À quel moment faut-il arrêter la thérapie ?
Illustration : Ella Strickland de Souza 

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Santé

À quel moment faut-il arrêter la thérapie ?

J'ai toujours pensé que la fin du traitement m’apporterait un sentiment d'optimisme. Mais le seul sentiment que j’ai ressenti, c'était celui du renoncement.
Emma Garland
London, GB
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Deux ans. C’est la limite que je m’étais fixée au début de ma psychothérapie. C'était un chiffre arbitraire, que je m’étais mis en tête sans véritable raison, si ce n’est celle de m'empêcher de voir cette thérapie comme un élément essentiel de ma vie – comme respirer ou faire du shopping – plutôt que comme un processus qui finirait par se terminer. Personne ne peut être en thérapie pour toujours. Deux ans m’ont paru être le temps nécessaire pour déballer tous les bagages que j’avais accumulés jusqu’à présent. J’avais toujours ce plan en tête lorsque j'ai approché la barre des deux ans en janvier dernier. J'ai dit à mon thérapeute que j'étais prête à arrêter, je lui en ai expliqué les raisons et nous avons entamé notre épilogue d'une durée de six semaines.

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Les quatre premières semaines, je me sentais vraiment bien dans ma peau. Je l'avais fait. J'avais terminé la thérapie. J’étais émerveillée devant ma capacité à m’imposer des limites. J'ai commencé à fantasmer sur tout ce que je pourrais faire avec l'argent que je n'aurais plus à dépenser pour parler de mes angoisses adolescentes, alors même que je ne suis plus adolescente depuis belle lurette. Puis la cinquième semaine est arrivée. À contrecœur, j'ai suivi mon thérapeute dans cette petite pièce vide, comme presque tous les mardis depuis 24 mois. Je me suis assise et j’ai commencé à pleurer. J’ai pleuré sans m’arrêter pendant 50 minutes. La moindre question ne faisait qu'empirer les choses, car c’était autant de questions auxquelles je ne pouvais pas répondre. La moindre phrase que je tentais de formuler se fractionnait en une centaine de pensées, qui elles-mêmes se fractionnaient en une centaine de pensées, et ainsi de suite, comme des branches poussant à toute vitesse sur un arbre fou. La moindre parole qui me montait au fond de la gorge y restait coincée.

J'ai tendance à « cinématiser », à réorganiser les choses en récits significatifs, et j'avais décidé que j'étais arrivée au bout du chemin. J'étais prête à voir comment j’allais me débrouiller sans m’imposer une période de réflexion régulière. J'ai toujours imaginé la fin du traitement comme un « grand moment », une sortie en grande pompe sur fond de coucher de soleil. Pas comme un happy ending de conte de fées où tous mes problèmes seraient résolus, mais plutôt comme la clôture d'un chapitre qui m’apporterait un sentiment d'optimisme. Mais le seul sentiment que j’ai ressenti, c'était celui du renoncement. Bref, je suis toujours en thérapie.

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« Parfois, les gens suivent une thérapie parce qu’ils ont des difficultés avec la vie de manière générale et qu’ils ont besoin de soutien au-delà de leurs amis et de leur famille »

En 2016-2017, environ 1,4 million de personnes ont été orientées vers une thérapie par le NHS, le système de santé publique en Angleterre. Dans le même temps, entre 2016 et 2018, la demande de services privés de psychologie a augmenté de 65 %. Les fonds consacrés à la santé mentale ont reçu moins de financements en 2016 qu'en 2012. Alors que le Royaume-Uni devient de plus en plus inhospitalier, que l'austérité et le climat politique pèsent lourdement sur le bien-être psychologique des gens, la demande de traitements a augmenté parallèlement à la baisse du financement des services. Au Royaume-Uni, environ une personne sur quatre souffrira d'un problème de santé mentale pendant une année donnée, la dépression et l'anxiété généralisées étant les plus courants. Mais si vous suivez une thérapie en 2019, par le biais du NHS ou en privé, vous faites partie des plus chanceux.

Les gens suivent une thérapie pour différentes raisons. Parfois, ces raisons sont clairement définies : chagrin, stress au travail, trouble de l’alimentation, problèmes sexuels ou traumatisme spécifique. Parfois, les gens suivent une thérapie parce qu’ils ont des difficultés avec la vie de manière générale et qu’ils ont besoin de soutien au-delà de leurs amis et de leur famille. Les gens guérissent ou changent à des rythmes différents : une personne peut constater une amélioration après deux mois, une autre peut se sentir pire pendant plusieurs années. Une raison précise implique des objectifs plus précis, ce qui ne les rend pas plus faciles à atteindre, mais lorsque vous allez en thérapie simplement pour vous sentir mieux, comment savoir quand ou si vous avez accompli quoi que ce soit ?

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Je tombe dans cette dernière catégorie. Je n'ai pas de diagnostic (la seule fois où j'ai sollicité une évaluation médicale auprès du NHS, on m'a dit que mes symptômes de dépression, de manie, d'idées suicidaires et d'antécédents d'automutilation, entre autres, n’étaient pas suffisamment préoccupants pour être examinés), et les antidépresseurs ne me conviennent pas. J’ai passé le début de ma vie adulte à chercher des moyens d’y faire face : automutilation, anorexie, toxicomanie, sexe avec n’importe qui, etc. J'ai commencé la thérapie quand je suis arrivée à court d’options.

