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Drogue

Le Wheelchair Sports Camp n’a rien à voir avec l'handisport

Kalyn Heffernan fait un mètre de haut et est atteinte de la maladie des os de verre. Elle est confinée à son fauteuil roulant, fume beaucoup de weed et n’hésiterait pas à ridiculiser publiquement quiconque se retrouverait dans la même situation qu’elle...

Photo : Adrian Diubaldo

Kalyn Heffernan fait un mètre de haut et est atteinte de la maladie des os de verre. Elle est confinée à son fauteuil roulant, fume beaucoup de weed et n’hésiterait pas à ridiculiser publiquement quiconque se retrouverait dans la même situation qu’elle dans l’un de ses morceaux. Elle est à la fois MC et force conductrice du groupe de rap Wheelchair Sports Camp. Samplant du classique, du jazz et de la musique avant-gardiste, le groupe s’est formé lorsque Kalyn était à la fac. Au départ, ils n’étaient que deux : elle – rappeuse, donc – et un DJ. Le groupe a depuis évolué en accueillant des bassistes, plusieurs saxophonistes et un joueur de sitar.

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Dans ses morceaux, elle traite aussi bien de sujets tels que les inégalités sociales auxquelles se trouvent confrontés les handicapés que des bienfaits apportés par la weed. Tout ce beau monde envoie les flics se faire foutre tant qu’il le peut. Dans « This Bitch », Kalyn s’attaque aux problèmes auxquels elle est confrontée lorsqu’elle doit se faire soigner et dans « Party Song », elle dit un truc véner de type « Let the midget hit it/Cops on my jock, make ‘em, cough/Cus’ I’m sicker with it. » Plus récemment, elle s’est mise à composer des instrus à destination de rappeurs haïtiens déplacés lors du tremblement de terre de 2010, et a engueulé l’entreprise Goodwill [organisation à but non lucratif, qui n’emploie que des handicapés, NDLR] parce que celle-ci paie systématiquement ses employés en deçà du salaire minimum.

Photo : Adrian Diublado

VICE : Salut Kalyn. Comment vous écrivez vos morceaux ?
Kalyn : J’écris plutôt lentement. Quelquefois j’écris plus vite, mais après j’ai besoin de me reposer et de m’asseoir. Enfin, je suis toujours assise, mais vous voyez ce que je veux dire.

À une époque, vous aviez pris l’habitude de vous incruster dans les backstages de concerts. De cette façon, vous avez notamment rencontré Xzibit, Ludacris, Erykah Badu et Busta Rhymes. Comment vous vous démerdiez ?
C’était assez simple. Je jouais la carte de l’handicapée et je racontais aux mecs de la sécurité qu’on m’avait dit de me pointer là. Dans le temps, c’était la meilleure méthode. J'ai pu gruger leur système pas mal de fois grâce à mon handicap. Je pouvais rentrer dans les coulisses de presque n’importe quel concert.

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Les artistes étaient cool ?
Xzibit était vraiment cool. Erykha Badu aussi. Ils sont seulement une poignée à avoir été cons. Aujourd’hui, je regrette un peu d’avoir été tant obsédée par l’idée d’entrer backstage au lieu de me poser tranquillement dans la foule.

Photo : Robin Walker

Qui sont les artistes les plus cons avec lesquels tu as dû traiter ?
Busta Rhymes fait partie de la liste. Il était insolent. Peut-être qu’il avait raté son show, mais c’est peut-être le seul à n’avoir pas été sympa. Merde, même Kanye était plus cool que lui.

Kanye a été cool ?
Je me souviens avoir rappé pour lui dans l’espoir qu’il me signe. Il était super sympa et m’avait présenté à son agent. Ça n’a jamais été un connard avec moi. En revanche, Erykah Badu n’était pas naturelle dans sa gentillesse – Cee Lo et Eminem non plus.

Quelle importance accordez-vous au fait que votre public vous voit comme « une handicapée » lorsqu’il vient vous voir en concert ?
Chacun a une vision différente de moi. Je ne me suis pas mise au hip-hop pour être seulement une rappeuse handicapée. Je m’y suis mise parce que c’est mon truc. Le nom « Wheelchair Sports Camp » est évidemment à prendre au second degré, mais il montre aussi que je n’ai aucun problème avec le fait d’être clouée à mon fauteuil. Mais je n’ai pas envie d’être une rappeuse de laquelle on dirait « Hey, t’as vu ? C’est la première rappeuse infirme » ou « C’est de loin la meilleure rappeuse naine que j’ai vue. »

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Avez-vous déjà rencontré des problèmes dans votre métier du fait de votre situation ?
Non, j’ai eu de la chance. J’ai beaucoup de soutiens à Denver. Je me suis toujours sentie supportée, par des gens bien qui plus est. Je ne suis pas timide et donc je n’accepterais pas que l’on me traite trop différemment des autres.

