L’histoire du hip-hop en 15 pantalons

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Culture

L’histoire du hip-hop en 15 pantalons

Du pattes d'eph au baggy et du Hammer Pants au skinny jean en passant par... la jupe.

La mode et le hip-hop s’aiment depuis très (très) longtemps. Une histoire d’amour presque éternelle et abordable de mille façons. Nous avons donc choisi de resserrer le propos et de nous concentrer sur les pantalons. Parce qu’un pantalon peut marquer le début d’un mouvement stylistique et l’avènement d’une nouvelle ‘tribu”. L’histoire de la mode hip-hop en regorge d’exemples : du baggy trop large au skinny jean, les rappeurs s’identifient depuis toujours par les pantalons qu’ils portent. Bien sûr, il existe des exceptions à la règle, mais la plupart du temps, à la vue d’un certain pantalon et d’une certaine coupe, il est possible de détecter le genre musical de prédilection de celui qui le porte. Nous avons donc décidé de dérouler un petit récit historique du hip-hop à travers les pantalons portés par ses protagonistes.

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Avant de se lancer, saluons le jean de base, le regular, et notons qu’il se retrouve à toutes les époques – porté dès le début des années 1980, associé au Polo à la fin de la décennie (salut les Lo Lifes), et ravivé par FUBU et Tommy Hilfiger dans les années 1990 jusqu’aujourd’hui. Les jeans sont une base inamovible de l’histoire du hip-hop. Les cantonner à une époque serait une erreur. On va donc se concentrer sur tout le reste du bestiaire des pantalons.

Les pattes d’eph
Période : Fin des années 1970
Les pattes d’eph ont marqué les premiers jours du rap tandis que le monde sortait tout juste de la déferlante disco. Les pionniers du Sugar Hill Gang ont magnifié ces pantalons et rien n’en imposait plus à l’époque qu’un beau costume à motif monochrome se finissant en pattes d’éléphant. Dans Outta Here, son produit par DJ Premier, KRS-One se rappelle cette époque ; « Rappers wore bell-bottom Lee suits / Me and Kenny couldn’t afford that » (« Les rappeurs portaient des costumes pattes d’eph / Kenny et moi n’avions pas les moyens »). Ces pantalons étaient finalement l’écho des pistes rap trempées dans le disco et la funk, deux styles qui ont donné au style du Bronx ses premières mesures.

Le pantalon en cuir
Période : Débuts des années 1980 ; début des années 2010
On peut tracer de nombreux parallèles entre le hip-hop et le punk. Leur nature politique justifie cela. Les deux styles nourrissent leur créativité d’un esprit anti-establishment. En même temps que cette rébellion s’est imposé un style plus tranchant : pendant que les punks se trimbalaient des vestes en cuir cloutées et des coupes de cheveux asymétriques, les rappeurs jetaient leur dévolu sur les pantalons en cuir, les complétant souvent avec des t-shirt aux manches déchirés, et des bandeaux ou bandanas accordés. Certains se contentaient de briller en jean et veste en cuir, mais c’était presque trop basique pour les fous de la jambe en cuir. 30 ans plus tard, Kanye West est à l’origine du revival du pantalon en cuir. Seulement, le sien coûte deux fois plus cher (on est gentils), même avec le genou déchiré.

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Le bas de survêt’ Adidas
Période : Milieu des années 1980 ; milieu des années 1990
Le terme alternatif pour ces pantalons ? « Coupe-vent ». Et quoi de plus approprié, quand on se rappelle le nombre de b-girls et b-boys qui les portaient en assurant les pas de danse les plus fous ; en tournoyant comme des moulins à vent. Et bien sûr, dans le genre, Adidas était la référence. Si vous aviez le malheur de porter un bas de survêt’ à deux bandes… Aïe. Le groupe qui mena la tendance par le bout du style, c’est Run-DMC, dont les membres aimaient arborer le survêtement complet et des chaussures de la même marque. Un style synonyme des breakbeats lourds qui ouvriront de nouvelles portes musicales au mouvement. Ces ensembles évolueront vers le sweat ou le velours notable sur Biggie, une décennie plus tard.

