Mathieu Kassovitz : « L'art ne m'intéresse pas trop »
« Sparring », de Samuel Jouy, en salle le 31 janvier

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Culture

Mathieu Kassovitz : « L'art ne m'intéresse pas trop »

Dans « Sparring », le troll en chef du cinéma français prend des crochets et des uppercuts, comme dans la vraie vie.

On était parti pour soumettre Mathieu Kassovitz à une interview crash-tweets, histoire de le voir développer les idées et colères, souvent fondées, à l’origine de ses posts de 280 caractères rageurs et assassins, qui lui ont valu la réputation de troll en chef du cinéma français. « Pas de questions sur ses tweets et l’actualité », a prévenu l’attaché de presse du film. Mathieu Kassovitz est là pour Sparring, ode lasse et touchante au loser digne, au perdant qui remonte toujours sur le ring, au sportif vieillissant qui ne sera jamais champion mais qui continue à se prendre des coups pour la beauté du sport, et parce qu’il faut bien vivre. Bref, une métaphore parfaite de son parcours, où chaque victoire par chaos répond un K.O. qui l’a vu relever la tête, et le prétexte idéal pour remonter avec lui le fil de sa carrière.

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L’interview ne démarre pas super bien. On rame. Kassovitz est d’un calme olympien mais n’en pense pas moins : son envie d’être ailleurs est plus que perceptible. Il allume un bédo, se détend, devient loquace, s’épanchant longuement, sans précaution ni haine, sur l’état de sa carrière, du cinéma, de l’époque. La discussion à bâtons rompus est partie dans tous les sens, rebondissant d’un sujet à l’autre, révélant un artiste résigné, un « troll à lui-même » (c’est lui qui le dit), un type lucide et touchant. À 50 ans, Kasso ne lâche rien mais ne croit plus en grand-chose.

Vice : Dans Sparring, une réplique résume à la fois votre personnage - un boxeur raté qui, à 45 ans, devient le sparring-partner d’un champion pour faire bouffer sa famille et payer un piano à sa fille - et votre carrière : « j’ai un truc que t’as pas : moi, j’ai pris des K.O. et je suis remonté sur le ring. » Est-ce une phrase qui a compté dans votre décision de faire le film ?
Mathieu Kassovitz : Non.

D’accord… Qu’est ce qui vous a motivé à faire ce film alors ?
J’ai fait ce film parce qu’il est bien écrit et qu’il parle d’une partie du monde sportif que l’on ne voit pas, celle des gens qui n’ont pas de succès… Une allégorie de la vie de manière générale.

C’est aussi un rôle très physique. C’était la première fois que vous faisiez de la boxe ?
Oui.

Je crois que vous préparez un documentaire sur le sujet, non ?
Non. Je filmais simplement pour me regarder le soir, pour voir ce qui allait pas. Quand on boxe, il faut absolument se regarder. C’est pour ça qu’on fait du shadow face à un miroir, pour corriger ses défauts. Si je continue dans la boxe, et je compte bien le faire, peut-être que les trucs que j’ai filmés me serviront.

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Votre carrière me fait penser à celle d’un boxeur qui, après chaque victoire, s’est pris un K.O. et s’est toujours relevé…
Quand tu remportes une victoire ou un succès, deux choix s’offrent à toi : soit tu te reposes sur tes lauriers et tu exploites le filon, ce qui donne généralement de mauvais résultats. Soit tu te remets en question et tu te lances un nouveau challenge. J’aurais pu faire « la Haine 2 », la Haine 3 »… Mais moi, dès que je suis en situation de confort, je m’endors.

Quand vous passez du bide noir d’Un illustre inconnu au carton inattendu de la série Le Bureau des légendes, vous en déduisez quoi ?
Je n’ai aucun romantisme concernant le métier d’acteur. On m’envoie des scénarios, je passe d’un film à l’autre, le reste, je m’en fous. Les acteurs, ils ne décident rien.

