Comment la bande originale de « KIDS » est devenue le disque emblématique de l'été 1995

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Comment la bande originale de « KIDS » est devenue le disque emblématique de l'été 1995

Lou Barlow, âme damnée de Sebadoh et Dinosaur Jr, est revenu avec nous sur l'enregistrement de la B.O. du film de Larry Clark et sur le succès imprévisible du titre « Natural One ».

Marqué par les débuts de la rivalité Blur vs Oasis et l'explosion dans les charts d'Alanis Morissette, TLC et Biggie Smalls, l'été 1995 fut - et on s'en souvient un peu moins - une période particulièrement fructueuse pour les bandes-originales. On pourra citer celle du calamiteux Esprits Rebelles, avec Michelle Pfeiffer, qui permit au « Gangsta's Paradise » de Coolio de devenir le tube que l'on connaît et qui s'est vendue à pas moins de 3 millions d'exemplaires à l'époque. Ou celle de Batman Forever qui, malgré la spectaculaire contre-performance de Val Kilmer, a su imposer une B.O. à la tracklist prestige, réunissant PJ Harvey, Nick Cave, Sunny Day Real Estate, les Flaming Lips, Massive Attack, et peut-être la dernière bonne chanson que U2 aient enregistrée (« Hold Me, Thrill Me, Kiss Me, Kill Me »). Ou encore celle de Clueless qui, pour le coup, était vraiment un super film - et tant pis s'il n'y avait aucun inédit parmi les titres de Radiohead, Luscious Jackson, Velocity Girl, Smoking Popes, et Supergrass présents sur la B.O. Il y a même des films que personne n'a jamais vu, comme Angus, qui racontait l'histoire d'un geek en surpoids harcelé par James Van Der Beek, mais dont tout le monde se souvient à cause de sa B.O., sur laquelle se bousculaient Green Day, Weezer, les Goo Goo Dolls et la coqueluche britannique de l'époque, Ash.

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Ces albums étaient un peu l'équivalent de l'émoji « feu » de l'époque, et c'était exactement l'effet recherché par ceux qui les compilaient. Mais la B.O. qui a vraiment marqué l'époque, celle qui s'est imposée comme la bande-son officielle de l'été 95 ce ni celle d'Esprits Rebelles, ni celle de Batman Forever, ni celle de Clueless et encore moins celle d'Angus. C'est celle d'un film indépendant américain sur une bande d'ados désœuvrés qui baisaient sans capote en prenaient des tonnes de drogue.

Réalisé par Larry Clark et écrit par Harmony Korine, KIDS est le film dont on a le plus parlé en 1995. Le script très provocateur de Korine mettait en scène des adolescents dépravés tombant dans tous les vices possibles (sexe, drogue, détournement de mineur, etc.) L'aspect documentaire du film, le casting composé exclusivement de vrais kids de New York et le scénario dans lequel s'invite très rapidement le sida, faisait de KIDS un film tellement réaliste que ça en devenait dérangeant. Même s'il a été encensé par des gens comme Roger Ebert, le Village Voice et le New York Times, KIDS a dû faire face à une foule de détracteurs qui sont allés, pour certains, jusqu'à taxer le film de « pédophile ». Frappé par un NC-17 [l'équivalent américain de notre interdiction au moins de 18 ans], le film a finalement été racheté par les frères Weinstein eux-mêmes, après que Disney, propriétaire de leur compagnie Miramax, ait refusé de le distribuer.

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Mais la B.O. de KIDS a, elle, heureusement été épargnée par tout cette controverse. En 1995, aucun autre musicien de rock indépendant américain n'était autant révéré que Lou Barlow. Figure emblématique du mouvement lo-fi, Barlow avait le CV parfait : Sebadoh, Sentridoh et The Folk Implosion, sans oublier Deep Wound et Dinosaur Jr. dans les années 80. Korine était fan du travail de Barlow, et avait demandé à que ce soit lui qui s'occupe de la bande originale du film.

