Des recherches considérables tentent maintenant d'exploiter la puissance du Big Data et du machine learning pour une approche plus précise de la santé mentale. En créant des bases de données sur l'activité cérébrale des patients, un algorithme pourrait être en mesure de déterminer ce que les cliniciens ne peuvent pas faire seuls : en quoi le cerveau de cette personne souffrant d’une maladie mentale est-il différent de celui d'une personne en bonne santé ? À quel traitement son cerveau répondra-t-il le mieux ?Nous sommes encore loin d'une mise en pratique. Les chercheurs tentent de déterminer le meilleur type de données à utiliser, d’entraîner correctement les algorithmes et ainsi éviter les biais humains qui occultent toute intelligence artificielle : lorsque nous, les humains, collectons, interprétons et prenons des décisions concernant les données, cela influence inévitablement ce que nos algorithmes apprennent. Les enjeux sont particulièrement élevés si l'on considère que nous formons les algorithmes à décider qui est sain d'esprit et qui ne l'est pas, à quoi ressemble un cerveau « normal » et ce que fait un cerveau malade.« Une approche de machine learning ne vise pas à supprimer la conversation humaine entre le clinicien et le patient en psychiatrie, mais simplement à y ajouter des données biologiques. Il reste qu’il faudra faire attention aux réponses fournies par les données et à leur pertinence »
Les algorithmes pourraient aider à résoudre ce problème. En recueillant des données auprès de personnes atteintes d'un certain trouble, et qui obtiennent de bons résultats avec un médicament spécifique, les cliniciens pourraient voir dans quelle mesure le cerveau d'un individu correspond à cet échantillon. S'ils sont semblables, cet individu pourrait se sentir mieux avec ce médicament également. S'ils ne correspondent pas, c’est qu’il faut peut-être aller dans une autre direction.Calhoun et ses collègues s'y emploient actuellement : ils travaillent sur un algorithme qui examine les scanners cérébraux de personnes souffrant de troubles de l'humeur pour essayer de prédire leurs réactions aux médicaments.C'est à cette étude que Meghan a confié l'imagerie de son cerveau. Les chercheurs ont observé comment les sujets réagissaient aux antidépresseurs et aux stabilisateurs de l'humeur. L'objectif est de pouvoir prédire plus tard quel type de traitement conviendra le mieux à des patients ayant un cerveau similaire, c’est-à-dire des patients présentant un enchevêtrement de symptômes pouvant indiquer une dépression ou un trouble bipolaire.« Ce qui est difficile, c'est de savoir si la personne va devenir bipolaire ou schizophrène. Aura-t-elle de multiples rechutes ou sera-t-elle stable ? Répondra-t-elle aux médicaments antipsychotiques et sa réponse durera-t-elle dans le temps ou fera-t-elle une rechute ? Les algorithmes qui sont utiles sont ceux qui permettent de faire des prévisions pour l'avenir » – Andrea Mechelli, professeur en intervention précoce
L'article de Nature montre bien que nous devons comprendre les différentes analyses que les équipes peuvent effectuer, selon Schnyer. Ce qu'il faut, c'est une approche plus universelle et standardisée des données, ainsi que de l'ouverture et de la transparence dans la manière dont ces données sont traitées, avant de s'appuyer sur des algorithmes pour faire des prédictions compliquées.En dehors du traitement des données, il est crucial que les données elles-mêmes soient représentatives, c'est-à-dire qu'elles doivent provenir d'un groupe suffisamment diversifié de personnes.Si un algorithme a été formé sur des personnes âgées de 20 à 30 ans, d'une certaine origine ethnique ou socio-économique, et que la personne sur laquelle il est utilisé n'appartient pas à ce groupe, il ne fonctionnera probablement pas pour elles. « Dans ce cas, l'algorithme serait plus susceptible de faire une inférence incorrecte », dit Mechelli.Les algorithmes peuvent être développés de manière à être très sensibles à un groupe de personnes, sans pour autant fonctionner sur un autre. On appelle cela l’« overfitting », ou sur-apprentissage. C’est ce qui se passe quand l'algorithme apprend quelque chose sur l'ensemble de données qui n'a pas grand-chose à voir avec ce que vous essayez de mesurer. Ensuite, lorsque l'algorithme est lancé sur un nouvel ensemble de données, il ne fonctionne pas aussi bien parce que les données qu'il mesurait auparavant ne sont pas présentes.« Les algorithmes peuvent être développés de manière à être très sensibles à un groupe de personnes, sans pour autant fonctionner sur un autre. On appelle cela l’« overfitting », ou sur-apprentissage »