« J'ai pas envie que les gens soient fans du logo Kassovitz »

Fucking Kassovitz, le making-of de votre film Babylon A.D., est un document passionnant sur ce métier et comment un tournage peut virer au fiasco complet. Il devrait être montré dans les écoles de cinéma. Comment avez-vous vécu l’expérience ?
Comme une expérience. Si tu prends un coup et que tu ne remontes pas sur le ring, t’es un loser… Disons que la valeur n’attend pas le nombre des entrées… Il ne faut pas essayer de plaire aux gens, il faut se plaire à soi-même, être le plus possible fidèle à ce qu’on est. C’est le meilleur moyen d’avoir des gens qui te sucent.

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Votre dernier film, L’Ordre et la Morale, c’était il y a sept ans. Cette parenthèse dans votre carrière de réalisateur va durer encore longtemps ?
Je sais pas.

Un projet ?
Je sais pas. On verra.

Dans une interview récente, vous dites : « je n’ai pas besoin de fans, j’ai besoin de gens qui me disent ce qu’ils pensent vraiment de mes films. J’ai toujours insulté mes fans ».
À la base, un fan, c’est quelqu’un qui t’aime quoi qu’il se passe. Or l’amour inconditionnel, comme je le dis à toutes mes fiancées, j’en veux pas. Moi, je veux un amour conditionnel. Je ne veux pas que les gens m’aiment moi, je veux qu’ils aiment mes films. Je ne comprends pas comment on peut être fan d’une équipe de foot quand l’équipe change tous les trois mois. T’es fan d’un maillot, d’une marque, d’un logo. J’ai pas envie que les gens soient fans du logo Kassovitz. Je les défie à chaque fois en m’associant à des films qui ne sont pas ceux qu’ils attendaient.

À quels moments de votre carrière vous êtes-vous dit « j’ai réussi mon truc » et « là, j’ai foiré » ?
J’ai toujours réussi mes trucs. L'important, c'est l'expérience personnelle. Le cinéma, c’est comme la boxe : si tu veux être numéro un, y’a beaucoup de compromis à faire, et je ne suis pas prêt à les faire. J’ai ma famille, mes chiens, je fais de la boxe, de la menuiserie, du skate, je m’occupe de mes mômes. J’ai la chance de gagner très bien ma vie en ne travaillant pas beaucoup, j’en profite. Je ne ressens pas du tout le besoin d’être en haut de l’affiche ou dans les médias. Au contraire.

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« L'art ne m'intéresse pas trop »

Et le besoin de filmer ?
Non. Le cinéma a changé depuis internet et le passage au digital. Le cinéma était un média d’information parce qu’avant, on avait trois chaines de télé, deux radios et cinq quotidiens. Quand sortait un film de Costa-Gavras, on découvrait des choses que les médias ne couvraient pas. Aujourd’hui, avec internet, le cinéma que j’aime n’a plus de raison d’être.

Le cinéma, ce n’est pas que de l’information, c’est aussi un geste artistique…
L’art ne m’intéresse pas trop. Le jour où tes idées passent par ton téléphone, que tu peux te filmer toi-même pour un budget de 50 euros, y’a plus vraiment de raison de faire du cinéma politique. J’ai tourné sept ou huit films. Très peu de réalisateurs ont eu la chance de faire les films que j’ai faits. C’est bon, j’ai fait ce que j’avais à faire. Et je ne suis pas sûr que La Haine ait fait du bien à la société française.

Parce que le film a donné bonne conscience à des gens qui n'auraient pas dû l'avoir ?
Exactement.

Je vous sens résigné…
Pourquoi faut-il, parce que t’as un métier, que cela reste le tien. Putain, y’a plein de choses à faire dans la vie ! Le cinéma était passionnant quand il était un objet de culte, qu’il y avait une vraie réflexion derrière et des messages à faire passer. Aujourd’hui, le cinéma est devenu un objet de pur plaisir, ce que je comprends, je prends moi-même beaucoup de plaisir en allant voir tous ces films décérébrés. J’adore ça. Mais ce n'est pas celui que j'aime faire.

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Pour le coup, Sparring n'est pas un film de décérébré !
Non. Je dis juste qu’on s’en fout. Heureusement que Costa-Gavras était là dans les années 1970 mais aujourd’hui, son cinéma politique est obsolète. Comme le mien. On n’a plus besoin de passer deux heures dans une salle pour comprendre ce qu’est la pauvreté ou un réfugié. Vous allez sur Facebook. Ou sur Vice, qui fait ça très bien avec ces petits documentaires de quelques minutes qui expliquent des problèmes que moi je mettrais plusieurs années à traiter dans un film. J’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai dit ce que j’avais à dire, maintenant débrouillez-vous avec.