Photo : Jennah Black

Pourquoi vous vous êtes faite arrêter à Denton, dans le Texas ?
C’était notre premier voyage loin de chez nous. Sur place, on a fait un excellent show et passé un très bon moment. Il y avait des taggers avec nous. Dans le groupe, beaucoup d’entre nous s’intéressent au graffiti, mais aucun de nous n’est doué. Quelques-uns sont sortis taguer après le concert et le coloc de la personne chez qui on squattait a appelé les flics.

À ce moment-là, la moitié de l’équipe se trouvait dans l’appart avec celui qui a appelé la police, tandis que l’autre moitié s’amusait dehors. Nous avons râlé et avons été conduits en garde à vue. Mais pas moi. J’ai eu la chance qu’ils me foutent la paix. Les policiers étaient là, genre : « Ne crois pas qu'on ne va pas t'arrêter juste parce que tu es en fauteuil. » Au final, ils ne m'ont pas arrêté parce que j’étais en fauteuil roulant.

Pourquoi le type vous a balancés ?
Je ne sais pas. Il n’était pas d’accord avec ce que nous faisions.

Comment avez-vous au cette idée de faire de la musique pour les SDF haïtiens ?
Un bon ami à moi est professeur ; après le tremblement de terre, son groupe et le mien ont joué lors d’un concert de solidarité. Il est ensuite parti en Haïti afin d’apporter son aide aux missions locales. Il a vite réalisé que les infrastructures présentes n’étaient pas efficaces du tout et que presque tous les habitants de cette ville-tente faisaient du rap. Il a alors ramené une guitare, s’est mis à jouer et tout le monde est venu rapper sur ses notes. Il y est ensuite retourné avec du matériel d’enregistrement et des instrus à moi. Il est revenu de là-bas avec des centaines de maquettes, toutes enregistrées dans cette ville-tente. Je les ai par la suite remixées en utilisant les vocaux et en rebossant toutes les instrus. On a déjà fini dix morceaux, mais il en reste plein sur lesquelles il faut retravailler.

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Les Haïtiens font des freestyles de dix minutes chacun. L’énergie, la cadence et le flow de ces mecs est complètement dingue. C’est l’un des projets les plus fous sur lesquels il m’a été donné de travailler. Je prépare un voyage en Haïti en ce moment – je veux rencontrer ces rappeurs que j’ai produits.

L'embrouille Twitter entre Kalyn et l’entreprise Goodwill

Récemment, vous êtes entrée en conflit avec Goodwill, je crois.
J’ai toujours été critique par rapport au fait que des handicapés aptes à travailler se résignent à accepter les jobs merdiques qu’on leur file. Tous les handicapés que je connais sont doués pour quelque chose. Alors, pourquoi devrions-nous être surveillants de caddies ?

Goodwill paie ses employés moins que le salaire minimum. Je leur ai donc envoyé un message et j’ai été qu’ils me répondent. Je l'ai été d’autant plus par l’arrogance avec laquelle ils l’ont fait. Une sorte d’élan de solidarité s’est formé dans l’idée de foutre la pression à Goodwill. Certains employés de cette boîte ne gagnent que 22 centimes de l’heure en raison de leur handicap. C’est insupportable.

À côté d’eux, quand ils travaillent, des gens les chronomètrent et évaluent leur efficacité. C’est n’importe quoi. Je pense que cette entreprise n’apporte rien de bon. La façon dont ils m’ont répondu, c’était genre : « Hey, on agit de cette manière uniquement avec certains de nos employés handicapés. » À croire que ça les rend meilleurs. Ces employés doivent être infirmes au dernier degré – genre aveugle et sourd à la fois. Plus je m’implique dans le rap, plus je me fais l’avocate des handicapés. Je prends ça comme un devoir. Je me sens plus connectée aux gens de la communauté handicapée via le hip-hop que l’inverse.

Un jour, un illustrateur vous aurait fait une pochette d’album intitulée « Fuck Handicap People ». C’est vrai ?
Oui, c’était un truc du genre. En fait, c’est le mec qui a crée le groupe avec moi qui l’a faite. Il a tendance à abuser de toutes sortes de substances. On a essayé de travailler ensemble le plus longtemps possible, mais ça a fini par exploser en raison de ses addictions. Ça a été une mauvaise rupture, comme toutes les ruptures.

Vous vous êtes vengée, depuis ?
Bien sûr que je me suis vengée. Je l’ai viré.

Pour en savoir plus Kalyn et son groupe, faites un tour sur wheelchairsportscamp.co/