« Harmony n'avait absolument rien à me présenter à ce moment-là », m'explique Barlow, au téléphone. « On aurait juste dit un fan un peu taré. Je n'ai pas vraiment compris si c'était sérieux. Mais il aimait vraiment ce que je faisais tout seul avec Sentridoh, avec le 4-pistes, les trucs qui avaient abouti aux débuts de Sebadoh. À l'époque, on s'était éloignés du son lo-fi, mais c'était ça que recherchait Harmony. Il voulait juxtaposer ce rock indie de geek à lunettes avec un paysage urbain, et je trouvais que c'était un concept assez intéressant. »

Barlow a été impliqué dans le projet dès le début, avant même que les images ne soient tournées. Il était à New York lorsque le casting a commencé. « Il y avait ce gamin, vraiment jeune, et ce mec plus vieux qui avait l'air totalement tordu, et je n'arrivais pas à croire qu'ils allaient faire ce film ensemble », admet-il.

Vu les différents projets avec lesquels il jonglait, Barlow avait un éventail de choix assez large pour la composition de la B.O. Il finit par choisir The Folk Implosion, groupe versatile et relativement nouveau monté avec John Davis, qu'il jugeait être le plus pertinent pour le projet. Techniquement, Davis et Barlow faisaient déjà la musique que Korine leur demandait. « Avant qu'on commence à travailler sur le film, John et moi étions déjà en train d'incorporer des éléments de 'musique urbaine' à notre son » explique Barlow. « On était partis là dedans depuis un moment quand j'ai rencontré Harmony. »

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À l'époque, Barlow était entre deux albums avec son groupe principal, Sebadoh, qui aurait été un choix plus évident pour la B.O., commercialement parlant. Mais en 1995, c'est avec The Folk Implosion que sa créativité bouillonnait. « On avait entamé notre collaboration environ un an plus tôt, et notre petit duo avait le vent en poupe », reconnaît Barlow. « C'est un peu pour ça que j'ai emmené John avec moi là-dedans, parce que je savais que ce serait la meilleure personne avec qui conceptualiser tout ça. C'était génial. On ne faisait que parler de musique, réfléchir à de nouvelles choses, expérimenter. Il était vraiment inventif. »

The Folk Implosion n'avait, jusque là, sorti qu'une poignée de morceaux d'indie éraillé enregistrés à la va-vite. Pour KIDS, le groupe a décidé de profiter des moyens techniques et financiers offerts par la production du film pour tenter de nouvelles expériences. « On voulait incorporer des samples, c'était une étape qu'on avait pas encore franchie » raconte Barlow. « On s'est dit 'Bon, si on doit faire un film urbain, c'est une bonne opportunité pour tenter le coup.' On nous a présenté ce mec, Randall Poster, qui est un directeur musical très connu aujourd'hui. C'est lui qui a assuré la liaison entre nous et l'équipe du film. Il a loué un fantastique studio pour nous à Fort Apache, à Boston, et en gros, on pouvait y aller quand on voulait. On y a rencontré un type du nom de Wally Gagel, qui était branché nouvelles technologies à l'époque. Ça a été le commencement de notre collaboration avec lui - c'est lui qui enregistré les deux albums suivants de The Folk Implosion. »

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Le collage sonore crade et très rythmé obtenu par Barlow et Davis au terme de ces sessions est le parfait pendant sonore des images de Larry Clark. « Ce que j'aimais particulièrement, c'était ce qu'on faisait sur le magnéto 4 pistes », explique Barlow. « Le 4 pistes confère à la musique ce son lo-fi, effrayant, qui devient immédiatement intemporel à mes yeux, et j'adorais la façon dont ce son se mêlait avec l'image sur grand écran. C'était fantastique. Je trouve que 'Jenny's Theme' fonctionnait très bien. La guitare de John sur ce morceau est mortelle : le son, le style, comment elle interagit avec ma basse, et son jeu de batterie. Il y avait un truc vraiment très cool là-dedans. »

KIDS s'ouvre et se termine sur les deux scènes les plus choquantes du film, et les chansons qui les illustrent ne sont pas de The Folk Implosion, mais de deux autres projets de Barlow. La scène d'ouverture, qui montre Teddy (joué par Leo Fitzpatrick) embobiner une fille de 12 ans pour lui faire perdre sa virginité, se fond dans le générique de début sur une jam punk-rock explosive, « Daddy Never Understood », jouée par The Deluxx Folk Implosion, formation éphémère réunissant le duo Barlow/Davis, Bob Fay, le batteur de Sebadoh, et Mark Peretta.