« La communauté académique continue à chercher des marqueurs cérébraux et génétiques, principalement parce que tout semble indiquer qu'il existe un fait biologique, poursuit Chekroud. Ce serait bien plus cool et plus sexy s'ils pouvaient le comprendre comme un biomarqueur du cerveau. La vérité, c'est que le signal n'est tout simplement pas encore là. Je trouve que les données cliniques sont particulièrement intéressantes. C'est ce qui se rapproche le plus des symptômes. »Schnyer admet qu'à court terme, il ne pense pas que le machine learning sera très utile pour révéler les mécanismes sous-jacents des maladies mentales. Admettons qu’un algorithme nous montre que le cerveau d'une personne dépressive présente des différences dans certaines zones par rapport à celui d'une personne saine, cela signifie-t-il que cette différence est à l'origine de la dépression ? Ou que la dépression est à l'origine de ces différences ?Mais si l'objectif est simplement d'orienter la personne vers le traitement qui pourrait fonctionner le mieux, nous n'avons pas à répondre à cette question aujourd'hui. Nous pouvons continuer à faire des recherches sur ce point, sans avoir à choisir l'un ou l'autre. Grâce aux algorithmes, nous pouvons contourner ce que nous ne savons pas et éventuellement trouver un moyen efficace d'aider quand même. « Si tout ce que vous voulez faire, c'est prédire de manière fiable si un groupe de personnes réagira mieux à un médicament qu'un autre, vous pouvez entraîner un algorithme pour le faire, ajoute Schnyer. Même si vous n'avez aucune idée de la façon dont cet algorithme fonctionne. Cela va certainement être utile dans le cadre clinique. »Cette recherche soulève des questions d'éthique. Comment dire à une personne qu'elle a un cerveau similaire à celui d’autres personnes qui prennent un traitement à vie ? Ou qu'elle a un cerveau similaire à celui de personnes souffrant de dépression résistante aux traitements ? Qui est responsable lorsqu'un algorithme se trompe ? Est-ce le médecin qui a décidé d'utiliser l'algorithme ? L'entreprise qui a développé l'algorithme ? Que se passe-t-il si un clinicien décide d'ignorer la prédiction faite par un algorithme et que cela s'avère préjudiciable pour le patient ? De plus, le learning machine par imagerie cérébrale ne serait-il pas trop axé sur la biologie, sur les changements physiologiques du cerveau, en négligeant les facteurs contextuels et sociétaux qui influencent la santé mentale ?« C'est une bonne question, dit Devin*, 22 ans, originaire de Sacramento. On lui a diagnostiqué une dépression à 17 ans, juste après qu'elle a été acceptée à l'université. Elle a commencé par un antidépresseur, le Cymbalta, que sa mère a pris pendant la majeure partie de sa vie. Ses médecins ont pensé que parce que sa mère gérait bien ce médicament, il en irait de même pour Devin. Mais ce n'est pas le cas.Devin a également pris part à l'étude d'Etkin. Elle espère qu'en y participant, quelqu'un à l'avenir n'aura pas à subir autant d'essais et d'erreurs qu'elle. Elle a finalement trouvé un soulagement à sa dépression grâce à la stimulation magnétique transcrânienne, et elle aurait aimé pouvoir y accéder directement. « J'aurais préféré ne pas avoir à attendre cinq ans », dit-elle.Elle dit que tant qu'un ordinateur ne remplacera pas complètement un médecin humain, elle et d'autres personnes comme elle auront besoin d'autant d'informations que possible pour prendre des décisions difficiles en matière de soins. Cela ne se réduit pas à son seul cerveau. « Dire que notre monde mental est représenté par la biologie, en particulier par la neurobiologie, ne remet pas et ne devrait pas remettre en cause l'importance de notre environnement, dit Gu. Le cerveau n'est pas un organe statique. C'est l'organe le plus dynamique du corps, et il réagit constamment au monde extérieur. »Un scanner cérébral ne remplacera jamais complètement une personne qui interroge et parle avec un patient. Calhoun envisage que les médecins puissent référencer rapidement des ensembles de données ou des programmes, et s'en servir pour guider leur prise de décision, et en faire un outil de plus dans leur arsenal. « Je dirais que l'outil le plus important reste le clinicien, la personne, l'humain, ajoute Mechelli. C'est plus puissant que toute autre chose en fin de compte ; cette relation, cette projection entre le patient et le médecin est probablement l'outil le plus performant que nous ayons à ce jour. »VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard. VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.« Admettons qu’un algorithme nous montre que le cerveau d'une personne dépressive présente des différences dans certaines zones par rapport à celui d'une personne saine, cela signifie-t-il que cette différence est à l'origine de la dépression ? »