Le pantalon en spandex
Période : Fin des années 1980
Dire que ce style a été uniquement arboré par les femmes serait faux, mais concentrons-nous malgré tout sur elles. De JJ Fad à Salt-N-Pepa, l’important avec le spandex résidait dans la mise en valeur du fessier. Bon, il n’y avait pas que ça, mais quand les femmes se battaient poings et rimes pour se faire une place dans les hauts rangs du rap, il a été nécessaire de rappeler au public masculin qu’elles avaient tout autant (et parfois plus) de talent que leurs vis-à-vis. Le pantalon en spandex et la veste 8-Ball formaient alors la combinaison parfaite : le haut pour rappeler le hip-hop, et le bas pour rappeler « Eh ouais, mec. Je suis une femme. »

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Le Dickies
Période : Début des années 1990
À l’époque, sur la West Coast, Los Angeles s’impose rapidement comme le berceau du gangsta rap. De jeunes rappeurs s’élèvent de Compton ou Long Beach pour raconter le quotidien de Crenshaw Boulevard et au-delà. Leur choix vestimentaire ? Le pantalon Dickies couronné par un t-shirt blanc ou une chemise en flanelle, et soutenu en bas par les Converse Chuck Taylor. Avant d’être l’uniforme des gangsta rappeurs, c’est l’uniforme des gangsters, tout court, et notamment des Crips et des Bloods de LA. Aujourd’hui, Dickies est l’un des premiers fabricants de vêtements hospitaliers. On saisit douloureusement l’ironie, considérant le nombre de jeunes tués par la violence des gangs et de la police en portant ces fringues Dickies.

Le denim multicolore
Période : Début des années 1990
En même temps que le gangsta rap vivait son âge d’or en promouvant la violence, un autre mouvement, diamétralement différent, s’élevait : le Flower Child Movement (ou « hip-hop alternatif »), sorti d’universités historiquement noires, et foyer de propos plus conscients et politiques. Les lignes de vêtements comme Cross Colours et Karl Kani y posèrent leur empreinte, en colorant leurs denims (pantalons ou très, très longs shorts) aux couleurs des drapeaux panafricain (rouge, noire, vert) et Rastafari (vert, jaune, rouge). On ne s’arrêtait pas là : le bordeaux, l’orange, l’indigo et bien d’autres couleurs étaient de la partie. Derrière ça était avancé l’idée qu’il faut être audacieux pour être différent. Le rap alternatif était parfois vu comme un manque de respect (comme si le rap positif ne pouvait qu’être alternatif), mais ces artistes proposaient malgré tout une alternative à tout ce qui se faisait d’autres. Et leurs fringues suivaient.

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Le Hammer Pants
Période : Début des années 1990 ; début des années 2010
Ce serait facile de réduire le fameux pantalon de MC Hammer à un malheureux contretemps de la mode rap. C’est plus que ça. Le hip-hop a toujours eu ce côté opulent – chaînes, montres et dents en or, voitures de luxe. Mais MC Hammer est parvenu à faire entrer le rap dans le mainstream, dans l’excentricité la plus flashy. Ses « harem pants » – laissant comprendre qu’il avait un tas de femmes admiratrices cachées quelque part dans l’arrière-club – concordaient avec ses mouvements scéniques, ses réinterprétations du moonwalk qui voyaient le pantalon prendre l’air comme une voile et s’étendre au rythme de sa danse. Bien sûr, les gens ont laissé tomber les Hammer Pants à la minute où l’artiste a fait faillite. Mais faites une avance rapide jusqu’il y a quelques années, et vous en verrez le retour. La taille est plus mince et le bas plus fuselé, mais s’il est quelqu’un à remercier pour le concept, c’est bien Hammer. Pour le meilleur et pour le pire.

Le pantalon cargo
Période : Milieu des années 1990
Plus le rap est devenu conscient, plus, en toute logique, les labels indépendants se sont soulevés. Les majors n’avaient d’yeux (et d’argent) que pour les hits commerciaux, alors les artistes ont dû se débrouiller tous seuls. Duck Down Records, Rawkus Records ont été les fers de lance de ce que l’on considère aujourd’hui comme le hip-hop underground. On retrouvait l’emprunte des majors dans certains de ces labels, mais le marketing, le son et la manière de le faire étaient fondamentalement alternatifs. Les vêtements aussi. La norme à l’époque s’écrivait avec des marques comme Triple 5 Soul, Ecko ou LRG, un peu plus tard ; et avec des pantalons affublés d’énormes poches au niveau des deux genoux. Tout y entrait, du Discman à votre verdure.

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La salopette de prisonnier
Période : Milieu des années 1990
Le premier à remercier pour ce mouvement est sûrement Busta Rhymes. Alors que le hip-hop devenait de plus en plus populaire, porter une salopette de détenu à la télé revenait à faire un gros doigt d’honneur à tous ceux qui tenaient des préjugés sur les jeunes noirs. Une manière de dire : « Tu as peur de moi ? Regarde, maintenant je suis à la télé. » Mais la salopette a rapidement été détournée. Les Beastie Boys l’ont transformée en tenue de chantier pour la campagne de Hello Nasty, et Puff Daddy et Ma$e s’en sont réapproprié la variante cuir et glam. Mais attention, peu importe la version, la salopette s’accompagnait presque systématiquement d’une paire de lunettes de sécurité.

