires, reconnaissance de visage…) permettant de suivre un individu et de le manipuler.

L'effet le plus pernicieux concernant ces techniques est que, indépendamment de la réussite des opérations, elles ont un impact psychologique non négligeable sur les populations. Un des jeunes arrêtés à São Paulo écrit que, après son arrestation et sa détention, il avait abandonné son téléphone portable. Il est resté au domicile d'un ami, et a arrêté d'utiliser Internet. « J'espère ne pas devenir complètement paranoïaque, » dit-il.

C'est sans doute la leçon à retenir de cette histoire. Comme le disait très bien Kate Wilson, « Tout cela nous est arrivé parce que nous faisions quelque chose de bien. N'ayez pas peur de ce que vous avez à exprimer. Continuez. »