On a demandé à des musiciens de groupes hommages pourquoi ça pogne leur affaire
Sylvain Perreault

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Culture

On a demandé à des musiciens de groupes hommages pourquoi ça pogne leur affaire

La nostalgie fait vivre l'industrie compétitive des groupes hommage au Québec.

Pour se rappeler de vieux souvenirs, la plupart des gens se contentent de regarder les DVD de Passe-Partout le dimanche après-midi ou de faire jouer Butterfly de Crazy Town dans un party. Pour d’autres, l’appel de la nostalgie est plus fort. C’est notamment le cas de ceux qui assistent aux concerts de groupes hommage. Le groupe hommage est une proposition qui plaît à bien des Québécois, et ce, malgré la réticence de plusieurs music snobs. Afin de mieux comprendre l’engouement pour ce phénomène, on a rencontré des musiciens qui montent sur scène pour jouer les chansons d’autres musiciens et personnifier leurs idoles.

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Chris, chanteur et guitariste de April Hate (Hommage à Nirvana)

Crédit photo: Jean-François Ouellette

VICE : Es-tu encore fan de Nirvana?
C’est plus pareil. Je suis encore fan, mais je ne ressens plus la même chose qu’avant
à chaque fois que j’écoute une toune. C’est-tu parce que je vieillis? C’est-tu parce que je les ai trop entendues? Je vais toujours aimer ce band-là, mais vu qu’aujourd’hui, j’en fais ma vie et que je gagne des sous avec ça, je me suis comme fait prendre à mon propre jeu. Les gens commencent à t’associer au personnage quand tu fais des hommages et ça me fait un peu décrocher. Donc, oui, j’aime encore ça, mais je ne capote plus autant qu’avant sur Nirvana. Par contre, je collectionne encore. Dès que je trouve un item que je n’ai pas déjà, je le ramasse.

Quel âge ont vos fans?
Ça va de 14 ans jusqu’à plus de 50 ans. Dans les shows, ce qu’on voit beaucoup, ce sont des jeunes en avant qui s’énervent. Souvent, c’est leur première expérience de show. Puis il y a les vieux qui sont nostalgiques.

Penses-tu que l’intérêt pour les groupes hommage témoigne d’une certaine fermeture d’esprit sur le plan musical?
Les gens se contentent d’écouter ce qu’ils connaissent et ils sont nostalgiques. C’est triste. Je trouve que les gens devraient s’ouvrir un peu plus. Je suis même convaincu que si on passait du stock plus diversifié à la radio commerciale, ils aimeraient ça. C’est pas vrai que t’aimes toujours une chanson dès la première écoute.

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Élyse, chanteuse dans The Berry Shandy (Hommage aux Cranberries)

Crédit Photo: Guylaine Lapierre

Peux-tu me parler de ton intérêt pour The Cranberries?

J’ai commencé à écouter ça très jeune. J’ai découvert le groupe à l’âge de 13 ans, avant même qu’ils deviennent très populaires. À cette époque-là, je commençais mon adolescence. Ça a forgé mon identité et ça a été une grosse influence dans ma vie.

Dolores O’Riordan a une voix assez particulière et on la reconnaît tout de suite quand elle chante. Quelle a été ta démarche pour arriver à l’imiter comme tu le fais?
C’est à force de l’écouter et de l’écouter et de l’écouter. De mes 13 à 20 ans, j’ai écouté pratiquement juste ça. Après, j’ai arrêté d’en écouter pour écouter d’autres choses. Mais c’était quelque chose de très prédominant dans mes inspirations. Ça a forgé mon oreille. J’avais peut-être déjà une voix qui, naturellement, ressemblait un peu. Du moins, j’étais capable d’aller chercher de l’air dans ma voix pour me permettre de développer l’intonation et l’accent de Dolores. Mais je ne peux pas me vanter que c’est identique.

C’est quoi le plus gros défi pour un groupe hommage?
Je pense que le but premier, donc le défi par le fait même, c’est de faire vivre l’émotion. Un groupe hommage, c’est un peu de la nostalgie. On veut revivre les années 90, on veut revivre les Cranberries. Ceux qui ont vraiment aimé le groupe ont cette nostalgie-là, et le défi, c’est de leur faire revivre cette époque. On se fait souvent dire : « Ayoye, je m’imaginais à l’époque. Je me revoyais dans ce temps-là! »

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Louis, guitariste soliste dans Kissed (Hommage à Kiss)

Crédit photo: Sylvain Perreault

Comment arrives-tu à te mettre dans la peau d’Ace Frehley?
J’ai regardé beaucoup de photos et de vidéos pour voir comment il bougeait, comment il se tenait. Je ne tenais pas à le copier à 100 %, mais plutôt à 90 %, afin d’avoir un petit jeu et de garder un peu de moi-même. Ça donne un show plus authentique. J’ai regardé aussi des images pour le maquillage et le costume. Le costume ne vient pas avec un manuel d’emploi.