Le pantalon brillant
Période : Fin des années 1990
Au moment des morts de Tupac Shakur et Notorious B.I.G, le hip-hop entre dans une phase esthétique que beaucoup aimeraient oublier. L’ère du costume brillant, où, si le rap était culturellement mort, il était financièrement au sommet. Biggie a inauguré une nouvelle mentalité mafieuse, faite de costards sur mesure et de chapeaux fedora (Roc-A-Fella aura sauté sur la tendance). À partir de là, les costards sont restés les mêmes, mais leurs couleurs ont été de plus en plus flashy, marquant une nouvelle époque, sans limite et pleine de thunes. C’est marrant de s’imaginer que cette époque concorde avec l’arrivée de Napster, en 1999. Les majors perdaient la boule, craignaient la ruine, mais les rappeurs pavanaient en costards brillants, genre : « Nous, ça va ! »

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Le jean (très) large
Période : Début des années 2000
Ok, les jeans sortent en toutes tailles, et parfois une brève apparition du caleçon d’en dessous suffisait à faire comprendre que le pantalon était porté bas. Mais au début des années 2000 est arrivée cette mode du long t-shirt blanc. Et pour continuer à laisser apparaître la boucle de ceinture, le pantalon devait aller plus bas, toujours plus bas. Tellement bas qu’à un mauvais mouvement près, tout le voisinage voyait la lune. Tant qu’on pouvait apercevoir le logo de la paire de Air Force 1 en bas, on s’en foutait un peu de ce qu’il se passait en haut.

Le skinny jean
Période : Milieu des années 2000
Pendant les années 2000, il n’y a pas eu de demi-mesure dans les tailles de jeans. On est passé de super baggy à super serré. La tendance du skinny jean a commencé au moment où les hipsters ont commencé à infiltrer le hip-hop. Elle a mis un peu de temps a prendre, mais une fois qu’elle a pris, c’était game over. Les mecs comme Kid Cudi ont ajouté une nouvelle taille à la gamme : le Smedium (hybride du Small et du Medium). C’est marrant de se rappeler que seulement quelques années plus tôt, les rappeurs nageaient dans leurs fringues. Mais après tout, ça n’a pas atteint tout le monde. Pour citer Jay-Z : « I can’t wear skinny jeans ’cause my knots don’t fits. »

Le pantalon de costume
Période : Fin des années 2000
Arrivés à la fin du la première décennie du 21ème siècle, beaucoup des rappeurs qui ont arboré les pantalons cités au-dessus se sont transformés en entrepreneurs. La tenue a suivi. Jay-Z s’est fait le père de ce mouvement, profitant de ses 40 ans pour s’habiller comme…un mec de 40 ans, et balayer l’affirmation selon laquelle le rap est réservé à la jeunesse. D’autres artistes se sont engouffrés dans la brèche, et s’habiller comme un businessman est devenu la norme. Bien sûr le costard taillé existait déjà chez les rappeurs à la fin des années 1990, mais début 2000, le sentiment n’est plus le même. On n’est plus dans l’imagerie mafia, et on touche peut-être à l’imaginaire Illuminati. Un terrain bien différent.

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La jupe
Période : Début des années 2010
En 2010, le hip-hop a perdu son pantalon, au littéral comme au figuré. Les femmes y sont entrées en force, sous l’impulsion de Nicki Minaj, alors nouvelle étoile du rap. Et si les années 1990 ont eu leur lot de rappeuses talentueuses – Lil’ Kim et Foxy Brown pour les bikinis et les fourrures, Lauryn Hill pour les pantalons cargo et Missy Elliott pour les combinaisons spatiales – le royaume de Minaj était entièrement nouveau. Dans le même temps, de plus en plus de rappeurs se sont impliqués dans la haute couture, et ont alors embrassé des styles qu’ils n’auraient jamais considérés auparavant. Des jupes. En cuir. Portées par Kanye, A$AP, et tous les autres artistes qui ont pris la mode haute couture comme un élément intéressant à intégrer à leur univers.

Le haut de gamme
Période : Milieu des années 2010
Nous y sommes, en 2016, ère qui voit les marques streetwear haut de gamme et les maisons de la mode historique partager un seul et même toit. Du denim au cuir, du survêt’ au pantalon, tout est accepté, tant que le prix en est scandaleux. Mais pour les rappeurs les plus frugaux, le style et le pantalon servent d’amalgame de tout élément historique ; comme la musique. Skinny jean un jour, salopette celui d’après. Les rappeurs vont là où le vent les mène. Leurs pantalons aussi.

Cet article a été initialement publié sur i-D.

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