Avec son éternel air d'enfant-vieillard, King Krule a toujours eu l’air mal ajusté à l’époque. Comme s’il apparaissait tour à tour trop sage ou trop vert, n’arrivant jamais à se départir de restes de colère adolescente ainsi que d’une placidité vis-à-vis des affres du monde – souvent les deux en même temps. Depuis ses débuts en 2011, à l’âge de 16 ans, sur la scène de la Flèche d’or ou au Midi Festival à Hyères, alors qu’il se faisait encore appeler Zoo Kid, il se murmurait déjà que sous ses airs de petit malin et sa guitare titubante et désaccordée, le tout jeune rouquin tenait la meilleure came sur le marché. À rebours de l’ironie naissante et de la nu rave mourante (ou qu’elle que fut alors le sous-mouvement de jeunesse du moment), sa musique, faux blues urbain troué d’arpèges lumineux et serti par une voix rocailleuse, ne ressemblait déjà à rien de ce qui se faisait ailleurs.
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Seul sur le radeau du rock anglais
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Beaucoup de groupes anglais de merde (qu’ils soient prolos ou preppy, lads ou chavs) ont pollué les couvertures du NME pendant une bonne partie des années 2000 – un grand nombre d’entre eux a fini dans les poubelles de l’histoire de la musique, et personne n’ira les pleurer. Mais ils avaient au moins l'avantage d'être pourvus d'un peu de personnalité : aujourd’hui, même les têtes à claques ont déserté l’arène, et seuls subsistent une litanie de groupes sans visage ni voix à faire entendre, fonctionnaires proprets d'une certaine idée de la pop britannique aujourd'hui, celle qui n'a plus rien à dire et dont on se demande ce qui peut bien encore l'animer lorsqu'elle se lève le matin.
Miraculé de Londres
La faute sans doute en grande partie à la gentrification, qui a lentement mais sûrement foutu dehors les quelques esprits perturbateurs restants. Et dont la musique a toujours rendu compte, plus ou moins directement et consciemment, de ces questions de classe, d'exclusion, de sentiment général que les choses seront éternellement fucked up. Comme le disaient les sympathiques Rhythm Method quand on les interviewait en 2015 : « Quand tu es né et que tu as grandi ici, sans faire partie des classes bohémiennes, tout te paraît temporaire. C'est évident et inévitable que nous ne serons pas capables d'élever nos familles ici. La gentrification nous a jeté du sud ouest de Londres, et nous avons déménagé à Hackney où nous sommes devenus les gentrifieurs. On fait quoi maintenant ? » Comme dit plus haut, cette poignée de récalcitrants ne vient pas exactement du même creuset que le robinet d'eau tiède qui inonde le pays depuis plusieurs années maintenant ; les XX, Sam Smith, James Blake, Alt-J et consorts, lesquels ont tous étudié dans des écoles prestigieuses, avant de sortir du four et de servir une soupe infâme et indolore aux radios du pays.
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King Krule se situe lui à la croisée des chemins : il a également étudié à la Brit School, cette école d’art londonienne qui a vu passer l’élite musicale de la nation, d’Adele aux Kooks en passant par Jessy J ou encore Rex Orange County. Sur le papier, il aurait dû être un gentrifieur musical comme les autres. À la place, il aura plutôt opéré comme transfuge, et aura échappé assez rapidement aux sirènes de la célébrité et de la facilité de la musique au mètre. Plusieurs raisons à cela : sans doute une batterie de problèmes mentaux et de phobie sociale entrevus dès son plus jeune âge, ainsi que le fait que la vie ait de manière générale tendance à lui mettre « des coups de pieds au cul et à le renvoyer au fond du trou », comme il le confiait récemment à Libération.Ce qui se ressent dans sa musique, et la rend d’autant plus rare et précieuse dans le paysage musical aujourd’hui. Une musique perpétuellement en jet lag, comme si elle sortait en permanence d’une vilaine grippe et qui ne semble infusée que d’angoisses sourdes et profondes – la dernière pour le jeune homme de 25 ans est celle d’être devenu père, laquelle parcourt tout son nouvel album, Man Alive !, sorti vendredi chez XL Recordings. Mais sur ce disque, on retrouve également des détritus de dub, des souvenirs trip-hop qui n’auraient jamais existé, ce qui accentue l’idée de prise directe avec son environnement direct de Londres, indépendamment du fait qu'il s'agisse sans doute de son album le plus composé, audacieux et puissamment imagé à ce jour.
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