Le processus de thérapie en lui-même est incroyablement étrange. Vous entrez dans une pièce pensée pour être aussi banale que possible : une table d'appoint avec une boîte de mouchoirs en papier, une horloge dont vous ne verrez jamais que le dos, un climatiseur silencieux, éventuellement une peinture de nature morte sur le mur. Vous faites face à un inconnu et vous lui posez des questions si intimes que vous n’auriez même pas le courage de les tweeter : pourquoi ai-je l’impression que tout le monde me ment constamment ? Est-il « normal » d’avoir peur que les vêtements que je m’apprête à jeter se sentent rejetés ? Est-il « normal » de considérer mes propres sentiments comme étant trop stupides pour être exprimés ? Arrive-t-il à tout le monde de se cogner volontairement la tête contre un mur dans l’espoir d’être KO et de connaître un bref répit ?

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« La thérapie dépend en grande partie du patient, de ce qu’il est prêt à aborder et de ce qu’il est prêt à accepter. Un thérapeute peut vous aiguiller, mais il ne peut rien vous dicter »

Au fil du temps, votre thérapeute devient l'une des personnes à qui vous parlez le plus. Il en sait probablement plus sur vous que vos partenaires, vos meilleurs amis et très certainement vos parents. Vous essaierez alors de déduire sa vie personnelle au moyen de fragments d’informations : le type de chaussures qu’il porte, les références culturelles qu’il fait. Vous essayerez de le faire rire ; il le soulignera comme une tentative de votre part de voir la vie sous un meilleur jour et vous verrez cela comme un grand exploit personnel.

Quand elle est bien menée, la thérapie vous décompose et vous reconstruit de fond en comble. Au début, vous vous attendez à ce qu'un étranger pareil à un saint vous écoute, vous réconforte et vous guérisse. Mais la première chose que vous apprenez, c’est que ce n’est absolument pas ce qui va arriver. La thérapie dépend en grande partie du patient, de ce qu’il est prêt à aborder et de ce qu’il est prêt à accepter. Un thérapeute peut vous aiguiller, mais il ne peut rien vous dicter. C'est un peu déroutant, mais très utile à long terme. Si le thérapeute ne correspond pas à vos attentes, ou si le traitement lui-même est inefficace, le manque de progrès peut sembler de votre faute. Les rechutes peuvent donner l’impression d’échecs encore plus graves. Le choix d’arrêter, aussi, dépend de vous.

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Si vous êtes sujet à de fortes sautes d’humeur, ce qui est mon cas, il peut être difficile de savoir ce qui se passe réellement. Vous pensez peut-être qu’une période de positivité est un signe de progrès plutôt qu'un simple flux naturel. Vous pouvez même vous laisser emporter par l'idée que « tout va mieux maintenant ! », mais une seule mauvaise journée de travail peut suffire à vous faire faire un bond de six mois en arrière. Il y aura toujours des hauts et des bas, quel que soit le degré d’aide professionnelle dont vous bénéficiez. Mais alors, comment savoir si vous avez encore besoin d’une thérapie ou si vous avez juste trop peur d’arrêter ?

Je ne suis pas la plus à même de juger, évidemment. J'ai récemment renoncé à arrêter la thérapie. En termes simples, la thérapie consiste à vous laisser aller devant quelqu'un qui vous connaît très bien. Si cela vous aide à faire le vide dans votre tête chaque semaine, continuez ainsi. Si vous entrez dans un état catatonique dès que votre thérapeute part en vacances, vous êtes probablement allé trop loin. Si vous n’en tirez rien, pensez à faire une pause pour réfléchir. Je sais, c’est facile à dire, un peu moins facile à faire.

En fin de compte, ce qui m'a donné envie d’arrêter la thérapie, c’est cette étrange fixation sur les « deux ans » (La psychologie pour les nuls : deux ans, c’est aussi le point où toutes mes relations amoureuses échouent). Avec le recul, j’étais aussi sur une bonne lancée, je m’étais convaincue que j’avais fait de gros progrès dont j’étais fière et, en plus, j’étais tombée amoureuse. Si je n’arrivais pas être heureuse dans ces conditions, j'étais condamnée. J’ai réalisé qu’un salaire décent et une relation saine n'étaient pas des attentes déraisonnables de la vie, et que, peut-être, j’avais placé la barre de ma confiance en moi un peu trop bas.

Ma décision de ne pas abandonner la thérapie doit être réglée, bien sûr. Tout doit être réglé. Quand on me demande ce que je ressens à propos de ce changement de cœur, je réponds que je suis « déçue ». Comme d'habitude, l’objectif dictatorial que je m'étais fixé, même s’il n’avait absolument aucune valeur, avait entraîné chez moi une certaine détresse. Comme d'habitude, j'ai ravalé cette détresse de peur d’être réprimandée. La version idéalisée de moi-même voulait arrêter, mais mon vrai moi ne le voulait pas. Le fait de devoir concilier les deux devant quelqu’un d’autre m'a donné la nausée, mais, comme d'habitude, ce qui nous semble insurmontable est insignifiant pour le reste du monde.

Je pense que la chose la plus précieuse que j’ai tirée de la thérapie, c’est la désinvolture avec laquelle la détresse est traitée. Je peux raconter les pires choses qui me sont arrivées dans la vie et elles seront accueillies avec un calme que la nature des relations personnelles ne permet pas. J'ai passé six semaines à cogiter sur la décision que j'avais prise et mon thérapeute a simplement dit : « À la semaine prochaine. »

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