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Avec le mec qui joue de la flûte dans le clip de Vladimir Cauchemar

« J’ai toujours aimé le clown donc j’ai trouvé très intéressant de créer ce petit personnage muet »
flûte vladimir cauchemar
Aulos - Vladimir Cauchemar. Ed Banger Records.

Jeudi 18 mars, 23h45. Je traîne entre Twitter et Instagram, tout le monde ne parle que de la conférence d’Olivier Véran et Jean Castex. Je n’étais pas devant ma télé ce soir-là mais je vois bien que ce nouveau confinement, personne n’y pige rien. Et comme régulièrement en cas de mytho ou de langue de bois, un mème ressort : celui du mec qui joue de la flûte, lunettes sur le nez, crâne dégarni et col roulé d’un orange douteux remonté sur le cou.

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Cette image sort tout droit du clip de “Aulos”, de Vladimir Cauchemar. Sortie en 2017, la vidéo enregistre près de 16 millions de vues sur YouTube et ce flûtiste compulsif au look anachronique est vite devenu un mème. Le monde découvre donc le visage de ce type, mais son identité reste entourée d’un grand point d’interrogation. Curieuse de savoir qui se cache derrière ce joueur de flûte, je contacte Alice Kunisue, la directrice du clip, qui accepte de me mettre en relation avec le flûtiste. Je le contacte, on échange quelques mails puis il m’appelle, en masqué. Soucieux de préserver son anonymat, il préfère qu’on le renomme Jacques. Dans la vraie vie, Jacques a 54 ans, il vit à Paris et il est prof d’arts.

VICE : Bonjour Jacques. Depuis “Aulos” vous avez fait le tour du Web, mais on ne sait finalement rien de vous. Qui êtes-vous ?
Jacques :
J’ai étudié la finance puis j’ai été ingénieur-informaticien, avant de tout plaquer pour devenir chanteur de musique classique. Mais dans ce milieu, arrivé à la cinquantaine on vous jette à la poubelle. Après vingt ans de carrière, j’ai arrêté net pour donner des cours de dessin, de peinture et de chant.

Comment en êtes-vous venu à tourner dans le clip de Vladimir Cauchemar ?
Au début des années 2000, j’ai dû faire des photos professionnelles chez un photographe, qui m’a conseillé de les envoyer à des agences de casting. J’ai fait quelques publicités pour la presse et une pub télé (il n’a pas voulu nous dire laquelle, ndlr), puis mes photos ont pris la poussière dans les dossiers d’une agence… jusqu’à ce qu’Alice me contacte. C’était marrant, je venais justement de me mettre à la flûte à bec baroque, alors je lui ai proposé de l’apporter.

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Comment s’est passé le tournage ?
Ce qui m’intéressait c’était la création artistique, et Alice m’a vraiment lâché la bride. Quand vous me voyez faire Star Wars avec ma flûte ou imiter Le David de Michel-Ange sur un tourniquet, c’est de l’impro. Sur les deux jours de tournage, on a fait un jour en studio et une matinée dans un square près de La Villette (à Paris, ndlr). Je me caillais les miches, j’avais ce pantalon trop petit qui m’écrasait les couilles et m’empêchait de m’asseoir… C’était assez drôle.

Vous connaissiez Vladimir Cauchemar avant de tourner dans son clip ?
Pas du tout, c’est seulement quand je suis arrivé sur le tournage que j’ai découvert sa musique. J’ai tout de suite reconnu un morceau de Georg Philipp Telemann, un compositeur de musique classique du début du 18ème siècle, qui s’appelle “Fantaisie pour flûte n°3”. Le gars, je l’ai seulement vu cinq minutes au déjeuner autour d’un mauvais chinois, mais il était scié quand je lui en ai parlé. Il m’a demandé, “Mais t’es qui toi, pour connaître la musique que j’ai utilisée ?”

Vous n’êtes donc pas acteur de formation. Ça vous a plu, ce tournage ?
J’ai toujours aimé le clown donc j’ai trouvé très intéressant de créer ce petit personnage muet. Ce que j’aime dans ce clip c’est qu’il n’y a ni violence, ni haine, ni surexcitation... Il y a une certaine poésie. La musique est un peu énervante à tourner en boucle, mais je crois que ça fait partie du truc.

Votre image ressort régulièrement sur les réseaux. Ça fait quoi d’être devenu un mème ?
Rien. Je ne regarde pas Internet, pour moi c’est un simple outil de travail. Un jour, une connaissance m’a dit qu’elle m’avait vu jouer du pipeau après un discours de Sarkozy... Je ne vois pas tellement l’intérêt de sortir une œuvre de son contexte mais si ça les amuse, ils font ce qu’ils veulent.

Est-ce qu’il vous arrive qu’on vous reconnaisse dans la rue ?
Une fois, des jeunes musiciens avec qui je jouais sont venus me voir après un concert. Ils avaient vu le clip, alors après je m’amusais à passer derrière eux en sifflant la mélodie. Mais surtout, je leur ai parlé du morceau de Telemann qui en est à l’origine (écouter à 2:49, ndlr). Il a été joué par un immense flûtiste de la seconde moitié du XXème siècle, Frans Brüggen. Monsieur Cauchemar a pris les quatre premières mesures et enlevé la première note. Ces jeunes chantaient du classique, je trouvais ça important qu’ils le sachent.

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