L’œuvre de Kassovitz, aujourd’hui, elle est sur Twitter, non ?
Non. L’œuvre de Kassovitz n’est surtout pas sur Twitter. Twitter, c’est rien. Que les gens s’intéressent à ce que les autres disent sur Twitter plus de cinq minutes, je trouve ça d’une telle pauvreté intellectuelle. Que les seules références, aujourd’hui, ce soit des tweets de 280 caractères, des posts Facebook ou des commentaires sur des commentaires de commentaires, pfff… Les outils comme Twitter, c’est super, ça permet de t’exprimer. Mais ça permet à tout le monde de s’exprimer. Donc quand tu balances ton avis au milieu de sept milliards d’autres avis et qu’il y en a des milliards tous les jours… Au bout d’un moment, plus tu gueules, plus tu participes à la cacophonie.

« Sur Twitter, je vais directement à l'insulte, je ne veux pas avoir une discussion intelligente avec ces gens »

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Vous êtes plus forts pour donner ou pour recevoir les coups ?
Tu peux pas donner des coups si t’as peur d’en recevoir.

Le problème, aujourd’hui, c’est surtout que les coups font beaucoup parler, mais ils ne portent plus très loin…
C’est pour ça que je suis très insultant dans mes tweets. Je vais directement à l’insulte parce que je ne veux pas avoir une discussion intelligente avec ces gens. Leurs « discussions intelligentes », ils les ont au quotidien dans les médias. Moi, je suis là pour leur mettre mon pied au cul, pour que ceux dont la parole ne porte pas comme la mienne se disent : « c’est bien qu’un mec soit vulgaire comme moi j’ai envie de l’être ». La politesse, c’est l’excuse des lâches. La politesse, ça te permet de ne pas vraiment exprimer ta pensée. Mon père me demandait toujours : « pourquoi t’es pas poli ? ». Je ne veux pas être poli. Je suis respectueux, je suis intègre, j’ai une éthique - bien sûr, je tiens la porte à une grand-mère qui passe dans la rue, ça, c’est du savoir-vivre, avoir de l’empathie pour les gens. Mais la politesse qui consiste à ne pas exprimer ses sentiments pour ne pas blesser quelqu’un, ça, non. Y’a rien de mieux qu’être blessé. Moi, quand on me critique et que je suis blessé, touché dans mon ego, ça veut dire que le mec a raison.

Il y a quelque chose en vous de très nihiliste…
Je le deviens de plus en plus. T’es idéaliste jusqu’au jour où tu te rends compte que tu ne sauveras pas le monde.

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Et ça, c’était quand ?
Y’a 25 ans.

« Quand je fais le film de Haneke, je me fais chier »

Comment faites-vous pour continuer à faire l’acteur en vivant les choses aussi intensément, alors que vous considérez qu’être acteur n’est pas un métier, que c’est un truc secondaire, sans intérêt ?
Pour Sparring, si on m’avait dit, « Mathieu, tu vas faire trois mois de répétitions avec des cascadeurs pour faire de la fausse boxe et on va te mettre de la fausse sueur pour ne pas prendre le risque de vrais combats », je me serais fait chier, oui. Quand je fais le film de Haneke, je me fais chier. Y’a pas grand-chose à faire, y’a pas grand-chose à jouer. Mon seul plaisir, c’est de participer au projet de ce réalisateur que j’estime.

Et quand vous faites De plus belle, la dramédie romantique avec Florence Foresti…
J’adore Florence, j’aime bien son personnage. Quand on m’a parlé d’un film avec elle, je voyais comment on pouvait se marrer, j’avais envie de jouer avec elle.