Penses-tu qu’il y a de l’argent à faire dans l’industrie des groupes hommage au Québec?
Ça dépend de ce que tu considères comme « faire de l’argent » [rires]. Je pense que c’est presque impossible de réussir à vivre avec seulement un groupe. Si t’es un musicien et que tu joues avec plusieurs groupes, là, tu peux y arriver. Mais le milieu des hommages est un milieu où il y a beaucoup de compétition. Si t’as trois hommages à Guns N’ Roses qui roulent en même temps, c’est pas nécessairement mauvais, mais c’est sûr que s’il y en a un qui décide de couper l’herbe sous le pied de l’autre en chargeant moins cher…

Pourquoi penses-tu que les groupes hommage sont si populaires?
C’est facile. Tu sais à quoi t’attendre quand tu vas voir un groupe hommage. Un peu comme le gars qui se fait plaisir en personnifiant son musicien préféré, le public se fait plaisir en allant le voir pis l’écouter. C’est une valeur sûre. C’est un peu triste à quelque part. On dirait que les gens n’osent pas assez. C’est comme les gens qui refont toujours les mêmes pièces de théâtre, Roméo et Juliette par exemple. Combien de fois on les a vues? C’est le même principe! Quand tu viens voir Kissed, tu sais quelles sont les chansons que tu vas entendre et tu sais que tu ne seras pas déçu.

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Karl-Yves, bassiste dans Crüed (Hommage à Mötley Crüe)

Crédit photo: Daniel Guertin

C’est comment de jouer dans Crüed?
C’est demandant, car on doit s’approprier autant le son que l’âme des chansons que nous n’avons pas composées. Il faut comprendre le mood de chacune d’elles. Les fans sont très critiques et ne méritent que le meilleur. On doit faire mieux que le vrai groupe, car les gens s’attendent à ce qu’un hommage sonne « comme sur le disque ». Qu’est-ce qui explique la popularité des groupes hommage?
Nous nous rendons dans des endroits et des régions où les vrais n’iront probablement jamais. Les gens sont aussi nostalgiques. Un groupe hommage ne performe pas seulement le dernier album du groupe. Il doit faire un survol de la discographie complète. Les gens sont donc assurés d’entendre tous les hits qu’ils souhaitent. Nous sommes aussi beaucoup plus accessibles que les vrais artistes et on adore écouter les gens nous raconter leur petite histoire après notre spectacle. Selon toi, c’est quoi un bon groupe hommage?
Avec des perruques cheap, des costumes douteux, une sono qui laisse à désirer et des mauvaises représentations, ça peut être très facile de tomber dans le quétaine pour un groupe hommage. Même si ça demande beaucoup d'investissement monétaire et de temps, ça prend la « vraie affaire » si on veut percer. Personne n’aimerait voir un hommage à Kiss habillé en papier d’aluminium. Le groupe doit respecter ce que les fans veulent voir et entendre.

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Mama Emeritus, chanteuse dans The Clergy (Hommage à Ghost)

Crédit photo: Lieszka Guzman

Pour un spectateur, c’est quoi l’intérêt d’aller voir un hommage à un groupe qui sort encore des disques et qui fait encore des tournées?
Le fait que nos shows soient moins chers représente une alternative. De plus, Ghost vient à Montréal à peu près chaque année ou deux. Nous on organise pas nos shows autour de leurs concerts à Montréal. Donc, ça peut être le fun pour les gens qui se disent : « Il y a six mois, je suis allé voir Ghost pis mon Dieu que j’ai hâte qu’ils reviennent. » On est là pour combler le trou. C’est aussi une occasion pour venir rencontrer d’autres fans.

Le milieu des groupes hommage au Québec est composé majoritairement d’hommes. Tu trouves ça comment d’être une fille qui évolue là-dedans?
Au début, ça me faisait peur. J’avais peur des attentes des gens. Si je jouais d’un instrument, je me dirais qu’à la limite, un ou une guitariste, ça va sonner pareil. Mais le chant ne me permet pas biologiquement d’avoir une voix d’homme. En plus le personnage de Papa Emeritus (le chanteur de Ghost), c’est un pape, donc un rôle exclusivement masculin. Ça fait que j’avais peur de la réaction des gens. Finalement, ils ont vraiment adoré ça. Et là, je suis rendue confiante. Les gens m’envoient des « I Love You Mama » dans la foule, et mon Dieu que je me sens spéciale!

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