« C'était vraiment une période très productive pour moi – j'écrivais tout le temps » raconte Barlow. « Sebadoh venait de sortir Bakesale, et ça commençait à bien marcher. Bob et moi n'étions pas obligés de bosser, on avait donc beaucoup de temps libre. Juste pour tripper, Bob, Mark, John et moi, on jammait, et on a appelé ça Deluxx Folk Implosion. C'était avant KIDS, et lorsqu'on a eu besoin d'un morceau punk pour le film, on s'est dit 'OK, en fait on a un groupe de punk qui s'appelle Deluxx Folk Implosion.' Et je me suis dit que 'Daddy Never Understood' serait super pour la B.O, alors on l'a ré-enregistrée. »

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Pour le plan final du film, lorsque Casper (Justin Pierce) se réveille le matin après avoir violé Jenny (Chloé Sevigny), porteuse du VIH, c'est un morceau acoustique lo-fi et obsédant de Sebadoh, « Spoiled », qui accompagne le générique de fin. Il fait partie des cinq morceaux – avec les deux contributions de Daniel Johnston, « Mad Fright Night », du groupe de rap Lo-Down, et « Good Morning, Captain », de Slint – que Korine avait pré-sélectionné pour la bande-son.

Ce que personne n'avait vu venir, et n'aurait en aucun cas pu voir venir, c'est que KIDS allait donner naissance à un vrai hit. Même si Sebadoh était un des plus gros groupe d'indie rock de l'époque, ils n'étaient que très peu diffusés en dehors du cercle des radios universitaires. Mais « Natural One » (qui, ironiquement, n'apparaît même pas dans le film) a bénéficié de l'attention que KIDS a généré, et a été sélectionné par MTV pour ses Buzz Bin. « Quand on a enregistré le morceau, je me suis dit qu'il était cool et plutôt intéressant » raconte Barlow. « On l'a enregistré à Fort Apache, et quand on l'a fini et réécoutée pour la première fois, ma réaction ça a été 'Putain, ça sonne vraiment bien !' À cette époque, tout roulait pour moi. Sebadoh marchait de mieux en mieux à chaque disque, et j'avais l'impression d'avoir atteint une sorte de sommet avec ce morceau. »

Le label qui éditait la bande-originale, London Records, une branche d'Universal, avait détecté le potentiel du morceau et avait tout fait pour le mettre en avant. Barlow, qui jusque là avait exclusivement travaillé avec des labels indépendants, était plus que ravi de voir comment tournait la machine des majors. « London, à cette époque, avait pas mal de succès. Notre contact chez eux était le mec qui avait signé Salt'n'Pepa, et qui venait de faire le premier Portishead, qui marchait très bien » explique-t-il. « Quand on leur a filé 'Natural One', ils l'ont faite passer à leur promoteur radio, et ça se passait à une période des années 90 où les passages en radio étaient quelque chose de crucial pour les labels. Ils engageaient des promoteurs qui allaient aux soirées et négociaient des passages à l'antenne. Si 'Natural One' a autant été jouée à la radio, c'est parce qu'on avait un très bon promoteur. »

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Lou Barlow

Barlow n'est pas surpris que « Natural One » reste sa plus grosse réussite comemrciale. Le titre a été bien plus diffusé à la radio et sur MTV que n'importe quel autre projet dans lequel il a pu être impliqué, Dinosaur Jr. inclus. « Le film était distribué à l'échelle nationale. La B.O est sortie sur une major. On avait le soutien des radios, on a tourné un clip exprès, MTV l'a diffusé. J'avais jamais eu autant de promotion dans ma vie » raconte-t-il. « Sebadoh était bien soutenu, mais là, c'était à un tout autre niveau. Il y avait beaucoup plus d'argent en jeu. Ça a été ma première grosse opportunité, et sans doute la dernière. Tout ça était très corporate, mais j'étais au courant. C'était juste un bon moment. »