Sans vous dire que auriez pu trouver une meilleure occasion pour le faire ?
Sans me dire surtout : « tiens, je vais relever ma côte chez les jeunes femmes de 25-35 ans ». J’ai fait plein de films pour des raisons qui ne sont pas forcément celles qu’on croit. Pour travailler avec tel réalisateur, avec tel comédien, sur tel sujet, pour jouer un personnage maquillé… D’une manière générale, je crois que le voyage est plus important que la destination. Quand tu veux te rendre quelque part, plus c’est une galère pour y aller, plus ce sera un plaisir d’y être arrivé. C’est comme quand t’as une belle maison et que tu dois faire des travaux, tu croises les doigts pour parvenir au bout…

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C’est pour payer les travaux de la maison qu’à un moment, vous êtes devenu l’égérie d’une grande marque de parfum ?
Non, pour pouvoir acheter la maison.

On sent que vous avez besoin de rallumer l’étincelle, non ?
Y’a pas d’étincelle à rallumer. C’est l’époque qui a changé. Elle vous plaît, vous, cette époque ?

Non. Le changement, vous le voyez venir d’où ?
Je ne le vois pas vraiment venir… J’y crois plus trop. Il y a trente ans, on avait des problèmes d’économie, d’immigration, de racisme, d’écologie, de capitalisme, de communisme… Tout était compartimenté. Avec la mondialisation, tous ces problèmes ont convergé vers une même direction et on ne peut plus rien changer… On va dans le mur. À côté de ça, on est entré dans un nouvel âge, celui de l'informatique et du tout virtuel, qu'on ne maitrise pas. Et aujourd’hui, plus rien n’est matériel. Moi, j’ai le romantisme du réalisateur qui a travaillé deux ans sur un film et se retrouve avec six bobines de son négatif original d’où vont être tirées les copies. Aujourd’hui, ton film est sur une clé USB, il n’y a plus d’original. Je ne vois pas pourquoi je paierais un objet qui n’existe pas, je n’ai donc aucun problème à le pirater. En plus, il est de la même qualité qu’au cinéma. L'analogique rendait les choses précieuses. Un vinyle est précieux, un mp3 n'est pas précieux. On est entré dans une ère purement commerciale où les choses n'ont pas d'autre valeur que celle d'être vendues.

« Tu partiras pas dans ta tombe avec tes millions et tes Césars »

Jusqu’ici, la série d’Eric Rochant, Le Bureau des Légendes, est justement un sans-faute. Mieux, elle monte en qualité et en intensité. Vous n’avez pas peur de la saison de trop ? Non, là, je pense qu’on a six saisons qui tiennent sans problème. Je pense que la série est très proche de la réalité. De celle de la DGSE et, je pense, de notre réalité à venir. De toute façon, il suffit d’imaginer le pire, on tombe toujours juste.

Pour cette série, vous collaborez avec le Ministère de la Défense. Comment se protège-t-on du risque de basculer dans la propagande ?
Eric Rochant connait son sujet et il a une rigueur, une éthique. Quand tu connais ton sujet, qu’il te passionne, si t’es pas trop mauvais, tu tapes dans le mille. Si la DGSE nous accepte, qu’on fait des projections chez eux tous les ans, qu’ils sont curieux de ce qu’on fait, c’est parce qu’on vise juste. C’est marrant, je suis allé au Ministère de la Défense l’autre jour et les mecs m’ont dit « t’es un abonné de la maison » : je viens de jouer dans un film de sous-marins, Le Chant du Loup, sur la stratégie française de dissuasion atomique.

Un truc qui vous a mis K.O. artistiquement ces derniers temps ?
Je sais pas… Parmi les films, rien. En revanche, parmi les boxeurs, il y a un mec : Vasyl Lomachenko. Lui, c'est le futur de la boxe.

Refaire un film, ce n’est vraiment pas envisageable ?
Il faut une motivation personnelle. Les gens oublient ça, ils veulent voir Mike Tyson sur le ring. Mais Mike Tyson, il a envie de faire autre chose, d’élever ses pigeons et qu’on le fasse pas chier. Pour moi, ça, c’est une forme de réussite alors que les spectateurs y voient l’inverse. Tu sais si t’es gagnant le jour où tu meurs. Tu partiras pas dans ta tombe avec tes millions et tes Césars. Si c’est juste pour te rendre beau dans cette vie-là, te permettre de niquer des meufs et de gagner un peu plus d’argent, je trouve ça misérable.

Il est où votre César pour La Haine ?
Je l’ai aperçu récemment… Il était… Dans la cave ! Il cale une porte.

Sparring , de Samuel Jouy, en salle le 31 janvier