150 000 copies de la BO de Kids se sont écoulées aux États-Unis seulement – un score plus que respectable pour un disque de ce type. Mais, compte tenu de tout le soutien dont il a bénéficié de la part des radios et de MTV, ces chiffres laissent Barlow un peu dubitatif. « En fait, un article est paru quelque temps après dans Rolling Stone, qui s'appelait 'Les tubes radios que personne n'achète', et bien en vue au premier plan de la photo, il y avait le 45 tours de 'Natural One' » rigole t-il. « Ce morceau a vraiment été un gros hit. Il a atteint le sommet des charts des radios alternatives et des charts dance, et je crois qu'il s'est classé numéro 26 au Billboard, mais les ventes ne suivaient pas… »

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Le succès du film a révélé des acteurs tels que Chloe Sevigny, Rosario Dawson et Leo Fitzpatrick, qui sont devenus des stars, tout comme Harmony Korine, qui demeure l'enfant terrible du cinéma américain. Et même s'ils n'ont jamais réapparu dans un quelconque classement, KIDS a largement contribué à faire connaître The Folk Implosion. Très vite, le groupe a été courtisé par les majors, et a fini par signer un contrat – vite écourté – avec le label Interscope.

« Ce qu'on a attendu de nous ensuite était un peu ingérable » explique Barlow. « On n'était pas vraiment un groupe de scène, mais comme on avait un tube à la radio, on nous a proposé de tourner avec White Zombie en Asie. Et on était là 'Non, pas moyen !' C'était vraiment un projet foireux. Moi, j'étais habitué aux tournées avec Dinosaur et Sebadoh, mais John n'était vraiment pas à l'aise. Il n'avait jamais réellement tourné à cette époque. On avait tous les deux nos autres projets à côté, donc on ne pouvait pas vraiment faire ce que les gens attendait de nous. »

« Ce qu'on a fait, à la place, c'est qu'on est retournés avec Wally dans un studio plus petit, moins cher, et qu'on s'est mis à bosser sur un autre disque, Dare To Be Surprised. En surfant sur le succès de 'Natural One', on a signé sur Interscope, et fait notre dernier album, One Part Lullaby en 1999. À ce moment-là, les attentes du label, le fait d'avoir signé sur une vraie major – parce qu'à l'époque de KIDS, on était pas vraiment chez London, ils avaient signé le projet, pas le groupe – et tout l'argent en jeu nous ont mis une pression énorme. Au moment où cet album est sorti, on vivait les premières heures de la crise du disque. Pour le label, c'était un échec total. Et alors qu'on était en train de bosser sur le disque suivant, Interscope nous ont jeté. »

Plus de 20 ans après sa sortie, la B.O. de KIDS est toujours aussi présente dans les esprits, autant que le script de Korine et les images de Clark. L'œuvre de Barlow et Davis a également trouvé un nouveau souffle dans le travail des autres : Girl Talk ont samplé « Natural One » pour l'album qui les a rendus célèbres en 2006, Night Ripper, et l'année dernière, The Avalanches ont utilisé une bribe de « Raise The Bells » sur leur album de come-back, Wildflower. Même si la réédition de l'album aurait été plus pertinente lors du 20ème anniversaire du film, il y a deux ans, Barlow apprécie toujours d'en discuter.

« J'aime beaucoup cette B.O. » dit-il. « Crois-le ou non mais mes disques préférés sont généralement des compiles. Et celui-là est une compile. C'est vrai que la majorité des morceaux sont de nous, mais je trouve que la combinaison avec ceux des autres fonctionne à 100 %. C'est vraiment super. Je ne connaissais pas le morceau de rap [« Mad Fright Night », de Lo-Down], je le le trouve vraiment bien. Le morceau de Slint est excellent, et ceux de Daniel [Johnston] aussi. J'aime les disques avec des morceaux très différents, autant dans le son que dans la texture, et ce disque a clairement une grande variété de textures. »

La bande originale de Kids a été rééditée en vinyle sur MVD .

_Cam Lindsay est sur [Twitter. ](https://twitter.com/yasdnilmac)_